Être libéral est un style de vie, fait de symboles et d’éléments culturels. Notre chroniqueur Olivier Palettu vous en fournit les clefs pour vivre votre libéralisme au quotidien.
Jamais cité, jamais évoqué comme un penseur du libéralisme, François Rabelais (1483-1543) est pourtant l’un de ceux qui ont contribué à forger le monde libéral.
Homme de l’humanisme, savant, théologien, philosophe, il a traité de tous les domaines du savoir de son temps, en montrant l’unité et la coopération. Sur les bords de la Loire, là où fleurissent les châteaux et le nouvel art de la Renaissance, Rabelais est l’un des symboles de l’esprit français.
C’est dans l’abbaye de Thélème (Gargantua) que Rabelais exprime le mieux l’esprit libéral. Cette utopie littéraire est une sorte de monde idéal, un mélange entre le conseil nocturne de Platon et une république des lettres et des beaux esprits. Elle est offerte en récompense à frère Jean des Entommeures par Gargantua pour le remercier de sa contribution à la guerre victorieuse contre Picrochole. Thélème, en grec, c’est la volonté, le vouloir à la fois divin et humain. L’abbaye est donc le fruit de la volonté des hommes, une idée mise en forme et accomplie. Une véritable entreprise, l’essence même du capitalisme. Rabelais en donne une description parfaite, architecturale, qui rappelle les villes du XVIe siècle à une époque où l’architecture était l’art supérieur. La ville doit être belle, car la beauté conduit à la liberté. Elle doit permettre aux urbains de s’épanouir et d’exploiter au mieux leurs possibilités et leurs talents. La ville est ordonnée, comme un grand jardin, elle est tenue, maitrisée ; s’opposant en cela à la nature désordonnée. Autre leçon de Rabelais : c’est la volonté qui permet l’ordre de la société. Une réflexion sur l’ordre qui est au cœur de la réflexion d’hommes comme Frédéric Bastiat et Friedrich Hayek.
Mais Thélème, c’est aussi une image de la Jérusalem céleste telle qu’elle est décrite par saint Jean dans l’Apocalypse. Certains passages donnent presque l’impression d’un plagiat tant Rabelais est fidèle au texte johannique. Ainsi, s’il n’y a pas de chapelle dans cette abbaye, ce n’est pas parce que Dieu est absent, mais parce qu’il est partout, comme expliqué dans l’Apocalypse.
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Les Thélémites vivent d’arts libéraux : la musique, le chant, la littérature, l’histoire, c’est-à -dire les humanités. Ils pratiquent également la chasse, sport noble par excellence. Il n’y a besoin d’aucune règle entre eux, puisque tous sont portés vers le bien et veulent atteindre le bien. La seule règle imposée est dérivée de saint Augustin : « Dilige et quod vis fac », « Aime et fais ce que tu veux ». Pour faire ce que l’on veut, il faut aimer, c’est-à -dire rechercher le bien de la société et des autres. C’est parce que chaque Thélémite vit l’individualisme, c’est-à -dire que l’individu exprime ses talents, contre le tribalisme et le corporatisme, qu’il peut être altruiste et prendre soin des autres. Le bien commun, si essentiel pour les sociétés, ne peut être atteint si la personne n’est pas respectée.
La liberté régnante, la prospérité et la richesse sont là aussi. Les Thélémites vivent dans l’opulence, conséquence de leur travail et de leur inventivité. Thélème, c’est l’esprit du capitalisme.
Mais pour que cette société puisse fonctionner, il faut des personnes ayant les mêmes principes, les mêmes normes, les mêmes valeurs. Le substrat culturel est identique, les objectifs de vie aussi. Thélème peut vivre sans muraille, mais dans un monde qui est pensé sans ennemi. La guerre, omniprésente dans le reste de Gargantua est complètement absente dans les chapitres consacrés à Thélème. En cela, c’est bien une utopie et un rêve. Rabelais pense le monde idéal, un monde libéral, mais sans penser la façon de se défendre des attaques extérieures.
Merci pour cet article évoquant Rabelais, grand écrivain français humaniste de la Renaissance, représentant l’un des symboles de l’esprit français exprimant une façon toute cartésienne d’appréhender le monde : RATIONALISTE et LOGIQUE
(La visite du Musée Rabelais à la Devinière, maison située à Seuilly en Touraine est conseillée)
Cet excellent article sur le libéralisme rabelaisien évoque deux sujets convergents: l’influence d’Érasme sur Rabelais ( cf la fameuse lettre du second au premier) et l’apparition de l’idée de sécularisation dans leurs oeuvres respectives, corolaire de la liberté. Son “libéralisme” conduit Rabelais à être le premier penseur français de la laïcité.