Les entreprises familiales, un modèle de résilience en temps de crise

Tout en alimentant leur mémoire, les entreprises familiales consolident leur place avantageuse d’entreprise innovante par leur conviction de survivre à chaque crise.

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Les entreprises familiales, un modèle de résilience en temps de crise

Publié le 18 septembre 2020
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Par Rania Labaki1.
Un article de The Conversation

Le constat de supériorité des performances financières, environnementales et sociales des entreprises familiales sur celles non familiales pendant la pandémie de Covid-19 ne surprend pas.

Les récentes conclusions du rapport du Crédit Suisse Family 1000 viennent, en effet, réitérer les conclusions d’autres études qui se sont penchées sur les comportements des entreprises familiales pendant différentes crises passées. Autant de signes d’une résilience développée parfois au fil des générations.

Les entreprises familiales portent en elles un modèle de résilience distinctif, animé par un processus d’adaptation face à l’adversité et inclusif de l’ensemble des parties prenantes. C’est ainsi qu’elles réussissent à maintenir un équilibre malgré la complexité de l’organisation.

Cette résilience ne concerne pas que les crises financières car ces entreprises familiales connaissent une grande diversité de crises tout au long de leur cycle de vie. Ces crises puisent leurs sources aussi bien dans l’entreprise, l’actionnariat que la famille voire à l’intersection de ces différents sous-systèmes. Elles peuvent être de nature identitaire, éthique ou encore relationnelle.

Surmonter les aléas rencontrés nécessite que ces entreprises construisent une résilience multidimensionnelle : entrepreneuriale, émotionnelle, sociale, et financière.

Les entreprises familiales sont résilientes : des projets innovants naissent des crises

Les crises encouragent les changements et les innovations. La pérennité des entreprises familiales vient de cette capacité à être résilient et à s’adapter à ces périodes délicates. La preuve dernièrement avec certaines entreprises qui ont su transformer une période difficile en opportunité grâce à un noyau décisionnel plus resserré.

En France, les marques de beauté Sisley, Clarins, ou encore Yves Rocher ont transformé leur réseau de production pour fournir le corps médical en gel hydroalcoolique. L’entreprise française de grande distribution de sport et de loisirs Decathlon a fait don de masques de plongée utiles aux respirateurs dans les hôpitaux. Michelin a rouvert ses usines pour les dédier à la confection de masques et de visières de protection.

C’est également le cas des entreprises familiales présentes dans les pays touchés par une multitude de crises dont la pandémie de Covid-19 fait partie. Au Liban, le Groupe Fernand Hosri a adapté son expertise dans le domaine technologique, en matière de sécurité des télécommunications et des énergies renouvelables, en s’associant avec des partenaires fiables dans le domaine de la robotique.

L’entreprise a ainsi créé un portefeuille d’équipements médicaux, y compris la désinfection basée sur la technologie UV auprès de clients tels que les écoles et les hôpitaux, et proposé des détecteurs d’écran de la température des passagers dans les zones à haute densité et les ports publics.

Comme le mentionne un membre du conseil d’administration :

Toutes ces mesures ne faisaient pas partie de nos plans il y a quelques mois mais visaient à créer et à sauver des emplois tout en maintenant le meilleur niveau de vie possible compte tenu des difficultés actuelles du marché.

Les entreprises familiales font le choix d’innover voire de réinventer leur business modèle, sans porter atteinte à leurs valeurs, pour défier une période de crise. C’est en cela que la résilience entrepreneuriale se définit.

Résilience émotionnelle : la famille apprend à manager ses émotions

Les entreprises familiales sont également connues pour leurs caractéristiques émotionnelles. À ce propos, selon le psychiatre américain Murray Bowen, la famille est un système multigénérationnel +Family+therapy+in+clinical+practice), au degré d’interdépendance émotionnelle divergeant entre membres.

Au fil des crises, la famille apprend à manager ses émotions pour mieux rebondir. La perpétuation de la mémoire familiale et organisationnelle permet de ne pas reproduire ses erreurs. C’est ainsi que, conservée de génération en génération à l’issue de crises similaires, elle devient une référence dans laquelle les entreprises familiales puisent pour trouver la réponse aux problèmes voire réinterprètent au fil du temps.

L’autorégulation de manière homéostatique est là aussi bonifiée. Ce concept de l’homéostasie, étudié sous le prisme familial, est décrit par le psychiatre américain Don Jackson comme la capacité de migrer d’un état stable à un autre pour obtenir un équilibre au niveau des rapports ; équilibre essentiel pour la continuité de ces entreprises familiales en temps critiques. Parmi les moyens mis en place pour favoriser cet équilibre, les entreprises familiales mettent en place des mécanismes de gouvernance familiale.

C’est la cas du Groupe Jacto, une entreprise familiale brésilienne de troisième génération, qui maintient des rituels de réunions familiales et de communication récurrentes et a rédigé une charte familiale :

Les membres de la famille doivent trouver un équilibre afin que lorsqu’une crise éclate, ils puissent prendre des décisions au nom du « nous » plutôt que du « je » […] Si la famille n’est pas en paix, les actionnaires ne sont pas en paix et ne pourront résoudre les problèmes de l’entreprise.

Lors de crises, cette résilience émotionnelle devient alors un atout non négligeable.

Résilience sociale : faire front tous ensemble

Les « loyautés multigénérationnelles » traduisent le principe même de la résilience sociale. En adaptant le concept des « loyautés invisibles (invisible+loyalties) » en psychanalyse familiale aux entreprises familiales, nous avons constaté dans nos recherches que les familles tendent à élargir ces loyautés au-delà du cercle familial intergénérationnel pour englober celui des parties prenantes.

Cela explique en partie comment, par exemple, la Banque Hottinguer qui faisait l’objet de notre étude de cas, une entreprise familiale de septième génération dont les origines remontent à 1786, a traversé de nombreuses et diverses crises.

Au fil des décennies, les parties prenantes tissent des relations de confiance avec le noyau familial et s’y greffent jusqu’à perdurer à travers les générations. Collaborateurs, partenaires, clients, alliés, autant de parties qui forment les acteurs influents de cette sphère.

De ces affinités acquises naît un soutien infaillible à l’entreprise en termes d’écoute et d’aide, en cas de mauvaises passes. Les entreprises familiales sont ainsi préservées dans un environnement conciliant, facilitant l’adaptation face à l’adversité avec des parties prenantes indulgentes.

Cette résilience sociale donne également lieu à un niveau d’engagement stable voire renforcé des collaborateurs, permettant de renforcer les liens pour les générations futures. Nous avions précisé dans nos recherches que ces loyautés étaient mutuelles.

Selon le PDG du Groupe LISI, spécialiste de la conception et de la fabrication de solutions d’assemblage :

Compte tenu des engagements de tous nos collaborateurs, nous avons été les premiers à pouvoir relancer la production et la livraison en mars pour assurer la continuité des programmes clients.

Il ressort en outre des entretiens menés auprès d’entreprises familiales à travers les continents, comme Gruppo Pereira en Espagne, AHB Group à Dubai ou encore Cheung Ah Seung Entreprises à l’île de la Réunion, que le maintien de la sécurité de l’emploi et des employés apparaît comme la priorité de premier plan de ces entreprises au cours de la pandémie de Covid-19. Pour reprendre les termes employés par le Groupe Fernand Hosri, « les collaborateurs sont notre seconde famille ».

Résilience financière : une diversité des solutions financières

Des facteurs de résilience financière comptent aussi. La hiérarchie de préférences de financement des entreprises familiales commence par l’autofinancement, est suivie par la dette, puis l’ouverture du capital en bourse. Le management des ressources financières en temps de crise s’inscrit dans une dynamique d’investissement de long terme avec des collaborateurs, créanciers voire actionnaires conciliants et confiants, notamment en cas de besoins financiers.

Comme le rappelle le PDG du fabricant de lingerie Simone Pérèle, les actionnaires familiaux très engagés dans le projet et sa pérennité ont renouvelé leur engagement et leur confiance en apportant un soutien financier exceptionnel durant cette période.

Le groupe belge de chimie Solvay est un bel exemple où le choix de la résilience financière a permis de braver la crise que nous connaissons actuellement.

L’entreprise familiale s’est adressée à ses actionnaires en la période de crise actuelle avec une question : « pouvons-nous réduire le dividende ? ». Sans appel, la réponse a été oui. Ce jeu à somme nulle (avec un dividende qui ne se retrouve plus chez l’actionnaire mais directement dans les caisses de l’entreprise) dénote cet esprit de sacrifice, particulièrement présent dans les groupes familiaux, et permet à l’entreprise de se maintenir à flot.

Cette résilience financière rejoint la résilience sociale, avec à la clé la création d’un fond de solidarité contre la Covid-19. Pour chaque don sur le fond par un collaborateur, l’entreprise suivait en doublant la somme (un engagement incitant à participer). Ces dons apportent un soutien financier aux employés et les personnes à leur charge touchées par la crise. Dans l’ensemble, cette initiative crée un cercle vertueux pour l’avenir de l’entreprise et de ses collaborateurs, grâce à ces deux facteurs de résilience.

Sur tous les fronts

Comme l’écrivait Léon Tolstoï dans Anna Karenina, « Toutes les familles heureuses le sont de la même manière, les familles malheureuses le sont chacune à sa façon ». Toutes les entreprises familiales ne forment pas un groupe homogène face à la crise.

Ces quatre marqueurs de résilience permettent de distinguer celles qui réussissent à avancer malgré les embûches et ainsi retrouver une homéostasie du système durant cette période.

En impliquant et exposant à la génération suivante le processus poursuivi pour y faire front, elles sont en mesure de préparer la voie du long terme. Tout en alimentant leur mémoire, les entreprises familiales consolident leur place avantageuse d’entreprise innovante par leur conviction de survivre à chaque crise, par leur prise de recul et par leur capacité à forger en interne et en externe des liens de confiance.


Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

  1. Rania Labaki est Directrice de l’EDHEC Family Business Centre, EDHEC Business School.
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  • Autant que les PME/PMI, qui sont pour les observateurs le secret du ‘business model’ allemand, c’est aussi le coté familial, ou du moins ‘à responsabilité limitée’ (mit beschränkter Haftung) qui permet la résilience de ces entreprises…

    Et comme l’écrit l’auteur, c’est partout le cas où ‘les propriétaires entretiennent leur maison’…

  • Entreprise familiale ne veut pas dire petite entreprise, Peugeot est une entreprise familiale.
    Mais savez-vous pourquoi il y en a aussi peu en France, par rapport à l’Allemagne ou l’Italie ?
    C’est assez simple, les droits de succession (45 à 60%) les ont fait disparaître.
    Mais il paraît que ces impôts ne sont pas encore assez élevés, et des comités Théodule comme « France Stratégie » sont à la manoeuvre auprès du Gouvernement, relayés par l’inénarrable Piketty (pique-tout).

    • Globalement toutes les taxes sur le capital tuent nos entreprises : les héritiers n’ont pas souvent d’autre choix que de vendre (ou expatrier).

      • D’une façon générale, toute taxe sur un stock est une hérésie fiscale puisqu’elle détruit l’assiette sur laquelle elle repose.

    • Bercy estime le nombre d’expatriés fiscaux millionnaires à 15000 environ sur les 3 dernières décennies (500 par an). On dit également qu’il manque à la France 8000 ETI et grosses PME familiales comparativement à l’Allemagne. Ce sont potentiellement 2 millions d’emplois directs qui ont été détruits par les taxes sur le capital, sans compter les emplois indirects.

      A ceci, il convient d’ajouter les centaines de milliers de jeunes diplômés sans fortune mais avec du talent qui sont partis exercer leurs compétences là où on accepte de les payer décemment, sans surtaxation délirante.

      Socialisme, désert, pénurie de sable…

  • Quatre qualités, auxquelles manque une bénédiction : la non-financiarisation des activités, les entreprises majoritairement familiales échappant à la course effrénée à la cotation boursière ( au détriment des savoirs technologiques et à la vision à long terme ) Boeing est l’exemple de la financiarisation à l’extrême, en étant arrivé à vendre des avions qui font des bénéfices quand ils se vendent, mais dont on découvre, jour après jour, qu’ils sont construits avec moins que le minimum de contrôles de qualité, un maximum de subornation des organismes de contrôle et un lobbying actif ayant conduit Boeing à rédiger lui-même les lois l’ autorisant à s’auto-contrôler.

    • Pas de rapport. Les entreprises non cotées sont quand même évaluées par les banques et les gestions qui les financent, ce qui revient au même. Airbus, Bombardier et d’autres avionneurs sont également en bourse. Pas les mêmes histoires que Boeing.

      Ca veut dire quoi, la « financiarisation » ? Ca existe, des entreprises sans compte de résultat, ni bilan, ni trésorerie ?

      Au cimetière, éventuellement…

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