Par Francis Richard.
Ce que nous lisons de littéraire doit nous parler d’une manière ou d’une autre, des êtres et des choses, de nous-mêmes ou des autres, sinon pourquoi lirions-nous ? D’où l’importance des mots que l’auteur emploie et de la longueur du texte qui convient à ses propos.
S’il choisit bien ses mots et qu’ils lui ressemblent, s’il sait nous faire entendre sa petite musique et se faire oublier, il a en fait gagné la partie. Car c’est dès lors à lui que nous nous intéressons, et non plus seulement à ce qu’il écrit.
Bertrand Baumann est à l’aise dans les notules et dans les petits poèmes. Les longs développements ne sont pas sa dimension. Il excelle dans l’instant bien saisi, dans le détail bien vu et dans l’émotion bien ressentie.
Ce qui distingue, selon lui, ses notules de ses poèmes, c’est que ces derniers s’adressent davantage à la sensibilité et au cœur que les premières, qui parlent plutôt à l’esprit. Après donc les notules d’Écrit dans le vent, il nous livre un recueil de ses poèmes, Avec mon destin bras-dessus, bras dessous.
Dans un de ces poèmes il évoque tout de même ses notules difficiles à oublier :
« Le gué
Je me faufile entre les phrases ;
je me défile
dans la marelle des mots ;
vieillard agile,
de notule en notule,
je sautille.
Mais le gué,
je ne l’ai pas traversé. »
Comme il est réellement modeste, il n’ose pas vraiment appeler poèmes ses poèmes, parce qu’ils sont peu travaillés : « J’évite les rimes régulières et les rythmes contraignants, je préfère mettre en valeur les sons, les échos, les rythmes voulus par le sens. » Mais il n’évite pourtant pas toujours ces rimes régulières et ces rythmes contraignants, et ça n’empêche pas cependant la mise en valeur qu’il recherche :
« Cinq heures
Le merle mélodieux me fait signe de vivre,
il est tout dans son chant qui l’enivre et m’enivre,
il siffle pour son arbre et toute la nature
et la nature en lui tient sa note si pure. »
Mais il est vrai que, dans l’ensemble, quand il versifie, il préfère le risque de l’imperfection au sacrifice de la légèreté. C’est en quelque sorte son effet papillon. Cueillir l’instant pour une possible existence vaut mieux que de tenter s’inscrire dans une impossible durée :
« Première neige
La pluie de ce matin est blanche
et les chats, surpris,
hésitent. On dirait qu’il neige.
Les gouttes blanches ont
la fluidité de l’eau,
mais on dit qu’il neige : c’est plus beau.
Ces traits blancs, épars,
sur le papier deviendront
première neige de la saison. »
Son parti pris de légèreté se retrouve même dans des thèmes qui, a priori, ne le sont pas, légers, tels que la mort, qui obsédait Emily Dickinson :
« Quand la Camarde m’enverra un ordre de marche,
je me mettrai à marcher en rond – un moment
– puis il n’y aura plus ni marche ni rond. »
Ou tels que la vieillesse :
« Si je perds la tête,
qui sera la bête
qui m’annoncera
que je suis gaga ? »
C’est donc un vrai bonheur que de lire, de relire et relire ce recueil. A fortiori quand le poète parle de son bonheur communicatif de n’être qu’un être humain :
« La douceur de naître
au soleil du monde,
à l’amour des êtres,
au bonheur de n’être
qu’ici, maintenant,
ce petit néant
dans un tourbillon. »
- Bertrand Baumann, Avec mon destin bras-dessus, bras-dessous, L’Aire, 64 pages.
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