Fermeture de Fessenheim : révélatrice de la faillite de l’État stratège

Le prix politique à payer pour Emmanuel Macron en France et vis-à-vis de l’Allemagne serait énorme, certainement plus que de mentir sans vergogne et tenter de faire oublier le passé.

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Emmanuel Macron, président de la République by Mutualité Française on Flickr (CC BY-NC-ND 2.0)

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Fermeture de Fessenheim : révélatrice de la faillite de l’État stratège

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 13 septembre 2022
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J’ai eu l’occasion dans cet article d’évaluer la profondeur de la relance du nucléaire nécessaire pour assurer l’indépendance énergétique de la France dans la perspective de la décarbonation de l’énergie à horizon 2050, et la solution permettant de financer la prolongation du parc existant et la construction d’un nouveau parc, qui passe par un prix régulé du nucléaire dans cet autre article.

Dans le contexte de la crise énergétique actuelle, le cas de la fermeture de Fessenheim lors de la crise liée au covid est abondamment commenté, y compris par l’exécutif attaqué à juste titre sur sa politique énergétique.

Mais il est utile d’y revenir, car au-delà du symbole, les conséquences risquent d’être douloureuses à long terme.

À l’occasion de son départ, le patron de l’ASN (Pierre-Franck Chevet) a déclaré dans un article du journal Le Figaro en 2018 que Fessenheim figurait parmi les centrales nucléaires les mieux maintenues et les plus sûres de France :

La vérité, c’est qu’Emmanuel Macron a maintenu en 2018, après le départ de N. Hulot, la décision de fermeture de Fessenheim contre toute rationalité scientifique, économique et climatique parce qu’il s’y était engagé auprès d’Angela Merkel, de la même façon qu’il a failli brader Alstom Ferroviaire à Siemens Mobility à la même époque (désastre industriel miraculeusement évité grâce à la commissaire européenne à la concurrence Margrethe Verstager, depuis c’est Alstom qui a racheté Bombardier et vend des trains  hydrogène en Allemagne…).

Le Président de la République l’a d’ailleurs à moitié reconnu lors de son discours le 5 septembre dernier en précisant que « Fessenheim était proche de la frontière allemande, nation qui n’est pas alignée avec nous sur le nucléaire »

Quelle est sa conception de la souveraineté nationale ?

En tant que ministre de l’Environnement François de Rugy a décidé début 2019 de la fermeture de Fessenheim en 2020, en la dissociant de l’ouverture préalable de l’EPR de Flamanville. Il a depuis changé radicalement d’avis sur le nucléaire…

Il n’est pas certain que ce soit l’avis d’Élisabeth Borne et d’Emmanuel Macron, malgré le discours opportuniste de Belfort pendant la campagne électorale présidentielle. En effet, sept mois après, la fermeture de 12 autres réacteurs et le plafonnement à 63 GW de la puissance installée nucléaire figurent toujours dans la loi et dans la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie, qu’il est apparemment moins urgent d’abroger en relançant la construction de nouvelles centrales, que d’accélérer l’éolien et le solaire, en annihilant les voies de recours.

Résultat : le manque de production de Fessenheim est suppléé par une centrale à charbon allemande flambant neuve (qui aurait sans doute été un investissement raté si Fessenheim avait été maintenu en service), et maintenant le redémarrage de la centrale à charbon de Saint-Avold en raison de la crise actuelle.

Il est possible techniquement de redémarrer Fessenheim (l’ilôt nucléaire n’a pas été démantelé, seul le combustible vient d’être déchargé), cela prendrait 3 à 4 ans et coûterait quelques centaines de millions d’euros, mais resterait économiquement un investissement rentable et bien plus efficace pour se chauffer l’hiver et réduire la dépendance au gaz russe que de booster l’éolien, comme l’indique Loïk Le Floch Prigent dans ses tribunes récentes sur Atlantico.

Mais le prix politique à payer pour Emmanuel Macron en France et vis-à-vis de l’Allemagne serait énorme, certainement plus que de mentir sans vergogne et tenter de faire oublier le passé. La crédibilité de la démocratie et des politiques en prend encore un coup, et il ne faut pas s’étonner de la montée de l’abstention aux élections, car les Français ne sont pas dupes.

À cela, il faut ajouter une bombe à retardement soigneusement mise sous le boisseau, qui pourrait aussi expliquer en partie l’empressement de l’État à racheter les actions EDF des minoritaires à vil prix.

Le protocole compensatoire pour la fermeture de Fessenheim signé entre l’État et EDF en 2017, et approuvé par la Commission européenne en mars 2021 avec un argumentaire qui mérite d’être rappelé à l’aune de la crise actuelle :

La Commission européenne a « confirmé le caractère proportionné de la mesure, pour autant que cette dernière visait à couvrir l’anticipation des coûts dûment établis et justifiés», selon un communiqué. L’exécutif européen estime que cette mesure « est nécessaire et appropriée, puisqu’elle permet à la France de mettre en œuvre une politique de diversification des sources de production d’électricité», toujours largement dominées par le nucléaire. Sans exclure un éventuel avantage accordé à EDF par rapport à d’autres producteurs d’énergie, Bruxelles conclut que «les effets positifs de la mesure l’emportent sur les éventuelles distorsions de concurrence».

Ce protocole comporte une part fixe de l’ordre de 400 millions d’euros pour couvrir les coûts d’exploitation d’EDF engendrés par la fermeture, mais aussi une part variable destinée à indemniser le manque à gagner jusqu’en 2041 des financeurs de la centrale : EDF (62,5 %), ENBW (17,5%) énergéticien allemand, et un consortium suisse à 15 %.

Ce manque à gagner étant déterminé en fonction des prix de marché et de la production du palier 900 MW d’EDF (12 TWh par an pour Fessenheim), il est à craindre que l’explosion des prix de marché fasse aussi exploser cette part variable, paradoxalement en partie au bénéfice des Allemands et des Suisses qui ont milité activement pour cette fermeture !

S’il s’agit d’indemniser sur la différence entre prix de marché et coût de la production nucléaire (comme pour l’obligation d’achat pour la production éolienne ou solaire, mais dans le sens inverse), cela peut mener à des sommes considérables : 1800 millions d’euros en 2022 sur la base d’un prix de marché moyen de 200 euros/MWh et un coût de la production nucléaire de 50 euros/MWh. je laisse le lecteur imaginer l’ardoise totale jusqu’en 2041 si cette interprétation est la bonne…

L’association des actionnaires salariés d’EDF (Energie en actions) qui vient de déposer plainte au pénal contre l’État pour mise en difficulté de l’entreprise au mépris de son intérêt social, a posé en 2020 la question du montant de cette part variable en Assemblée générale, sans avoir reçu de réponse précise.

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  • Et ça touche tous les domaines (santé, éducation, défense, justice…) Il n’y a que la collecte des impots qui fonctionne à peu prés bien, et encore…

    On ne peut pas mettre tout nos malheurs sur le dos du régime Macroniste ses prédécesseurs y ont participé mais faut reconnaitre que si l’on devait faire un concours du plus mauvais gouvernement de l’univers, on a actuellement des champions de classe intergalactique à présenter.

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    • Le régime machiniste n’a fait que recycler tous ceux qui avaient déjà contribué soit activement, soit par leur silence à toute les décisions catastrophiques prises sur le nucléaire depuis Jospin (fermeture de Superphenix qui marchait parfaitement, nous assurait une avance technologique de 30 ans sur nos concurrents, et aurait permis d’ être pratiquement indépendants sur le plan électrique tout en brulant nos déchets). Aucune vision,aucune stratégie,aucune conviction, à part jeter l’argent par les fenêtres (600 millions dépensés en pure perte pour la modernisation de Fessenheim juste avant la fermeture)

    • Apparemment, cela fait déjà pas mal de temps que les alternateurs de Fessenheim ont été démontés et envoyés en Gironde pour être réutilisés sur la centrae du Blayais.
      https://www.sudouest.fr/gironde/bordeaux/gironde-le-transport-exceptionnel-des-rotors-de-fessenheim-vers-la-centrale-nucleaire-du-blayais-7670869.php

      • Petite erreur: ce commentaire répondait à celui d’Herve2 de 8h58 (ci-dessous)

        • Oui, le mot « détruit » n’est pas adapté, plutôt « démonté ». Fessenheim avait été rénovée il n’y a pas longtemps. On peut supposer qu’ils récupèrent les pièces en bon état…

    • si la collecte d’impôt essore bien les contribuables, notamment avec les pouvoirs exorbitants du fisc, je ne suis pas sûr que le rendement soit optimum, tant la fiscalité est complexe !

    • Pour avoir un Etat stratège il faut avoir des dirigeants qui comprennent ce qu’ils dirigent. Il y a longtemps que la lumière ne brille plus dans les ministères de la macronie. Non pas qu’ils veulent faire des économies, que nenni, mais parce qu’ils sont occupés par un ramassis de copains tous plus incompétents les uns que les autres.
      Fessenheim est l’illustration de cette incompétence crasse accompagnée par une overdose de lâcheté.
      Mais, comme je le rappelle très souvent, ce sont les français qui ont donné les clés à ces incompétents. De là à dire que les français sont masos et incultes, je m’empresse de franchir ce pas !

  • Concernant Fessenheim, le redémarrage sera compliqué, ils ont déjà détruit la partie centrale électrique.

    Bien sur, à raison d’au moins 4 milliards d’euros par an de pertes de CA dû à cette fermeture stupide (au prix actuel spot) , il serait possible d’amortir rapidement les travaux, mais est ce que cette conjoncture va durer? Pour que ça se calme il faudrait se réconcilier avec les Russes, l’espoir de le faire sur le court terme s’éloigne rapidement…

    La meilleure issue à court terme (mais encore incertaine) serait le gaz de schiste (déjà abroger cette loi stupide qui gèle les permis exploratoires) puis, si les gisements peuvent être exploitables, forer massivement et construire d’urgence des centrales à gaz.

    Sur le long terme, il faut terminer le plan Mesmer et basculer sur le tout électrique. Vu l’état de ruine de notre industrie nucléaire il faut aussi se poser la question s’il n’est pas plus judicieux d’acheter les centrales a des étrangers. Le VVER russe aurait été bien mais bon…, sinon le Hualong chinois semble très prometteur (construit en moins de 6 ans pour même pas moitié prix de l’EPR et semble mieux)

    • N’oublions pas les petits réacteurs de propulsion nucléaire. Ils sont certes peu puissants mais d’une adaptation rapide et ils sont français.

      • Et surtout leurs techniciens n’ont pas perdu leurs compétences, puisqu’ils les installent encore dans nos sous-marins, voire notre nouveau porte-avions. Mais il y a un obstacle majeur : EDF et sa culture centralisatrice (soviétique) qui ne consentira jamais à décentraliser son pouvoir absolu.

  • N’oublions pas la grande amitié qui lie Macron à Général Electric. L’État lui à attribué la fabrication et la mise en place d’un parc éolien non négligeable. Sans doute pour la remercier de ne pas avoir mis en prison P. Tron et d’avoir acquis les brevets d’Alstom pour une demi poignée de figue.
    Chez Macron, la politique des copains passe avant les intérêts de la France. Et il sait très bien vendre ça au petit peuple, sauf quand, acculé dos au mur, cela devient trop visible.
    Son principal héritage sera ainsi l’arrivée des populistes au pouvoir en France.

  • Vous avez dit « stratège » ? Mais comment avoir une stratégie en faisant tout à la fois ? (et son contraire…)

  • Je suis ravi que nos zautorités relancent le nucléaire, son abandon étant une ânerie de plus à imputer aux zécolos.
    Mais la fermeture de Fessenheim, décision politique dont l’assumation s’est dissoute plus vite qu’un doliprane en période covid, ça m’en touche une etc.
    Lors de la construction de cette centrale, EDF avait pris comme référence, pour l’alea sismique, le tremblement de terre de Bale de 1356, évalué alors à 6 sur Richter.
    Or depuis – que voulez-vous, tout augmente – il se murmure qu’il était plus près de 7 que de 6…
    Ca peut faire désordre, et pas que sur le papier.

    • A la centrale d’Onagawa au japon, le séisme de 2011 a dépassé la limite de conception. Mais c’est pas celle la qui a eu le souci…

      L’important en cas d’accident, c’est que les systèmes de refroidissement auxiliaires fonctionnent. Il faut les mettre à niveau pour qu’ils restent opérationnels. Il me semble que ça avait été fait.

  • Admirable, la façon dont Hollande a botté en touche dans CàVous (la 5) sur la fermeture de Fessenheim et l’abandon de la politique nucléaire pendant son mandat … Bref, il n’ y est pour rien si on est en difficulté sur le plan énergétique en 2022.

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