Logement : en défense des marchands de sommeil

Pour révolutionner le logement et les nouveaux besoins liés à l’évolution de la société, tournons-nous vers le passé, y compris vers les marchands de sommeil.

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Logement : en défense des marchands de sommeil

Publié le 14 septembre 2013
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Pour révolutionner le logement et les nouveaux besoins liés à l’évolution de la société, tournons-nous vers le passé, y compris vers les marchands de sommeil.

Par Greg Beato, depuis les États-Unis.

Un article de Reason.

Dans son livre intitulé Going Solo (ndt : ‘vivre seul’)  sorti en 2012, Eric Klinenberg, sociologue à l’université de New York, affirme que l’Amérique connait un changement démographique important, en particulier dans les zones urbaines. Les personnes vivant seules représentent aujourd’hui 43 % de tous les ménages à Minneapolis, 45 % à Atlanta, et 48 % à Washington, DC. A l’échelle nationale, nous dit Klinenberg, « 28 % de tous les ménages sont désormais constitués d’une seule personne, c’est le taux le plus élevé de l’histoire américaine ».

Promenez-vous dans n’importe quelle épicerie et vous pourrez voir avec quelle efficacité les fabricants de pizzas surgelées se sont adaptés à ce changement. Les codes du bâtiment et les lois d’aménagement du territoire, par contre, n’ont pas évolués. La situation est particulièrement grave dans la ville de New York où, selon le recensement américain de 2010, 46 % de tous les ménages sont constitués d’individus vivant seuls.

« Les codes du logement de New York n’ont pas suivi le rythme de son évolution démographique, et actuellement ne permettent pas la construction d’un bâtiment entier de petits appartements », selon un communiqué de presse publié en juillet par le bureau du maire Michael Bloomberg. Mais pas d’inquiétude, le maire a un plan : les promoteurs immobiliers ont été invités à soumettre des propositions pour une nouvelle construction résidentielle prévue sur un ancien parking de Manhattan appartenant à la ville. Pour ce projet, la ville va renoncer à des lois d’aménagement du territoire exigeant que tous les nouveaux appartements aient une superficie d’au moins 38 mètres carrés. Le nouveau lotissement sera composé principalement de « micro-appartements », des studios qui allient un espace de vie, une kitchenette et une salle de bains sur une superficie totale de seulement 23 à 28 mètres carrés.

« Nous recherchons la créativité, l’accessibilité, un design imaginatif et des réponses aux besoins des vrais new-yorkais », a déclaré Mathew Wambua, commissaire au Département de New York pour la Préservation et le Développement du Logement lors d’une conférence de presse de juillet annonçant le projet. « Montrez-nous quelque chose que nous n’avons pas déjà vu qui soit ingénieux, écologique, reproductible et pratique, et nous travaillerons avec vous pour en faire une réalité. » Hélas, c’est peut être un mandat auquel aucun promoteur ne pourra répondre. Mais cela ne signifie pas que la ville de New York ne peut pas avoir une gamme de logements plus large qu’elle n’en a actuellement. Cela signifie simplement qu’elle devra remonter dans le temps pour l’obtenir.

Avant l’existence répandue des codes du logement et des lois d’aménagement du territoire, lorsque les promoteurs étaient relativement libres pour répondre aux besoins du marché, le parc de logements de la ville de New York, comme celui de nombreuses autres métropoles aux États-Unis, était beaucoup plus diversifié. Au niveau le plus bas du marché, dans les célèbres asiles de nuit de la rue Bowery, l’offre était remarquablement (tristement) solide. Selon le classique de Jacob Riis How the Other Half Lives (ndt : ‘Comment vit l’autre moitié’) publié en 1890, un quarter (¼ de dollar) par jour offrait aux locataires potentiels l’illusion de la vie privée dans une pièce cloisonnée avec juste assez d’espace pour contenir un lit et une chaise. Quinze cents offraient une couchette dans une pièce ouverte avec un casier pour les vêtements d’une personne. Un seul dime apportait la couchette sans le casier. Et pour 7 cents, vous pouviez obtenir la couchette à bas prix ou, comme Riis la décrit, « an apology for a bed » (ndt : une couchette qui n’a de lit que le nom) qui était composée d’« une bande de toile tendue entre deux planches de bois brut. »

Mais les asiles de nuit représentaient à peine une partie d’un marché des résidences hôtelières étonnamment vital qui a prospéré aux États-Unis à la fin des années 1800 et pendant les premières décennies du 20e siècle. Comme le documente l’historien en architecture de l’université de UC-Berkeley Paul Groth dans son livre paru en 1994 Living Downtown: The History of Residential Hotels in the United States (University of California Press), ce marché faisait l’affaire de « jeunes hommes et femmes récemment arrivés » en ville qui voulaient vivre seuls plutôt que de loger avec des familles dans des immeubles d’appartement ou dans des maisons unifamiliales.

Pour les citoyens les plus fortunés, il y avait les « hôtels palaces. » Les travailleurs en col blanc vivaient dans des « maisons à prix intermédiaires. » Les ouvriers de la classe ouvrière occupaient des « maisons d’hébergement bon marché. » Au niveau bas du marché on trouvait les asiles de nuit.

De tous niveaux de prix, les résidences hôtelières partageaient certains traits. Elles étaient pratiques, avec un assortiment de services commerciaux intégrés dans leurs structures ou au moins situés à proximité. Elles ont encouragé la sociabilité et la mobilité, et utilisaient efficacement les ressources et l’espace. Plus encore, elles ont rendu possible l’autonomie et l’indépendance, non seulement pour les élites de la société mais pour les gens de tous âges et de tous revenus. Les hôtels résidentiels autorisaient aux ouvriers de 18 ans et aux serveuses de 22 ans à vivre seuls pour la première fois dans l’histoire du monde. Ils n’avaient pas à vivre à la maison sous le regard attentif de leurs parents, ou en pension chez des étrangers, ou avec plusieurs colocataires dans un appartement partagé. Ils n’avaient pas à économiser pour payer un acompte, signer un bail ou une hypothèque, ou même investir dans des draps de lit. Ils pouvaient acheter une tête de pont dans la ville pour une nuit, une semaine ou un mois à la fois.

Les résidences hôtelières étaient libératrices, elles étaient des enclaves de tolérance, et en tant que telles, elles ont trouvé des adhérents non seulement parmi les clochards alcoolisés, mais aussi parmi les élites cosmopolites, les jeunes urbains ambitieux des deux sexes qui étaient plus intéressés à établir des carrières que des familles, les acteurs, les artistes, les prostituées, les criminels et les fugueurs. Par conséquent, lorsque les réformateurs de logements de l’Ere Progressiste ont commencé à défendre des codes du logement plus complets et des lois d’aménagement du territoire, ce n’était pas seulement pour réguler la taille des fenêtres et les ratios occupants-toilettes épouvantables.

« Beaucoup de conditions [de logement] de la première moitié du 20e siècle étaient horribles », dit Jerilyn Perine, directeur exécutif du Conseil de Planification du Logement des Citoyens, une association à but non lucratif basée à New York qui vise à améliorer les conditions de logement dans la ville et a contribué à convaincre le maire Bloomberg à expérimenter des micro-unités. « L’objectif était d’améliorer ces conditions, mais il y avait aussi un objectif social plus large, qui était d’encourager et de soutenir les maisons unifamiliales et la famille nucléaire comme fondement de la société. »

Les villes et les États ont commencé à appliquer des codes et règlements qui privilégiaient les résidences unifamiliales et les espaces publics gérés au détriment de l’architecture dense et mixte qui s’était formée naturellement pour répondre aux besoins des habitants urbains. « Quand les réformateurs ont érigé l’idéal de la maison américaine privée en objectif unique de la politique nationale, le pouvoir de cette idée a considérablement augmenté », écrit Groth dans Living Downtown.

« Chacune des trois strates de l’État a un cadre réglementaire qui affecte la forme des logements et qui peut y vivre », affirme Perine. « Beaucoup d’entre elles sont sensées mais au fil des années, les réglementations restent comme gravées dans le marbre et ensuite ne s’adaptent pas vraiment à la façon dont les gens vivent réellement. À ce stade, nous essayons simplement d’éduquer les gens sur la façon dont ces règles empêchent fondamentalement le marché de fournir un plus grand choix de logements ».

En effet, tandis que les architectes et designers sont désireux d’explorer de nouvelles possibilités, les règlements concernant les matériaux de construction, les calculs de densité et d’autres facteurs continuent à étouffer l’innovation qui autrefois surgissait naturellement. Renoncer à l’exigence de superficie minimum pour créer des micro-appartements est un bon début. Mais aussi rentables et abordables que puissent être les domiciles de 28 mètres carrés, ils sont pleins de redondances aussi. On est, après tout, en plein dans l’ère de Zipcar, la société d’autopartage urbain, et des réseaux numériques qui, en théorie au moins, nous permettent d’allouer des ressources de manière flexible et facile à pister.

Dans un tel environnement, où l’espace urbain est rare et le développement durable est à la mode, les résidences hôtelières d’antan semblent remarquablement pertinentes, surtout si elles sont revues en intégrant les goûts des consommateurs d’aujourd’hui. Imaginez, par exemple, un bâtiment où chaque appartement est encore plus petit que les micro-appartements de Bloomberg. Mais en plus de son propre espace, chacun pourrait utiliser une variété d’espaces partagés. Certains de ces espaces (restaurants, buanderie, salle de gym) serviraient l’ensemble du bâtiment. D’autres seraient réservés pour un plus petit nombre d’utilisateurs. Pour quatre unités, par exemple, il pourrait y avoir une salle multimédia privée ou un spa luxueux, que les résidents pourraient utiliser en privé, sur réservation, à la Zipcar.

Si l’expérience des micro-appartements fonctionne bien, la mairie a laissé entendre que la ville pourrait envisager de renoncer à d’autres réglementations. Avec un peu de chance, il y a de bonnes raisons de penser que les habitants de la ville de New York auront presque autant d’options de logement en 2020 que leurs prédécesseurs en avaient en 1920.

Sur le web – Traduit de l’anglais par Laure Lancelle Sanvito pour Contrepoints.

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  • C’est du miel de vous lire, surtout quand on voit ce qui se passe dans nos pays gauchos et maniérés.

    Liège : un brave type rénove complètement une maison ancienne, et la divise en 15 petits appartements ultra nickels et bien équipés. Permis locatif refusé : il manque 80 cm² de surface à ses appartements !!! Doit-il pousser les murs, ou tout refaire ?

    Bruxelles : des « veilleurs « inspectent les toits à la jumelle, et dès qu’ils voient poser un vélux, ils se ruent ! Ils arrivent dans un appartement ultra soigné, occupé par un jeune tunisien « bien sous tout rapport »? L’appartement se compose de deux pièce : l’une fait chambre-alon, l’autre est cuisine en façade, avec une douche au fond de la pièce, le tout neuf. Toilette privative sur le palier. Les gestapistes s’indignent, annoncent que le propriétaire va en baver, et disent au type de faire ses bagages. Le tunisien a les larmes aux yeux : il adore son appartement (ça se voit, il est léché), et ne paie de 300 euros tout compris. Les gestapistes s’en foutent, et mettent les scellés !!!

    Où doivent aller les gens qui ont peu de moyens ???

    Autre sport : des gens louent un appartement, y empilent des crasses, arrachent le lavabo, bouchent la toilette, et appellent la commune. On voit très bien que les peintures sont neuves, les sols aussi, et on imagine bien qu’on n’a pas loué un appartement sans lavabo correct. Peu importe, c’est « insalubre » ! Le propriétaire (déjà ruiné par ces locataires vandales) comparait comme « marchand de sommeil » … tandis que le locataire devient immédiatement prioritaire pour un logement social !!!

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