Mandat d’arrêt international à l’encontre de Vladimir Poutine : quelles conséquences dans la pratique ?

Si Vladimir Poutine a peu de probabilités d’être arrêté, il est encore moins probable qu’il se trouve un jour déféré devant la Cour pour répondre de ses crimes.

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Mandat d’arrêt international à l’encontre de Vladimir Poutine : quelles conséquences dans la pratique ?

Publié le 25 mars 2023
- A +

C’est une information largement commentée depuis plusieurs jours.

Le vendredi 17 mars, un peu plus d’un an après le début de l’offensive militaire russe en Ukraine, la Cour pénale internationale a émis deux mandats d’arrêt : l’un contre la commissaire présidentielle aux droits de l’enfant en Russie, Maria Alekseyevna Lvova-Belova, l’autre contre le président russe Vladimir Vladimirovitch Poutine.

C’est parce qu’elle est convaincue qu’il y a « des motifs raisonnables de croire »1 que Mme Lyova-Belova et monsieur Poutine ont commis des crimes de guerre consistant dans la déportation et le transfert illégaux d’enfants ukrainiens, que sur requête du procureur la Chambre préliminaire II de la Cour a délivré les deux mandats.

La Cour pénale internationale ne dispose pas de police pour exécuter ses mandats d’arrêt. Il relève en effet désormais de la responsabilité des 123 États parties au Statut de Rome (entré en vigueur le 1er juillet 2002) d’exécuter ces mandats en arrêtant et en remettant à la Cour les personnes visées qui se trouveraient sur leur territoire2.

Si, sans surprise, la Russie – qui n’a pas ratifié le Statut de Rome – a réagi immédiatement en niant toute valeur juridique aux mandats d’arrêt, les enjeux politiques et juridiques d’une telle décision prise à l’encontre d’un chef d’État en exercice, dont le pays est membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies et optionnellement, première puissance nucléaire mondiale, sont majeurs.

Alors, cette décision pourra-t-elle avoir un impact sur la diplomatie russe, pendant et après le conflit russo-ukrainien ?

Quelle sera sa portée réelle sur l’exercice, par le président russe, de son autorité ?

 

Rappel de droit et procédure devant la Cour pénale internationale

Si les mandats ne seront pas rendus publics pour des raisons tenant à la protection des victimes et des témoins, ainsi qu’à la sécurité des investigations, la Cour pénale internationale a porté à la connaissance de tous un certain nombre d’éléments.

Vladimir Poutine est accusé d’avoir commis directement et conjointement avec d’autres personnes ou par leur intermédiaire3 la déportation et le transfert illégaux de plusieurs centaines d’enfants enlevés à des orphelinats et à des maisons d’accueil. Ils auraient été confiés à l’adoption en Russie suivant un processus de « russification » en violation totale des dispositions du Statut de Rome4 qui énumère la liste des infractions graves constitutives de crimes de guerre d’après la quatrième Convention de Genève5. Le président russe est également accusé de n’avoir pas exercé le contrôle qui convenait sur les subordonnés placés sous son autorité et son contrôle effectifs, ayant commis les mêmes crimes ou permis leur commission6.

La compétence de la Cour pénale internationale s’exerce lorsqu’un État – ici la Russie – est dans l’incapacité ou n’est pas disposé à mener véritablement à bien des enquêtes et de traduire en justice les auteurs des crimes les plus graves touchant l’ensemble de la communauté internationale.

Lorsque de tels faits se présentent, la Cour peut alors intervenir dans deux hypothèses :

  1. L’auteur présumé est ressortissant d’un État partie au Statut de Rome.
  2. Le crime a été commis sur le territoire d’un État partie.

 

C’est cette seconde hypothèse qui s’applique car bien qu’elle n’ait pas ratifié le Statut de Rome, l’Ukraine a accepté la compétence de la Cour pour les crimes commis sur son territoire7.

Dès lors que la compétence de la Cour pourrait s’exercer, le procureur actuel Karim Khan dispose du pouvoir d’ouvrir une enquête aux fins de recueillir et analyser les renseignements portés à sa connaissance. Il ne peut cependant émettre lui-même les mandats d’arrêt et pour ce faire il doit solliciter l’une des deux Chambres préliminaires de la Cour. La Chambre composée de trois juges examine sa requête et les éléments de preuve et renseignements qu’elle contient. Pour émettre un mandat d’arrêt, la formation devra être convaincue qu’existent des motifs raisonnables de croire que la personne en cause a commis un crime relevant de la compétence de la Cour et que son arrestation est nécessaire pour garantir qu’elle comparaîtra, ne fera pas obstacle à l’enquête ou à la procédure, ou ne poursuivra pas l’exécution du crime reproché8.

L’émission d’un mandat d’arrêt est donc le résultat d’un processus relativement long, nécessitant que soit produit un certain nombre d’éléments de preuve sur la commission des faits constitutifs du ou des crime(s) en cause, et en l’espèce donc, sur l’implication du président Vladimir Poutine.

En outre, et pour bien comprendre la portée de cette décision, un certain nombre d’éléments doivent être pris en considération.

Il s’agit déjà de la nature des crimes en cause, qui, s’agissant d’enfants, est considérée comme particulièrement odieuse. Les enfants bénéficient d’ailleurs d’un statut particulier au sein de la quatrième Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre qui, rappelons-le, a été ratifiée tant par l’Ukraine que par la Fédération de Russie.

En identifiant le président Poutine comme suspecté d’être à l’origine de crimes de guerre commis à l’encontre d’enfants, la décision de la juridiction pénale internationale vient s’ajouter aux contradictions du discours russe cherchant à justifier l’agression ukrainienne en la décrédibilisant sur la scène internationale.

Le symbole est encore plus fort qu’aucun dirigeant d’un État membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies n’avait encore été poursuivi par la Cour pénale internationale.

D’ailleurs, souvent critiquée pour n’enquêter et ne poursuivre prétendument que des faits commis dans des États africains, la Cour pénale internationale démontre qu’elle peut être en mesure de s’intéresser aux faits commis par le chef d’État d’une grande puissance.

En outre et pour la première fois dans l’histoire du droit international, il ne s’agit plus seulement de juger des faits a posteriori de leur commission dans le contexte d’un conflit armé, mais d’une certaine manière, d’intervenir pour faire cesser la guerre lorsque le crime d’agression constitué par l’invasion de l’Ukraine n’entre pas dans la compétence de la Cour pénale internationale, et que l’action du Conseil de Sécurité des Nations Unies est immobilisée.

 

Et concrètement

Passées les conclusions d’intérêt juridique, les mandats d’arrêt peuvent-ils réellement être suivis d’effets ?

123 États parties au Statut de Rome, parmi lesquels certains des nouveaux partenaires développés par Moscou (Mali, Ghana, Burkina Faso…) et d’autres alliés plus historiques (Serbie, Tadjikistan, Géorgie notamment) ont désormais théoriquement l’obligation d’exécuter les mandats de la Cour dès lors que les personnes visées se trouveraient sur leur territoire ; et donc de les arrêter et de les remettre à la Cour dans la perspective de leur jugement9.

Cette obligation pourrait faire craindre au président Poutine et à sa commissaire présidentielle qu’ils soient arrêtés et remis à la Cour s’ils se rendaient dans un des États parties au Statut de Rome, et pourrait donc les dissuader de se rendre dans un grand nombre de ces pays ou à limiter leurs déplacements dans les États où ils ont l’assurance de ne pas y être exposés.

Cependant, depuis quelques décennies l’histoire de la Cour pénale internationale nous a démontré que bien qu’obligé par le Statut de Rome, un État partie peut préférer s’abstenir de procéder à une arrestation car il ne risque qu’une condamnation sur le plan diplomatique : le fonctionnement de la Cour pénale internationale et donc l’exécution de ses décisions, reposent avant tout sur la coopération internationale.

Pour le président Poutine, qui quitte – encore plus désormais – rarement la Russie, cette contrainte peut paraître bien anecdotique. Mais dans un contexte où l’on imagine la guerre d’Ukraine terminée, elle pourrait néanmoins faire obstacle à la diplomatie russe sur la scène internationale, compliquer la présence du président russe aux événements internationaux, y compris aux groupes auxquels le pays prend éminemment part (Sommet des BRICS, Forum Russie-Afrique…).

Cette circonstance n’est sans doute pas de nature à impressionner Vladimir Poutine mais l’isole tout de même un peu plus sur la scène internationale.

 

Néanmoins, si Vladimir Poutine a peu de probabilités d’être arrêté, il est encore moins probable qu’il se trouve un jour déféré devant la Cour pour répondre de ses crimes.

En outre, la Cour pénale internationale exclut clairement le jugement par contumace : l’article 63 du Statut de Rome, rejetant à ce sujet la position française à l’époque de la Conférence de 1998, prévoit que « l’accusé assiste à son procès ». Aucun procès ne peut donc débuter si l’accusé n’est pas arrêté ou comparaît volontairement devant la Cour : huit accusés sont d’ailleurs actuellement en fuite malgré l’émission de mandats d’arrêt.

Alors, si la décision de la Cour pénale internationale est à la fois courageuse et historique sur le plan juridique et politique, elle peut par ailleurs faire espérer que les enquêtes se poursuivent à La Haye devant les juridictions internationales contre Vladimir Poutine et les dirigeants russes. Toutefois, la perspective de voir les mandats suivis d’effets concrets et Vladimir Poutine répondre de ses crimes demeure très mince.

Elle conforte, cependant, la nécessité de doter la justice internationale des moyens de se substituer à la diplomatie lorsqu’elle est impuissante.

  1. Article 58 du Statut de Rome donnant compétence à la Chambre préliminaire de délivrer des mandats d’arrêt et des citations à comparaître
  2. Voir notamment, article 89 du Statut de Rome : « Les États Parties répondent à toute demande d’arrestation et de remise conformément aux dispositions du présent chapitre et aux procédures prévues par leur législation nationale. »
  3. Article 25(3)(a) du Statut de Rome.
  4. Articles 8(2)(a)(vii) et 8(2)(b)(viii) du Statut de Rome.
  5. Articles 49 et 147 de la Convention (IV) de Genève du 12 août 1949.
  6. Article 28(b) du Statut de Rome.
  7. Article 12(3) du Statut de Rome.
  8. Article 58 du Statut de Rome.
  9. Voir Articles 86 et 89 du Statut de Rome : « Les États parties répondent à toute demande d’arrestation et de remise… ».
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  • Il faudrait commencer par juger George Bush Jr pour son agression illégale en Irak
    ainsi que ses prédécesseurs pour le meurtre d’un demi million d’enfants irakiens du fait des sanctions
    crime reconnu et revendiqué par la secrétaire d’Etat M Albright

    • Laisser les fautes des autres là où elles sont !
      Votre maître, va devoir réduire ses déplacements, c’est frustrant pour un chef d’État de ne pas pouvoir se rendre à des événements internationaux son égo botoxé va en prendre un coup.

      -1
  • Encore une organisation qui n’hésite pas à faire rire… Le mandat est tellement loufoque ! Déporter des orphelins russophones de … La Russie vers la Russie et alors, où est le problème, les ukrainiens n’hésitent pas à vendre leurs enfants aux occidentaux… Entre autres….

  • Avatar
    jacques lemiere
    25 mars 2023 at 9 h 52 min

    Non… poutine s’en fout…baratin…
    Discours et « sanction qui s’adressent au public occidental..et aux éventuels opposants de poutine en Russie avec une utilité modeste!!

    parfois, quand il n’y pas de justice et de police véritable établie, les conflits se règlent à coups de poings..

    attendez….il faut faire le ménage chez nous avant de donner des leçons de morale… on a en fait passer les années post urss à bafouer le « droit international  » la souveraineté des peuples quand on le pouvait..on a tuer l’argument de la justice….
    ce n’est pas que ‘j’approuve poutine..mais parfois il faut juste admettre que ça se règle avec la violence.. Poutine veut la guerre.. et sauf le respect que je dois à certains, il l’explique par ce qu’il nous reste de libertés qu’il assimile à notre décadence..alors que selon moi notre décadence est justement le mépris croissant des libertés .qui nous fait devenir un équivalent au régime de poutine. sauf que nous avons » institué » les femen en somme….

    la solution libérale n’est pas l’autoritarisme surtout quand nous n’osons pas déclarer l’état de guerre.. … comme la réponse à la propagande n’ets pas la censure…

    • Non mais vous déraillez ! Il ne s’agit pas de morale mais de crimes de guerre. Ce n’est pas la première fois que ce pays de barbares volent des enfants, et violent. Ces mercenaires ont violé des enfants , des adolescentes devant les parents !

      -2
      • Abu Ghraib, cent fois pire, mais Bush n’est pas en prison… la guerre c’est jamais propre, ni les nôtres ni celles des autres, si on ne veut pas de ce genre de dérives on ne fait pas la guerre (y compris contre les très vilains pays comme la Russie ou la Suisse… )

  • Article très intéressant montrant la difficulté des instances internationales à réellement représenter une autorité de poids dans certains contextes

  • A quand un mandat d’arrêt contre des politiciens qui assument sans aucune vergogne le fait d’avoir signé des traités internationaux sans aucune intention de les respecter ?

  • La crédibilité de la CPI n’était déjà pas brillante, mais là, c’est la ruine complète. Dommage !

  • Si mettre en sécurité des enfants ukrainiens peut être mais Russophones est un crime où va t’on dans la folie et d’ailleurs si on parlait des crimes des vrais ceux là commis par les amerlocs en Irak et dans toutes leurs expéditions guerrières à travers le monde , à ma connaissance aucun responsable yankees n’a jamais été inquieté , ils sont il est vrais dans le camp du bien .

  • Un autre regard sur cette décision de la CPI:
    https://institutdeslibertes.org/cpi-et-moraline/

  • Conséquences? Cela pourrait tuer Poutine. En effet, il pourrait en mourir de rire.

    • Évitons quand même de le faire trop rire, il a mauvaise mine en ce moment et un arrêt cardiaque ou un AVC sont si vite arrivés! De plus des rumeurs persistantes sur son état de santé courent depuis quelque temps, et comme il n’y a pas de fumée sans feu…..?

  • Une analyse juridique de la situation particulièrement pertinente.

  • Les commentaires sont fermés.

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