Le libéralisme a longtemps été méfiant à l’égard du référendum pour de multiples raisons. Pourtant le recours à une pratique institutionnelle délaissée depuis 20 ans devrait rallier leurs suffrages, non seulement par souci de bonne démocratie mais au nom même de l’inspiration profonde du libéralisme, face aux dérives actuelles du pouvoir d’État.
 Le référendum n’a pas bonne presse chez les libéraux. Des raisons à la fois philosophiques et historiques expliquent leur longue méfiance à l’égard de la consultation directe du peuple : son usage plébiscitaire au service d’un pouvoir personnel par le bonapartisme ; la préférence libérale pour le régime représentatif confiant la gestion des affaires publiques aux détenteurs de « capacités » ; et surtout la crainte de la « tyrannie de la majorité », dénoncée tant par Tocqueville que par Mill, encore plus redoutable pour les droits individuels que l’arbitraire du pouvoir monarchique.
 « Démocratie libérale »
Mais la plupart des libéraux ont évolué, suivant d’ailleurs la voie déjà tracée par Condorcet, en faveur de la démocratie et du suffrage universel, à travers l’enjeu clef de l’instruction publique dont ils ont été les premiers champions, on l’oublie trop souvent.
D’où l’avènement, au cours du dernier siècle et demi en Occident, de cet alliage précieux et si bien nommé, la « démocratie libérale », qui a pris en France la forme du républicanisme. Mais l’hostilité au référendum n’y a pas pour autant disparu, comme l’a bien montré la longue résistance des libéraux à son usage, de la IIIème à la Vème République. Cette résistance s’est encore renforcée après la disparition du général de Gaulle, le référendum étant de moins en moins utilisé au fil du temps, jusqu’à disparaître de la pratique institutionnelle depuis l’échec retentissant du projet de constitution européenne en 2005.
Pour justifier cette évolution, tout un discours savant a été élaboré qui, derrière son progressisme affiché, n’est pas sans rappeler les arguments du plus pur conservatisme d’autrefois, où affleurent vite méfiance, voire mépris à l’égard du peuple : complexité des enjeux, que ne saurait trancher un choix binaire entre « oui » et « non » ; crainte de donner libre cours aux « pulsions populistes » qui s’emparent de la France comme de tout l’Occident ; mais surtout respect de « l’ État de droit », véritable mantra du débat public, invoqué avec la même insistance (et la même absence de définition) que les sacro-saintes « valeurs républicaines ».
Un retour en grâce du référendum ?
Or, face aux nombreux blocages de notre pays, des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour demander le retour du référendum. L’hypothèse en est évoquée régulièrement par le Chef de l’État lui-même, qui semble pourtant ne jamais en trouver, depuis 8 ans, le moment propice. L’actuel Premier ministre y voit, quant à lui, le seul moyen de sortir de l’impasse budgétaire – et d’échapper à la censure. Tout cela donne l’impression de ballons d’essai et de manÅ“uvres dilatoires, d’autant que les grands sujets qui préoccupent l’opinion (immigration, devenir de l’État-providence, fiscalité, sécurité) sont curieusement évacués de la liste des sujets possibles au prix d’infinies arguties politico-juridiques.  Et les mêmes de déplorer « en même temps », la crise de l’esprit civique, la hausse de l’abstention et l’indifférence croissante d’un peuple que l’on ne consulte plus, ou dont on ignore la volonté quand elle est exprimée…
Les défenseurs sincères du référendum ne manquent donc pas d’arguments au nom même de la démocratie, et conformément à l’esprit et la lettre de la Constitution de 1958 : celle-ci ne fait-elle pas du peuple l’unique détenteur de la souveraineté nationale qu’il « exerce par ses représentants et par la voie du référendum » (article 3) ? Un plaidoyer convaincant pour le grand retour de ce dernier vient d’être publié par Raphaël Doan dans un essai aussi bref que convaincant[1].
Les raisons libérales du choix référendaire
Mais la même exigence peut et doit être désormais celle des libéraux, et ce pour des raisons strictement… libérales.
Car, contrairement aux termes du débat tel qu’il est posé, la France n’est nullement aujourd’hui prise dans un dilemme entre liberté et sécurité ou entre souveraineté populaire et libertés individuelles. Elle est bien davantage exposée à la restriction des grandes libertés par une classe politique détenant l’essentiel du pouvoir d’État : configuration contre laquelle les libéraux se sont toujours battus depuis Montesquieu et Bastiat.
La facilité avec laquelle nos Cours suprêmes (Conseil d’Etat et Conseil Constitutionnel) ont ainsi accepté les mesures de contrainte extrême prises durant l’épidémie de la Covid aurait déjà dû alerter. On aurait dû aussi s’étonner du découpage à la hache de la loi immigration de 2024 par le Conseil Constitutionnel au nom d’un littéralisme juridique pointilleux, alors même que ledit Conseil avait fait preuve d’une souplesse interprétative infinie pour faire entrer le principe de fraternité dans le droit positif… Les contorsions du raisonnement juridique que l’on trouve dans nombre de décisions judiciaires ou administratives récentes devraient à tout le moins faire réfléchir les défenseurs extatiques de « l’État de droit ».
Un État qui prouve au demeurant chaque jour son incapacité à assurer ses missions régaliennes premières ; qui, pour compenser son impuissance face aux vrais délinquants, se consacre à la chasse aux fumeurs ; qui cherche à limiter la liberté d’expression au nom du « combat contre la désinformation » ; qui entrave sans cesse davantage, au nom de l’environnement ou de la justice sociale le droit de propriété, pourtant « inviolable et sacré » d’après la Déclaration des droits de l’homme. Bref, qui régente de plus en plus la sphère privée, voire intime, que le libéralisme s’efforce depuis toujours d’arracher à son emprise. Force est de constater que les libertés individuelles sont en péril en France par l’action de l’État lui-même. Ou par son inaction en matière de sécurité publique, fondement même du contrat social dans la philosophie libérale. Rappelons à cet égard que si les libéraux combattent la dictature de la majorité sur les minorités, ils n’ont jamais plaidé, bien au contraire, pour la dictature de ces dernières, quelles qu’elles soient.
Autrement dit, la démocratie a besoin du référendum pour garantir l’exercice de la volonté populaire contre un pouvoir confisqué ; le libéralisme, lui, exige aujourd’hui, en totale continuité avec son inspiration originelle, le même recours pour contrer un pouvoir liberticide.
[1] R. Doan, Faire de la France une démocratie, Paris, 2025.
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