Pas d’ordures à l’abandon dans une société libre

Les éboueurs en grève soulèvent la question de la responsabilité de l’État dans la gestion des services publics et des monopoles.

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Pas d’ordures à l’abandon dans une société libre

Publié le 6 avril 2023
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Pendant les récentes grèves, les ordures ménagères se sont entassées dans les rues, nuisant au bien-être des Français. Les photos de milliers de poubelles dans Paris ont choqué à l’étranger, dégradant encore plus une image de la France déjà écornée. Mais il faut dire que tout aussi choquantes sont la tolérance ou la résignation des Français face à cette accumulation d’immondices.

Si les idées libérales étaient davantage comprises et répandues en France, les Français comprendraient mieux à quel point l’organisation politique actuelle est non seulement inefficace mais aussi et surtout moralement inacceptable quand elle permet à une telle situation de se développer. D’ailleurs, il n’est pas possible de comprendre le problème des déchets non collectés sans comprendre plus largement la problématique des biens soi-disant publics.

 

Les éboueurs et le « droit » de grève

Puisque la cause directe des amas d’ordures dans les rues est la grève des éboueurs, il faut évoquer le « droit de grève ». Dans une société libre, pouvoir décider unilatéralement de ne pas travailler ne serait pas un droit légal protégé par la loi. Le « droit de grève » actuel doit alors plutôt être considéré comme une ingérence injuste de l’État dans la relation entre employé et employeur ; en d’autres termes, une défense par l’État de la violation du contrat de travail par des employés syndiqués.

Dans un marché libre les travailleurs ne peuvent pas être interdits d’adhérer à des syndicats ; au contraire, des employés de catégories professionnelles similaires ont naturellement un intérêt à s’organiser, par exemple pour mieux négocier les contrats de travail avec les employeurs. Par contre, sans subventions de l’État, les syndicats utiliseraient prudemment l’arme de la grève contre une entreprise privée et ne devraient pas s’attendre a être défendus par l’État.

Dans un marché libre, l’employeur pourrait légitimement répondre par une baisse de salaire, une sanction ou un licenciement de l’employé gréviste. De plus, si une grève empêchait certains produits ou services d’être proposés par une entreprise, elle perdrait des parts de marché et des entreprises concurrentes prendraient immédiatement le relais.

Mais le problème de la grève des fonctionnaires, qu’ils soient éboueurs ou cheminots, est qu’ils sont en position de monopole et que leurs victimes sont des citoyens et des entreprises tierces – et pas leur employeur. Le « droit de grève » des fonctionnaires a donc encore moins de raison d’être toléré par le libéral. En effet, dans beaucoup de pays, comme l’Allemagne, l’Estonie ou la Turquie, les fonctionnaires n’ont pas de droit de grève, dans la mesure où ils sont au service de la société et que leur grève pénalise seulement le public.

D’ailleurs, même en France le Conseil constitutionnel a décidé (n°79-105 DC du 25 juillet 1979) que le droit de grève n’est pas simplement « acquis » dans la fonction publique. Au contraire, il est toujours à mettre en relation avec le service fourni et il est possible de décider « l’interdiction du droit de grève aux agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays ». La collecte quotidienne des ordures ne serait-elle pas un « besoin essentiel » ?

Il faut rappeler que certaines fonctions publiques sont déjà exclues du droit de grève, comme la police, les juges, les militaires, le personnel pénitencier, etc. En 1964, De Gaulle avait aussi interdit le droit de grève aux contrôleurs aériens (loi ensuite partiellement abrogée en 1984). Pour quand les éboueurs ?

 

La place « publique » n’est pas publique

Mais la cause fondamentale des tas d’ordures dans les rues à la suite à la grève des éboueurs est que la rue est considérée comme un bien public. C’est la notion étatiste selon laquelle certains biens auraient des caractéristiques particulières qui les rendent publics, comme supposément les voies et les places des villes, et que d’autres biens auraient des caractéristiques qui les classent clairement en tant que biens privés.

Deux arguments sont utilisés pour essayer de justifier l’existence des biens publics :

  1. La supposée impossibilité de limiter la jouissance de ces biens aux utilisateurs payants (notion de « passager clandestin »).
  2. Les non-payants ne nuisent pas aux payants quand les premiers jouissent du bien (notion de non-rivalité).

 

Cependant, cette distinction entre bien privé et public est artificielle comme le démontra brillamment le professeur Hoppe dans un essai souvent cité :

« Il n’existe pas de dichotomie nette entre biens privés et biens publics, et c’est essentiellement pour cela qu’il peut y avoir tant de désaccords sur la façon de classer un bien. Tous les biens sont plus ou moins privés ou publics et peuvent – et changent constamment – en ce qui concerne leur degré de caractère privé/public, à mesure que les valeurs et les évaluations des gens changent, et que des changements se produisent dans la composition de la population. »

Il n’y a donc aucune raison de considérer que les voies et les places soient des biens publics ; et beaucoup d’exemples historiques et actuels montrent que ce n’est en effet pas le cas. En réalité, les places et les voies publiques n’ont qu’une caractéristique qui les rend particulières : leur seul possible propriétaire est l’État dans la grande majorité des cas. Leur caractère de bien public est implicitement utilisé pour justifier que l’État doit en être propriétaire.

Étant donné que les voies sont propriété de l’État, il ne faut pas s’étonner du délabrement et du manque d’entretien de celles-ci dans beaucoup de villes du monde, dont Paris. L’existence d’un monopole légal sur ces biens minimise l’incitation pour l’État d’en maintenir la qualité. Pis, les riverains n’ont pas d’autre choix que les utiliser, car les voies étatiques commencent sous forme de trottoirs à l’entrée même des propriétés privées. Il y a donc non seulement une absence totale de choix pour les usagers, mais ceux-ci sont même obligés d’utiliser la voie publique, souvent de mauvaise qualité. Le même raisonnement s’applique évidemment à beaucoup d’autre biens dits publics.

En conclusion, pour les deux raisons présentées ici, il ne faut donc pas s’étonner que les riverains soient forcés de supporter des milliers de tonnes d’ordures non collectées sur les voies de France. La tolérance des Français aux poubelles devant leurs foyers montre à quel point le libéralisme est absent de la scène idéologique et intellectuelle en France.

Même si les idées présentées ci-dessus sont généralement considérées comme impensables aujourd’hui, il ne faut pas oublier qu’elles étaient banales au XIXe siècle. C’est un signe que les libéraux doivent continuer leurs efforts pour expliquer et convaincre les Français que le salut économique, politique et culturel de la France passe par la liberté.

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  • ce que je ne comprends pas, c’est que les riverains déposent leur ordure alors qu’ils savent qu’il y a grève, se plaignent, au lieu de s’organiser autrement.

    • Si vous avez des idées pour comment s’organiser autrement, je suis preneur.

      • Déjà avec le tri vous pouvez ne pas déposer les emballages qui peuvent se stoker facilement. Quand je vois des reportages de tas de cartons devant un magasin et le gérant se plaindre alors que c’est sans doute ses cartons. Pareil pour les marchés, ils n’ont qu’a repartir avec leurs déchets.
        Les français sont comme cela, des raleurs, mais quand il faut retrousser ses manches il n’y a plus personne.

        • Yaka.
          La première chose, c’est que l’on paie très cher pour le traitement de ses déchets, et que l’on n’a pas le droit de s’en débarrasser autrement que suivant les stipulations du code d’hygiène publique, lequel n’est pas suspendu parce que c’est la grève des éboueurs. Ceci est aussi vrai pour un magasin, ou pour un marché où on paye un droit de place qui comprend la collecte des déchets. La seconde, c’est qu’à partir du moment où on a payé, on s’est organisé en fonction de ce pour quoi on a payé. Par exemple, pour ne pas encombrer le couloir, le local poubelles a été conçu en supposant la collecte régulière. Donc même si la municipalité vous remboursait pour le service non rendu, le coût de se dépatouiller tout seul serait encore bien supérieur à celui qui vous serait remboursé. La troisième, c’est qu’on n’a pas assez de bons gérants de magasin pour se permettre de les laisser occupés à évacuer ou stocker les cartons quand on a besoin d’eux pour faire leur travail.
          Avez-vous jamais été commerçant sur un marché, pour savoir mieux qu’eux que ce serait simple de remettre les emballages dans le camion et de les stocker quelques années en concurrence avec les produits à vendre ?

          • Donc vous avez raison Yaka rien faire à part râler.

            • Mais je ne râle pas. Je travaille à convaincre de mieux payer les gens qui font leur boulot et de virer sans indemnités ni droit au chômage ceux qui s’y refusent en criant « débrouillez-vous ! ». Malheureusement, je suis bien seul…

  • « Dans une société libre, pouvoir décider unilatéralement de ne pas travailler ne serait pas un droit légal protégé par la loi. »

    Et voilà pourquoi le libéralisme que vous attendez n’a aucune chance de percer en France (préambule de 1946) ou en Europe (Convention européenne des droits de l’homme).
    Voilà pourquoi même un libéral light (de droite et de gauche) a été infoutu de réunir 500 signatures à la dernière présidentielle.
    Voilà pourquoi vous allez continuer longtemps à végéter dans l’antichambre du pouvoir.

    « On croit que les rêves, c’est fait pour se réaliser. C’est ça, le problème des rêves : c’est que c’est fait pour être rêvé. » (Coluche)

    • Vous me faites penser à Le Pen qui a longtemps proposé de sortir de l’Europe, de l’Euro, de refuser toutes les évolutions sociétales. Etc. Elle au moins a compris que si elle voulait décrocher la timbale, elle devait arrêter de croire aux licornes, se concentrer sur l’essentiel et chercher à établir un programme votable par une majorité d’électeurs.

      • « un programme votable par une majorité d’électeurs »

        Faire payer les riches, la stratégie Marine Mélenchon.

        • … et Macron. Tant qu’on n’établira pas un programme sensé indépendamment des personnes, et que les candidats ne seront pas au service de ce programme plutôt que le programme au service des candidats, aucune chance.

    • Avatar
      jacques lemiere
      7 avril 2023 at 20 h 49 min

      pas faux..

  • Les commentaires sont fermés.

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