Encore une alerte sur la dette et les déficits publics de la France ! La Cour des comptes vient en effet de rendre un rapport sur les finances de notre sécurité sociale (maladie, accidents du travail, autonomie, retraite, famille) d’où il ressort que l’année 2024 s’est conclue sur un déficit de 15,3 milliards d’euros, soit 4,8 milliards de plus que prévu. Ledit déficit passerait à 22,1 milliards en 2025 et à 24,1 milliards en 2028 – toutes ces sommes venant bien évidemment accroître d’autant la dette publique française déjà fort élevée.
Oh, bien sûr, on a l’habitude de ces mises en garde qui animent, voire échauffent la presse et les plateaux télé pendant quelques jours à intervalles réguliers. Quand elles ne viennent pas de la Cour des comptes, ce sont le FMI ou la Commission européenne ou l’OCDE ou les agences de notation qui tirent poliment la sonnette d’alarme avec plus ou moins d’insistance pour inciter la France à réduire ses dépenses et à engager des réformes de structure.
À regarder le profil de nos comptes publics depuis plusieurs décennies, on a toutefois l’impression qu’ils restent essentiellement tributaires de la conjoncture mondiale : lorsque celle-ci est orientée au beau, les constantes du patient France (croissance, emploi, déficits) s’améliorent, mais moins qu’ailleurs, tandis que lorsqu’elle fait grise mine (comme actuellement), les constantes se dégradent. Et comme on part à chaque fois d’une situation plus préoccupante que celle de nos grands voisins comparables, elles se dégradent encore plus qu’ailleurs.
Quant aux réformes fondamentales, n’en cherchez pas, il n’y en a pas eu, ou si peu. Depuis 2017, on peut citer la fin du recrutement au statut de cheminot de la SNCF et le report de l’âge légal de départ en retraite de 62 à 64 ans. Encore faut-il être conscient qu’il s’agit là uniquement de modestes mouvements de curseur visant surtout à faire durer encore quelques années le modèle social que le monde entier nous envie, comme en atteste la trajectoire résolument dynamique de notre dette publique :
Cependant, une fois n’est pas coutume, le coup de semonce de cette semaine nous est donné dans des termes plus sombres, plus inquiétants que d’habitude. Soulignant que la dégradation des comptes sociaux s’est produite en l’absence de crise économique ou de situation pandémique appelant des moyens exceptionnels, les magistrats financiers évoquent clairement l’éventualité d’une “crise de liquidité” qui pourrait faire courir un “risque sur le financement des prestations”. En clair, un risque de cessation de paiement d’une partie des prestations (remboursements médicaux, pensions de retraite…) alors que les prêteurs habituels renâcleraient à s’engager plus avant dans une dette française en roue libre.
Les auteurs du rapport qualifient du reste la trajectoire des comptes sociaux de “hors de contrôle”. Dans ses commentaires destinés aux médias, le Premier président de la Cour des comptes Pierre Moscovici va encore plus loin. Pour lui, c’est l’ensemble des comptes publics qui est devenu hors de contrôle. Et d’égrener lundi 26 mai dernier sur RTL les grandeurs bien connues des lecteurs de ce blog (vidéo ci-dessous, 11′ 18) :
“Nous avons un déficit qui est à 5,8 % du PIB, alors qu’il devrait être à 3 %. Nous avons une dette publique qui est de 3 300 milliards d’euros, 113 % du PIB, nous sommes les troisièmes en Europe. Nous avons une charge de la dette qui est de 67 milliards d’euros, plus que le budget de la Défense (…) Nous avons perdu le contrôle sur nos finances publiques. Systématiquement (…) nous avons surévalué les recettes, et pas contrôlé les dépenses.”
À ce propos, on sait déjà que le Projet de loi de finances pour 2025 adopté en décembre 2024 a été conçu selon une hypothèse de croissance qui était déjà obsolète à ce moment-là. Estimée à 0,9 %, elle devait permettre de ramener le déficit public à 5,4 % du PIB en 2025 après le dérapage à 5,8 % de 2024. Or les prévisions récentes les plus optimistes ne la voient guère plus haut que 0,6 % cette année.
Bref, la charge de la Cour des comptes a le mérite d’être claire. La solution aussi : “Il faut faire des économies, réduire nos dépenses”. Ce n’est pas de “l’austérité”, précise M. Moscovici en réponse à une question du journaliste qui l’interroge, rappelant que nos dépenses publiques représentent tout de même 57 % du PIB !
Mais réduire nos dépenses est-il possible sans rien changer au cadre de notre modèle économique et social qui parie sur la redistribution pour le social et sur le dirigisme de l’État stratège pour l’économique ?
Si la Cour des comptes n’a pas son pareil pour pointer les déficiences et les gabegies qui entourent l’utilisation des fonds publics, elle est en revanche beaucoup plus timorée dès lors qu’il s’agit de faire des recommandations. Au mieux conseille-t-elle d’améliorer la gouvernance de ceci ou cela, de faire acte de concertation avec les acteurs de tel ou tel projet étatique, de mettre en place des suivis et des bilans de projets et de pratiquer autant que faire se peut la chasse au gaspi dans les administrations. Des recommandations au fond bien anodines, qui n’envisagent jamais que l’on puisse procéder autrement et qui, de toute façon, restent la plupart du temps lettre morte.
Il se trouve cependant que nous en sommes arrivés à un point de quadrature du cercle que l’on ne pourra plus résoudre par accroissement des impôts et de la dette, compte tenu des niveaux colossaux déjà atteints par ces deux grandeurs. Le rapport sur les comptes sociaux de la Cour des comptes nous donne justement un exemple particulièrement évocateur de l’impasse dans laquelle nous, les Français, sommes désespérément engagés :
Il s’avère que les réductions de cotisations sociales patronales sur les bas salaires (jusqu’à 1,6, 2,5 ou 3,5 SMIC selon les prestations – maladie, retraite ou allocations familiales) sont théoriquement compensées par l’État, mais restent dans les faits en partie à la charge de la Sécurité sociale. La Cour recommande donc “une meilleure maîtrise de la dynamique des allègements généraux de cotisations sociales”, autrement dit une limitation voire une baisse de ces allègements, c’est-à-dire concrètement une hausse des cotisations sociales patronales.
Le problème, c’est que les allègements en question ont été introduits dans l’objectif très précis de baisser le coût du travail, notoirement très élevé en France, et de favoriser l’emploi des salariés les moins qualifiés ou de qualification intermédiaire.
Cela signifie très précisément que notre système de protection sociale est trop coûteux, qu’il faut l’alléger pour que les entreprises françaises gagnent en compétitivité, mais qu’en l’allégeant, on se met en situation de ne plus pouvoir financer les prestations.
Cela signifie en outre que l’État français n’a plus aucune marge de manœuvre budgétaire et qu’il en est à pratiquer la technique des vases communicants pour donner encore quelque temps l’illusion de sa maîtrise des comptes publics. La Cour des comptes suggère notamment de compenser la baisse des allègements de charge auprès des entreprises par “une modulation des impôts de production”. Comprendre baisse. Mais dans ce cas-là, c’est le budget de l’État qui sera affecté par de moindres recettes, ce qui donnera de toute façon lieu à de la dette publique en plus.
Voilà l’impasse. Voilà la quadrature du cercle. Les impôts sont trop élevés, les cotisations sociales aussi, mais on ne peut les baisser car les dépenses continuent d’augmenter, même au-delà du “quoi qu’il en coûte”, comme si personne ne maîtrisait plus rien dans nos administrations. On tourne en rond, mais rien ne change, rien ne s’améliore. À croire que l’on attend la cessation de paiement effective, et les turbulences qui l’accompagneront inévitablement, pour sortir de notre torpeur collective – et collectiviste.
Sauf à envisager de commencer à penser hors du cadre étatique figé en 1945. Au bout de quatre-vingts ans, on peut se permettre de reconstruire la maison qui s’effondre en raison de ses calamiteuses fondations. Et là, un geste architectural « novateur », je dirais même « libéral », du champ lexical et politique de la liberté, s’impose.
Le médiatique Moscovici piaffe d’impatience pour enfin annoncer qu’il lui arrive de penser à l’Elysée quand il se rase. La mode étant au mal rasage, ce n’est pas encore très clair pour tout le monde mais ça nous pend au nez.
Il pourra nous dire qu’il est le mieux placé pour résoudre la situation catastrophique de nos finances et qu’il est prêt à faire don de sa personne à la France. Il oubliera de nous rappeler qu’il n’est pas pour rien dans cette gabegie socialiste.