La beauté comme une trêve, de Laurence Verrey

La beauté comme une trêve, un hymne poétique à la création littéraire et à la beauté du texte signé Laurence Verrey.

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La beauté comme une trêve, de Laurence Verrey

Publié le 25 juin 2016
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Par Francis Richard.

La beauté comme une trêve Laurence VerreyTout ce qui n’est point prose est vers ; et tout ce qui n’est point vers est prose, dit le Maître de Philosophie à Monsieur Jourdain. Certes. Mais la poésie peut être prose ou vers. De quoi faire perdre son latin, que, d’ailleurs, il ne possède pas, au bourgeois gentilhomme.

Laurence Verrey vient de publier six proses. Selon la définition molièresque elles ne peuvent donc se confondre avec des vers. Ce sont pourtant des œuvres poétiques et non pas des nouvelles. Car, bien que ces textes soient courts, ils ne font pas d’histoires.

Ce recueil de textes porte le nom de l’un d’eux : La beauté comme une trêve. Il a été placé à la fin. Alors il convient de respecter cet ordre, qui permet de finir sur une manière de point d’orgue, et de commencer par le commencement, qui s’intitule Saisies du brut.

Garder le feu

Ces saisies sont les gestes qui permettent de garder le feu qui est en celui qui écrit, avant qu’il ne s’éteigne : par la main qui sait, trace, affine, recueille : pourfends les nœuds du silence, réveille et dresse le souffle. Et crée. Relève-toi de la mort. Considère que tu es cœur pulsant. Et non, point névralgique de toute douleur.

Mais il y a Sur le chemin, les lettres. Elles frissonnent sous la lune : écoute leur bruit incessant, leur essoufflement, leur prodigalité. Mesure ta proximité avec le langage. Entame un cheminement avec les lettres. Descends par l’escalier circulaire, sonde l’alphabet de ton bâton, jusqu’à ce que tu touches l’une d’elles.

Laurence Verrey en touche plusieurs d’entre elles avec son bâton poétique : le f qui frappe par son flamboiement, par son élégance de femme, alors que le w qui ne laisse place à aucune fantaisie […] est là perdu à la queue du train, avant les crissements du x et l’arrêt du z ; alors que le v est signe de vent, mais d’un vent éveilleur plutôt que narcotique

La poétesse, après avoir loué le o, la plus ouverte des voyelles, rappelle que les lettres originelles, la rondeur du m, le p proéminent du père retracent le chemin de la vie. Mamelles et pénis. Matrice et pulsation. Mort et paradis.

Le souffle ne fait pas défaut

Quand l’inspiration manque et que rien ne vient, le souffle, lui, ne fait pas défaut et, pour le réveiller et le dresser, il faut bien, le temps passant, et sans exclure les grandes effusions, passer avec les choses elles-mêmes une sorte d’alliance. Même les plus inertes en apparence, et les plus communes. Cette alliance prendra soudain un petit air familier, un air d’allumette frottée contre l’esprit et précédera le Passage de la grâce…

Jusqu’où le blanc ? Jusqu’à ce que la plume, devant le livre blanc, jusqu’au prodige, vienne s’abreuver à ce blanc charnel, dépose avec délices quelque frisson sur ce lit offert, lieu des enfantements. Pages comme des draps, vaste couche où déployer les éclats d’une averse de pensée.

Les Nocturnes ne sont pas seulement cette musique, fluide sous le toucher maternel, qui déferlait du grand piano aujourd’hui vendu : Laisse venir à toi ta vie de nuit. L’existence parallèle du songe, qui palpite dans ton cahier. À l’intérieur, les images comme de grands rideaux. […] Les étreintes d’amants sans visage, surgis du désir, l’inaltéré. Toutes ces nuits. Les dons sans fin de la nuit, jaillis de la matrice qui te fait naître plus vaste.

La beauté est fugace, éphémère. Mais quand la tentation du désespoir est là, parce que les atteintes portées contre la vie, contre l’homme n’ont pas de cesse, elle est comme une trêve : D’elle souffle comme un vent de fronde, de liberté qui interdit de plier l’échine. S’il ne faut pas fermer les yeux sur le mal, il faut s’étonner toujours de la splendeur de la création

Le Qoéleth (ou l’Ecclésiaste) dit : Tous les mots sont usés, on ne peut plus les lire. Laurence Verrey répond : Moi je ne me lasse pas de retrouver la jeunesse du verbe, de briser l’oracle, tel un pavot rebelle. Les mots usés ne se figent que sur la langue des résignés. Garde la langue leste, le vin qui la délie, le sacré. Ne perds jamais la petite folie du commencement.

C’est sur ces mots éternellement jeunes et neufs que se termine le recueil de Laurence Verrey, cet hymne à la création littéraire et à la beauté du texte. Dont il est l’insigne illustration…

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