Grands projets d’innovation : faut-il condamner les lubies de riches ?

Parce qu’il va à l’encontre des modèles mentaux dominants, l’innovateur se retrouve face à une hostilité sociale qui peut largement entraver sa réussite.

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Grands projets d’innovation : faut-il condamner les lubies de riches ?

Publié le 4 février 2023
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Que fait un riche quand il s’ennuie ?

Il se lance dans un projet d’innovation. Conquérir Mars, traverser l’Atlantique, prolonger la vie humaine, inventer une intelligence artificielle fondamentale, créer un robot, etc. Expression de l’ego de leurs promoteurs, ces projets sont souvent jugés inutiles et qualifiés de lubies, c’est-à-dire d’envie capricieuse et déraisonnable.

Mais est-ce si sûr ? Et si les lubies d’aujourd’hui étaient les innovations utiles de demain ? Et s’il fallait se garder de porter un jugement moral à la fois sur ce qui se fait (inutile !) et sur ceux qui le font (les riches et leurs caprices) ?

Lorsqu’on évoque les lubies de riches, les noms de Elon Musk et Jeff Bezos viennent immédiatement à l’esprit. Tous les deux se sont lancés dans l’aventure spatiale. Musk veut installer une colonie humaine sur Mars, ce que de nombreux spécialistes jugent irréalisable. Le très sérieux hebdomadaire The Economist les a même qualifiés d’activité ploutocratique (en gros, un sport de riches).

Il y a deux modèles mentaux derrière cette critique : le premier porte sur l’inutilité supposée de tels projets ; le second sur l’illégitimité supposée de ceux qui les portent.

 

L’utilité d’une innovation est souvent impossible à évaluer a priori

La plupart de ces projets semblent largement inutiles. À quoi cela peut-il bien servir d’installer une colonie sur Mars, se demandent beaucoup d’entre nous, à l’heure de [insérez ici votre problème majeur actuel : réchauffement climatique, guerre en Ukraine, inflation, etc.]. Ne peuvent-ils pas faire des choses utiles ? Déterminer ce qui est déraisonnable est cependant un jugement de valeur, en général en référence aux modèles mentaux dominants. L’innovation, qui par définition correspond à des modèles alternatifs, est donc facilement jugée déraisonnable.

En outre, l’utilité d’une innovation est souvent impossible à évaluer a priori. Il y a des cas évidents mais rares : on savait qu’un vaccin contre la covid serait utile avant de réussir à le produire. La plupart des innovations ont été jugées inutiles au début. Ce fut le cas notamment de la photocopieuse Xerox, du laser, d’Internet, de la téléphonie mobile, de Nespresso, pour ne citer que quelques exemples. « Laser à quoi ? Laser à rien ! » titrait ainsi Le Monde dans les années 1970.

Certaines de ces « lubies » réussissent et se révèlent très utiles après coup. Starlink, d’Elon Musk encore, est un fournisseur d’accès Internet par satellite créé en 2018. L’idée était un peu étrange. À quoi cela pouvait-il bien servir ? Pourtant aujourd’hui, Starlink est pleinement opérationnel et permet à l’armée ukrainienne de coordonner ses opérations. La lubie de riche est devenue vitale pour les Ukrainiens en l’espace de moins de cinq ans.

C’est donc le défi de l’innovateur que de consacrer sa vie à quelque chose que tout le monde trouve inutile aujourd’hui et trouvera peut-être indispensable demain.

 

L’illégitimité de l’innovateur

La seconde chose qui insupporte nombre d’observateurs c’est que ces projets sont portés par des riches qui ne semblent le faire que pour s’amuser. Le côté gratuit de l’entreprise est insupportable. Les frères Wright sont des fabricants de vélo qui s’ennuient. Ils sont convaincus que l’on peut faire voler un avion, ce qui semble ridicule à nombre de leurs contemporains. Après de nombreux essais, ils réussissent un vol historique en décembre 1903, qui marque la naissance de l’aviation.

Insupportable aussi le fait que, comme ils sont riches, ils n’ont besoin de rien demander à personne et en particulier à aucune autorité pour se lancer dans leurs projets et les financer. Pour les moralistes qui, souvent, ont une vision aristocratique de la société, cette liberté est dangereuse, comme est dangereux l’orgueil que ces projets traduisent. Les premiers efforts d’Elon Musk dans le domaine spatial ont été marqués par plusieurs échecs qui ont suscité des moqueries. Ainsi, après l’explosion au sol d’une de ses fusées en 2016, la journaliste Dominique Nora dans L’Obs cachait ainsi à peine sa satisfaction en écrivant : « L’explosion du lanceur Falcon 9 de Space X révèle l’incroyable fragilité d’un entrepreneur qui promet toujours plus qu’il ne peut tenir. La fin d’un mythe ? » On sait ce qu’il est advenu : aujourd’hui, SpaceX lance en moyenne plus d’une fusée par mois, libère son contenu dans l’espace et revient se poser sur Terre ; une performance technique extraordinaire absolument inenvisageable il y a dix ans.

Toutes les « lubies » ne réussissent cependant pas.

Howard Hughes était le Elon Musk des années 1950. Il fut l’un des hommes les plus riches du monde, à la fois producteur de films et pionnier de l’aviation. Il acheta et développa la Trans World Airline pour en faire l’une des plus grandes compagnies aériennes de l’après-guerre. Mais sa grande lubie fut le projet H-4 Hercules, un hydravion géant… en bois, conçu pour l’armée. Achevé en 1947, l’avion ne vola qu’une seule fois, et avec difficulté, puis le projet fut abandonné. Hughes aura dépensé 300 millions de dollars actuels en pure perte.

Est-ce qu’il y a une part d’ego, parfois démesuré, dans ces entreprises ? Bien évidemment. L’ego n’est pas à la mode ces temps-ci mais c’est un moteur historique des grands projets innovants. Sans ego démesuré, pas de Léonard de Vinci ni de Steve Jobs. Ces projets traduisent donc une caractéristique profondément humaine, celle d’essayer de résoudre des grands problèmes, de rêver très haut, parfois de façon démesurée.

Tous les milliardaires peuvent se permettre des lubies. Certaines sont ridicules, comme se payer un 747 et y installer une piscine en or. D’autres sont potentiellement utiles, mais il est souvent difficile de distinguer lesquelles. Mais tous les milliardaires ne cherchent pas à être des pionniers. Ainsi Bernard Arnault finance des musées ou des journaux, des activités plus traditionnelles pour des gens fortunés. Les lubies ne sont donc pas le fait de milliardaires qui s’amusent, mais de pionniers qui ont les moyens de réaliser leurs rêves, ou du moins d’essayer.

 

Les lubies de riches, un bon deal pour la société

Parce qu’il va à l’encontre des modèles mentaux dominants, l’innovateur se retrouve face à une hostilité sociale qui peut largement entraver sa réussite.

Les débuts de la radio au XIXe siècle ont ainsi suscité des tentatives de boycott et d’interdiction de la part des syndicats de musiciens. Face à cette hostilité qui peut rapidement se traduire par un assèchement des financements, le riche a un avantage évident : il peut financer son projet sur ses propres fonds. C’est sa lubie, il la finance, et si ça échoue, eh bien ce n’est pas grave, il lui restera toujours quelques milliards pour faire bouillir la marmite. Autrement dit, ce que les lubies de milliardaires offrent au système, c’est l’optionalité, c’est-à-dire le fait de permettre de créer des options alternatives auxquelles il ne croit pas. Le système ne croit pas que le vol d’un objet plus lourd que l’air soit possible. Pas grave, un milliardaire essaie de prouver le contraire. Si ça ne marche pas, c’est lui qui en est de sa poche. Si ça marche, le système en bénéficie sans avoir dépensé un centime. Que le milliardaire en bénéficie amplement aussi est anecdotique. Et donc, n’en déplaisent aux moralistes, les lubies de riches sont un bon deal pour la société. Ils sont une source efficace, même si elle n’est pas la seule, de progrès humain.

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  • Je reconnais aux gens le droit de détester les riches. Moins de l’exprimer. Cela devrait selon moi tomber sous le coup de la loi de 1972, celle qui interdit racisme, discrimination et discours de haine.
    Je leur reconnais aussi le droit de croire que leurs inventions ne serviront à rien. Et plus encore de l’exprimer. Car la meilleure façon de lutter contre la bêtise est de la laisser dire (mais pas faire).

  • L’Argent c’est la liberté. C’est pour ça que les étatistes/socialistes font tout pour qu’il n’en reste quasiment pas à leurs citoyens.
    Il pensent d’ailleurs qu’ils en font un bien meilleur usage.🤣🤣(acheter les prochaines élections par exemple) dans le futur, ça leur permettra de contrôler la manière dont les Français dépensent le peu d’argent qu’il leur reste.

  • Les lubies de riches, ça les regarde, mais les lubies de pauvres se réalisent avec l’argent des autres, genre éoliennes, et là ça ne va plus.

  • Il n’y a que la presse de la gauche (le monde, le nouvel Obs, l’humanité,..) française pour critiquer les innovations des riches. C’est pour cela qu’ils sont ou fuient à l’étranger. En France, la fortune du riche qui travaille doit alimenter le droit à la paresse et le RSA. Bref, on n’est pas prêt de voir des richesses se créer en France ; et sans création de richesses, il y a apparition de la pauvreté, puis pauvreté pour tout.

  • Et puis quand ils dépensent leur argent, ils font travailler les autres. Cet argent dépensé ne pars pas en fumée il est recyclé dans l’économie. Après quand ils se rendent compte que ça sert à rien, ils arrêtent et ils essayent autre chose. Et entre-temps il y a des gens qui ont été payé avec… contrairement à l’État qui s’obstine dans des trucs qui servent à rien ou qui détruit des trucs qui marchent bien.

  • le titre!!!
    Grands projets d’innovation : faut-il condamner les lubies de riches ?
    condamner sur quel plan? lubie???kesako.. grand projet? c’ets à dire?
    plus court..
    l’argent des riches m’appartient il?
    non.

    je « condamne » ,par le vote , les lubies des gouvernements!!!

  • Anecdote. Quand Goddard a fait ses premières expériences des fusées dans les années 20, il a annoncé qu’elles iraient sur la Lune. Le new york times a titré: la Lune manquée à 383999 km près. Et on y expliquait que de toute façon, une fusée ne marche pas dans le vide… Goddard a bien pu faire une expérience prouvant le contraire, ça n’a rien changé. En 1969, le journal s’est excusé, en disant qu’effectivement, il était possible d’aller sur la Lune ainsi…
    Peut être aurons nous droit un jour, depuis une colonie martienne, à un « effectivement, il est possible d’aller sur Mars avec de tels vaisseaux ».

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