Le libéralisme : un sens déformé

Des sondages montrent que la jeunesse serait libérale. Néanmoins, on peut se poser la question de savoir comment le mot « libéralisme » est compris.

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Le libéralisme : un sens déformé

Publié le 12 août 2023
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Tandis qu’un récent sondage (Harris Interactive) nous apprend que 54 % des Français souhaitent l’élection d’un « président libéral », un autre (vague IFOP 2021) révèle que pour 60 % des 18/30 ans, le mot libéralisme est positivement connoté et le deuxième dans leurs préférences lexicales. Voici qui surprend heureusement, alors que de toutes parts est annoncé que « le libéralisme est une idée du passé qui va probablement connaître une longue éclipse » (François Lenglet) ou qu’il est victime d’un « krach idéologique » (Eugénie Bastié).

Mais est-il assuré que c’est là une bonne nouvelle, qui supposerait que nos concitoyens auraient pour le coup rompu avec leur légendaire addiction pour l’égalitarisme forcené, leur propension à tout attendre de l’État et leur complaisance envers réglementations et protectionnisme ? Car bien des faits montrent que le label libéral recouvre désormais tant de confusions conceptuelles, de brouillages sémantiques et de contrefaçons qu’il en a perdu tout sens rigoureux et son identité intellectuelle historique.

 

Entre impostures et incohérences du mot libéralisme

Ainsi, à en croire médias mainstream, réseaux sociaux, chroniqueurs en vue et autorités académiques, Macron serait un président typiquement libéral, voire l’incarnation même du libéralisme.

En conséquence de quoi, ce serait là être libéral que de :

 

Et sans compter un exercice solitaire, monarchique et dirigiste du pouvoir indigne d’une vraie démocratie libérale.

C’est pour le moins se payer de mots ! Derrière le social-libéral Macron se tient en réalité un social-démocrate comme l’assure son ex-socialiste ministre Le Drian :

« La social-démocratie a changé d’adresse ! Elle est pleinement incarnée par Emmanuel Macron » – Le Point du 16 septembre 2021.

Ladite social-démocratie serait-elle donc devenue l’incarnation du libéralisme ? On hallucine.

Ces impostures prennent racine dans la même doxa voulant que notre pays soit en proie à l’ultralibéralisme. Avec un record mondial de la pression fiscale (47,4 % du PIB), une dette abyssale, une dépense publique en folie (dont un tiers pour la « dépense sociale »), des légions de fonctionnaires à vie, prétendre que la France se meurt d’un excès de libéralisme effréné est aussi hilarant que franchement débile. Mais c’est encore la qualification de libérale qui en pâtit.

Le pire est que l’emploi courant du terme libéralisme souffre par ailleurs d’une telle incohérence qu’il en prend des acceptions radicalement opposées.

C’est ainsi que récemment Luc Ferry a pu dans Le Figaro qualifier la discrimination positive d’« idée libérale » (pure absurdité !) et Eugénie Bastié évoquer le « libéral-conservatisme » de Zemmour (libéral, l’admirateur du tueur Poutine ?).

Par ailleurs, quoi de commun entre les progressistes « Libdem » britanniques ou le parti libéral canadien de Trudeau – et le FDP allemand de Christian Lindner ou le parti libéral australien de Scott Morisson ? Si l’on ajoute qu’au Parlement européen le groupe « libéral » Renew ne professe qu’un fade brouet centriste, il devient impossible de savoir de quoi vraiment il s’agit quand on parle de libéralisme.

 

Entre gauchissement et post-modernisation

Mais le libéralisme ne souffre pas seulement de ce grand n’importe quoi qui caricature sa nécessaire et bienvenue diversité d’interprétation, il se trouve en outre carrément dénaturé par son gauchissement accentué dans le monde académique et éditorial.

En effet, pour de plus en plus d’universitaires (Monique Canto-Sperber, Catherine Audard…), le libéralisme se serait « réinventé » en se socialisant et se recentrant à gauche. Supposé avoir été l’instigateur de l’État-providence (historiquement faux !), il se caractérise par un franc interventionnisme économique, fiscal et social fort de l’État.

Il romprait ainsi avec le libéralisme classique « canal historique » en s’inspirant du liberalism américain dont Dewey, Keynes, Rorty puis Rawls sont les prophètes : une contrefaçon idéologique et une perversion lexicale vertement dénoncées par Raymond Aron (Espoir et peur du siècle, 1957, p. 46) puis Jean-François Revel (La Grande parade, 2000, p. 34).

Or voici qu’avec l’acclimatation en France du culturalisme inhérent aux formes actuelles de ce liberalism, ce libéralisme de gauche tend à se muer en libéralisme post-moderne qui travestit la traditionnelle tolérance libérale en hypertolérance libertaire, la préoccupation des libéraux pour la sûreté en croisade anti-sécuritaire aveugle à l’ensauvagement de nos sociétés, le classique pluralisme libéral en multiculturalisme accueillant à l’islamisme soft, et la société ouverte en juxtaposition de communautés closes (du tribalisme, dixit Karl Popper et Ayn Rand), une dérive renforcée par la bienveillance envers l’inclusif et un wokismehostile au free speech et la liberté d’expression.

À se demander ce qui peut bien différencier un certain et « progressiste » libéralisme culturel du « gauchisme culturel » (Jean-Pierre Le Goff).

Pour remettre les pendules à l’heure et savoir ce que parler de libéralisme veut fondamentalement dire, il faut rappeler qu’il ne peut être le nom ni d’un grand n’importe quoi lexical et conceptuel, ni l’antichambre du laxisme et du relativisme.

Pourquoi alors ne pas se référer à Mario Vargas Llosa dans son récent L’Appel de la tribu (Gallimard) :

« Le libéralisme n’est pas une doctrine qui a réponse à tout […] Il admet en son sein la divergence et la critique à partir d’un corpus restreint, mais indéniable de convictions. Par exemple que la liberté est la valeur suprême et qu’elle n’est pas divisible ou fragmentaire, qu’elle est unique et doit se manifester dans tous les domaines – l’économique, le politique, le social, le culturel – dans une société authentiquement démocratique […] Nous, libéraux, ne sommes pas des anarchistes et ne voulons pas supprimer l’État. Au contraire, nous voulons un État fort et efficace, ce qui ne signifie pas un grand État attaché à faire des choses que la société civile peut faire mieux que lui dans un régime de libre concurrence. L’État doit assurer la liberté, l’ordre public, le respect de la loi, l’égalité des chances. » (p.27)

Avec cette précision capitale et si politiquement incorrecte :

« L’individualisme est un facteur central de la philosophie libérale. »

 

Article publié initialement le 11 octobre 2021

Voir les commentaires (13)

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Créer un compte Tous les commentaires (13)
  • Plus qu’un facteur central de la philosophie libérale, l’individualisme est un devoir pour les libéraux répondant au but prioritaire de l’homme sur cette planète de réussir sa vie, pour lui, pour ses proches et son environnement, en mettant en oeuvre tous ses efforts, son courage et ses talents, avant de demander quoi que ce soit aux autres (Aide toi, le ciel t’aidera..). Quant à la relation avec les autres, elle se justifie par l’intérêt que chaque individualisme y trouve et qui en définit le contour. C’est en gros l’individualisme rationnel de Ayn Rand.

  • Excellent article (on se saurait attendre moins d’Alain Laurent).
    J’en profite (honteusement) pour rappeler les miens :
    https://www.contrepoints.org/2021/08/19/150897-qu-est-ce-que-le-liberalisme
    https://www.contrepoints.org/2021/05/11/397252-lettre-ouverte-a-qui-pourfend-le-liberalisme-sans-le-connaitre
    Il ne faut pas se lasser de tenter d’éduquer nos concitoyens.

  • Bof !
    De la même manière que les gens de droate voient des socialio/communistes partout, les gens de gôche voient du libéralisme, accessoirement neo ou ultra, partout !
    Tout ça est risible.

    -2
  • En quoi Le Zemmour actuel ne mériterait il pas le qualificatif de « libéral-conservateur », au moins en partie? Le premier terme concerne l’économie, et l’intéressé a fait de grands progrès (remise de l’Etat à sa place, baisse du fiscalisme et des réglementations, limitation du mille feuille bureaucratique loco-régional, libre échange maintenu mais pas avec des partenaires qui ne jouent pas le jeu, etc…), et conservateur en société (méfiant vis à vis des expérimentations sociétales, anti wokiste, attaché à la liberté d’expression et au débat d’idées démocratique). La lutte farouche contre l’immigration non motivée professionnellement, et contre l’infiltration d’une civilisation dont les fondements sont illibéraux, ne sont pas si choquantes que cela du point de vue libéral classique. Qu’on apprécie le personnage ou pas, objectivement il est peut être aujourd’hui le « moins pire » des candidats.

    • Zemmour mérite bien en partie le qualificatif « libéral-conservateur » … pour la partie conservateur.

    • je suis tout à fait d’accord avec vous ;il est conservateur sociologiquement et plus libéral que n’importe quel autre parti politique français mê
      me si parfois ses propos sont contradictoire s( ex agriculture)

    • Exactement il est vrai que son idée de prime de 10000 € pour les naissances à la campagne n’est pas du tout libérale mais pour le reste 80 % de ce qu’il dit recoupe une approche de bon sens et libérale
      et puis vous faites bien de rappeler que l’islam, et les Arabes sont les ennemis de la liberté et le principal péril malheureusement pour le pays actuellement. Leur alliance avec l’extrême gauche n’est, sous cet angle là, finalement pas si surprenant.

  • « Personnalité, Liberté, Propriété— voilà l’homme. »
    … scripsit Frédéric BASTIAT.

    Merci aux Auteurs & contrepoints.org de décaler les points de vue & analyses du Lecteur.

    L’enregistrement PDF permet de conserver des articles.

    Mais pas les commentaires, dont certains enrichissent la réflexion.

    Contrepoints.org peut-il apporter une solution avec la prochaine refonte du site?

    Par avance merci…

  • Un dénommé Staline a su très bien diaboliser le libéralisme en France grâce au financement du parti communiste et socialiste (qui n’en est qu’une scission) : le libéralisme c’est FACHO. Et, depuis Mitterrand, c’est ancré dans les esprits des français qui apprennent ça dès leur plus jeune âge à l’école. Sauf intervention du FMI, le libéralisme ne reviendra plus en France.

  • « La liberté, l’ordre public, le respect de la loi, l’égalité des chances. » (p.27) »

    La liberté , bien entendu ,question même l’ excés de liberté ? peut on faire l éloge du cannibalisme par exemple? qui érigera les barrières? La loi certes … mais qui votent la loi ? les citoyens , qui déterminent qui sont les citoyens? ceux qui paient le cens donc les riche les bourgeois comme disent les marxistes ou le seuls travailleurs chers à notre vierge rouge ? . le respect de la loi , certes ,c’est un minimum mais quand les juges s’arrogent le droit de ne pas l ‘appliquer ou de l’appliquer autrement ;quand l’administration ne sort pa s les décrets d’ application ,volontairement , qu aucune sanction n’est prise? que fait on? l’égalité de chances absolument mais quand on passe à la discrimination positive de sorte que les meilleurs ne sont pas pris en raison d ‘un quota est ce du libéralisme /en fait derrière chaque mot il faudrait donner une définition car ,comme l’auteur, je pense que parler d’une France ultra libérale fait mourir de rire les étrangers

  • Si l’on explique à nos p’tits jeunes et moins jeunes que.
    Le libéralisme, c’est pouvoir aller chez Carrouf en moto sans casque acheter une arme (TVA 7 %) pour défendre son champ de cannabis pendant que sa copine régle les derniers détails de sa GPA pour la voisine stérile.
    Pas sûr que ça kiffe dans toutes les chaumières !

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