Les six définitions de la démocratie en France : le vrai débat politique

Les six définitions de la démocratie en France : un éclairage sur la confusion actuelle dans le débat politique.

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Les six définitions de la démocratie en France : le vrai débat politique

Publié le 25 avril 2023
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Un article de La Nouvelle Lettre

 

Actuellement le désordre n’est pas seulement dans la rue, il est aussi dans les esprits, et beaucoup de poubelles intellectuelles encombrent le débat politique. Madame Rousseau est considérée comme un bel esprit, et elle nous alarme : la démocratie est en danger, ce qui légitime la sainte et pacifique colère de la NUPES.

 

Plusieurs définitions de la démocratie

Mais en ma qualité (relative) d’observateur objectif de l’actualité politique, j’ai déjà repéré plusieurs définitions de la démocratie qui circulent simultanément en France à l’heure actuelle. Elles sont au nombre de six, pas moins !

La démocratie parlementaire 

Ce sont les élus représentatifs du peuple qui détiennent le pouvoir. Elle ne peut exister avec la Constitution révisée par Jacques Chirac : ou bien les élections législatives apportent une majorité de godillots à l’Assemblée nationale et le pouvoir n’est plus au Parlement mais à l’Élysée et Matignon, ou bien il n’y a pas de majorité présidentielle à l’Assemblée, et le Parlement est impuissant et conscient de l’être. Ce n’est pas donc pas cette démocratie que nous vivons.

La démocratie populiste 

C’est celle du bon peuple qui défile dans la rue, bloque les transports, les raffineries, coupe l’électricité, ferme les classes, vide les lycées et les universités. Cette démocratie a pour elle l’alibi statistique : trois quarts de Français sondés sont opposés à la réforme des retraites, mais pour des raisons très diverses. C’est cette démocratie qui a sans doute la préférence de madame Rousseau. Elle peut même s’enrichir d’opérations zadistes, de « désobéissance civique » comme la lutte contre les mégabassines, voire la casse de symboles du capitalisme comme les banques, les MacDo, Louis Vuitton, etc.

La démocratie sociale 

C’est celle où un État bienveillant fait confiance aux partenaires sociaux pour régler la vie économique et les rapports sociaux. En fait, cette démocratie n’est ni réelle ni représentative. Elle est irréelle parce que le pouvoir politique finit toujours par imposer ses vues : d’une part à travers la gestion du monopole de la Sécurité sociale, source de dépenses publiques engagées pour la retraite, la santé, l’indemnisation du chômage ; d’autre part à travers son poids dans le droit du travail et dans le niveau des salaires.

Cette démocratie n’est pas représentative car les syndicats ne vivent pas de l’adhésion des salariés, de même que les instances patronales sont dominées par de grandes sociétés et laissées aux mains de négociateurs très loin des réalités des entreprises. En fait, les partenaires sociaux appartiennent à la classe politique, ils ne constituent pas un « corps intermédiaire » entre pouvoir et peuple ; certains ne cachent pas leur inspiration idéologique, ils sont plus discrets sur les privilèges et financements qu’ils obtiennent.

La démocratie corporative 

Comme la démocratie sociale, elle ne représente pas le peuple, en dépit de la sympathie que leur porte une majorité de Français. Certaines activités ou certains métiers ont la chance de jouir d’une protection particulière de la part de la classe politique. C’est le cas des agriculteurs (ce n’est pas spécifique aux paysans français, dans le monde entier les agriculteurs sont protégés contre la concurrence étrangère, mais il est vrai que la Politique Agricole Commune a amplifié le pouvoir de ces minorités) ; c’est le cas des pêcheurs, et c’est de plus en plus le cas des « écologistes » au sens large, c’est-à-dire de toutes les activités ayant un lien (parfois très lointain) avec la transition énergétique et la sauvegarde de la planète. Avec le soutien financier et médiatique qu’elle reçoit, la voiture électrique est un bon exemple de démocratie corporative, même si elle ruine les constructeurs européens.

La démocratie délibérative 

C’est la forme la plus nouvelle et la plus originale. Seule la France la pratique grâce à la créativité de son président Emmanuel Macron. À vrai dire, elle avait eu un précédent au temps de la Révolution française quand les Jacobins l’ont dominée, mais cela fleure bon d’avoir à nouveau des Conventions citoyennes. Ici, le peuple est dignement représenté par quelques citoyens tirés au sort, cependant flanqués de « sachants » triés sur le volet. Les Conventions fonctionnent maintenant sous la houlette du Conseil économique, social et environnemental dont on sait qu’il ne représente rien. En revanche, leurs conclusions sont très appréciées du pouvoir élyséen. À une exception près (celle du « crime d’écocide ») Emmanuel Macron avait accepté les 159 propositions de la Convention pour le climat. Et c’est la Convention sur la fin de vie qui sera la base du projet de loi « éthique » qui a évidemment toute autorité morale, religieuse et scientifique pour réglementer l’euthanasie ! Les grands débats organisés par le président pour en finir avec les Gilets jaunes étaient en effet des modèles de démocratie. Nul doute que les Européens se mettront une fois de plus à l’heure de la France…

La démocratie directe 

Elle pourrait avoir l’aval des libéraux si les procédures de référendums obéissaient aux mêmes règles que les « votations helvétiques » : d’abord subsidiarité, les votations règlent le plus souvent les affaires de la municipalité ou du canton, et les referendums organisés au niveau de la confédération sont rares et souvent rejetés parce que la fédération est plus socialiste que les cantons (par exemple l’instauration d’un SMIC a été refusée à plusieurs reprises). Les votations sont également réalisées après de longues périodes de débats, pas question de 49-3. En France, les référendums sont une façade. Organisés par les articles 11, 89 et 88-5, ils ont pris le caractère d’un plébiscite : justifier l’initiative du président qui peut ainsi se passer de toute référence parlementaire. Le président du Sénat a qualifié de « forfaiture » le référendum de 1962 sur l’autodétermination de l’Algérie. Et lorsque le référendum est rejeté, comme à propos de la ratification du traité de Maastricht, les gouvernants reviennent à la démocratie parlementaire ! Le référendum sur Notre-Dame-des-Landes a été classé sans suite par le gouvernement.

 

On a beaucoup évoqué ces derniers jours le RIP, référendum d’initiative partagée, qui associe les membres de l’Assemblée et le peuple lançant une pétition. Mais ses conditions d’ouverture en font l’occasion d’une démarche politicienne, et le pouvoir serait bien placé pour en neutraliser l’exécution, même à supposer que le Conseil constitutionnel l’ait autorisé.

Restent enfin les référendums locaux, dont l’objet est étroitement limité et qui prennent souvent une dimension plébiscitaire pour la municipalité, le département ou la région.

 

Mais alors, quid réellement de la démocratie ? 

La démocratie est sacralisée par la formule d’Abraham Lincoln « Le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple », reprise dans l’article 2 alinéa 5 de la Constitution de 1958. Mais cette définition n’a pas de contenu réel.

Gouvernement du peuple ? La démocratie ne concerne pas un peuple, mais des personnes qui bénéficient de droits individuels. Le holisme et le collectivisme sont liberticides.

Par le peuple ? La démocratie conduit à confier le pouvoir à une majorité et de très nombreux citoyens sont exclus de la vie politique ; souvent la démocratie ne représente qu’une partie des citoyens, les droits de la minorité ne sont pas reconnus.

Pour le peuple ? La démocratie est souvent distribution de privilèges, notamment au profit des nomenklaturas gouvernantes, et le jeu du « marché politique » tourne à la démagogie et à la séduction de l’électeur médian.

Il y a cependant quelques mérites à reconnaître la démocratie. Comme le rappelle Hayek, la démocratie n’est pas une fin mais un moyen. Quels résultats peut-on attendre de la démocratie ?

À cette question voici les réponses de Hayek :

  1. Elle est un moyen pacifique de régler des conflits au sein d’une population, elle évite violences et guerres civiles.
  2. Elle est porteuse de liberté ; c’est ce que démontre à peu près l’histoire.
  3. Elle est école de citoyenneté ; davantage de personnes ont connaissance des résultats des politiques choisies. Tocqueville admirait la démocratie américaine pour cette raison.

 

Mais Hayek s’empresse d’ajouter que beaucoup de régimes dits démocratiques ne garantissent aucune liberté, beaucoup de dictateurs ayant acquis le pouvoir à la suite d’élections libres (Hitler, Mussolini, Lénine par exemple).

Une autre erreur à éviter est d’assimiler démocratie et république. Il est évident qu’en Europe les monarchies constitutionnelles garantissent les droits individuels et font régner une grande harmonie sociale. Il en est ainsi d’abord grâce au respect de Constitutions libérales limitant le pouvoir de l’État, et respectant la subsidiarité ; ensuite, parce que la monarchie incarne les valeurs civiques et morales qu’apprécie la société civile, tandis que le Parlement assure les fonctions politiques. C’est très visible quand se posent des questions « sociétales ». Les monarchies constitutionnelles assurent ainsi un équilibre entre société civile et classe politique. Par contraste, la démocratie française est « une et indivisible ».

Oui, il y a beaucoup à apprendre pour définir la démocratie, et la classe politique française demeure ignorante de ce qui peut être le pire des systèmes, « à l’exception de tous les autres », comme l’énonçait Churchill. Je reste cependant persuadé que le vrai débat n’est pas pour ou contre la démocratie, mais entre socialisme et libéralisme, entre collectivisme et humanisme.

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  • Elles sont bizarres les pattes du pigeon, non ?
    Pour le reste, rien d’intéressant à signaler.

    -1
  • La démocratie, c’est la prise des décisions qui le concerne par le peuple ou ses représentants.
    Ainsi, on ne peut dès lors parler de démocratie délibérative : conventions de personnes tirées au sort ou café du commerce, cela ne débouche sur aucune décision.
    La démocratie doit s’exercer à différents niveaux selon la nature des problèmes à résoudre. Ce qui annihile tous nos efforts de recherche démocratique, c’est la centralisation du pouvoir jadis à « Paris », désormais entre les mains d’une personne seule. Il nous faudrait mettre en place une véritable démocratie locale, à l’image des Länders allemands qui ont des compétences bien plus larges que nos régions. Le vieux jacobinisme français nous pénalise beaucoup.

    • Hélas on ne peut pas réécrire l’histoire. On ne peut qu’espérer que devant les limites de la verticalité, de nombreuses initiatives locales émergent et infusent peu à peu le pourvoir par le bas.

  • Avatar
    m_mboyeralain@orange.fr
    25 avril 2023 at 11 h 24 min

    Juste deux erreurs historiques dans cet article intéressant : ce n’est pas le referendum sur l’indépendance de l’Algérie que Gaston Monnerville a qualifié de « forfaiture » en 1962, mais l’élection du PR au suffrage universel, adoptée par referendum. D’autre part, il est totalement faux de soutenir que Lénine soit arrivé au pouvoir par des élections ! C’est un putsch (octobre= novembre 17), suivi en janvier 18 par la dissolution immédiate de l’Assemblée élue, où les bolchéviques n’étaient pas majoritaires. Les cas de Mussolini et de Hitler sont moins clairs, mais au moins pour le premier, il a été nommé à la tête du gouvernement après la marche sur Rome et avant que des élections ne donnent la majorité au parti fasciste.

  • «le vrai débat n’est pas pour ou contre la démocratie, mais entre socialisme et libéralisme, entre collectivisme et humanisme.»

    Mais non ce n’est pas une question de débat surtout à ce niveau, celui d’une doctrine. D’ailleurs notre constitution est plutôt libérale ce qui n’interdit pas les dérives. La tension entre socialisme et libéralisme est constante et incarnée dans les rapports sociaux, elle s’incrit dans le flux de l’histoire. Les changements viennent de la pratique du réel, les grandes idées les accompagnent et les enrichissent, le communisme s’est effondré de lui-même. C’est valable aussi dans le sens inverse. Les débats n’ont jamais écrit l’histoire.

    • Le communisme s’est peut-être effondré dans l’application pratique hors de nos frontières, mais il ne s’est jamais aussi bien porté dans les têtes françaises. « Propriété privée » est devenu un gros mot et ne pas appartenir à la classe sociale dominante, celle des paresseux gauches aux droits verts, une déviance unanimement condamnée.

      • Dans le même temps le français rêve, s’il ne l’est pas déjà, de devenir propriétaire de son logement particulièrement un pavillon. Et on peut penser qu’il y tient vraiment une fois acquis lorsqu’on voit la manière assez exclusive dont il délimite les contours. Après il y a les mots mais c’est de l’ordre du faites ce que je dis et pas ce que je fais.

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