Le droit face à la mondialisation (3) : le rôle du juge évolue

La globalisation du droit a forcé le juge à faire évoluer son rôle.

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Le droit face à la mondialisation (3) : le rôle du juge évolue

Publié le 30 août 2022
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Première partie de cette série ici.

Seconde partie de cette série ici.

 

Évolution du rôle du juge devenu un acteur de premier plan de la mondialisation

La globalisation du droit a forcé le juge à faire évoluer son rôle.

Dans ce cadre-là, il ne peut plus être celui qui dit le droit. Sa fonction va bien au-delà, du fait notamment que la globalisation exprime sous une autre forme les luttes politiques entre les États.

Ce faisant, de nouvelles fonctions sont apparues du fait de la globalisation, à côté des fonctions traditionnelles du juge que Benjamin Cardozo avait identifié, autrement dit :

  • le juge-chercheur (chercheur de sources pour bâtir sa jurisprudence)
  • le juge-rédacteur
  • le juge-débatteur (débat collégial)
  • le juge-créateur (création de principes pour suppléer l’absence ou la loi imparfaite)

 

Ainsi, Julie Allard et Antoine Garapon en identifient deux :

  • le juge-ambassadeur
  • le juge-lieutenant

 

On pourrait en identifier deux autres :

  • le juge-pacificateur
  • le juge-gardien

 

Reconnaître ces différentes fonctions consiste à renvoyer à l’autre face de la globalisation du droit. Loin d’être toujours un lieu de paix et de convivialité, la globalisation du droit exprime sous un autre angle les rapports politiques et géopolitiques. Ce faisant, la globalisation du droit prend des formes plus concurrentielles et plus conflictuelles, avec soit des conflits doux, de soft power juridique, soit de conflit dur, par les instruments de l’intelligence juridique et économique (ex : affaire Alstom avec la pression des juges américains).

Comme le rappelle les deux auteurs :

« La mondialisation du droit est le théâtre d’une confrontation qui ne met pas seulement en présence des droits nationaux différents, mais se pose également dans les termes plus subtils d’une concurrence entre des cultures juridiques. »

Dès lors, « l’important n’est pas tant de défendre son droit que de répandre sa culture » En conséquence de cela, la globalisation du droit « est aussi le lieu d’une compétition acharnée entre les deux grandes traditions juridiques occidentales, celle de la common law et celle du droit civil ».

C’est ainsi qu’apparaît la figure du juge-ambassadeur. Les cultures juridiques s’affrontent, soit dans l’espace global (monde des affaires par exemple) soit dans les tribunaux internationaux (ex : TPIY). Les juges ont pour nouvelle fonction d’affirmer leur culture juridique face à leurs confrères internationaux. Dès lors, on voit naître des véritables judicial comity, des communautés judiciaires autour d’une culture juridique. À ce jeu-là, et bien que ce soit en train de changer, la culture de la common law domine, pour l’instant, l’espace de la globalisation du droit. Cela s’explique par la communauté qu’elle génère, les common lawyers, qui ont tous des intérêts communs, que ce soit du juge ou de l’avocat, tous partagent la même vision du droit. Il y a plus de complicité entre un juge australien et un juge américain qu’entre un juge français et un juge italien.

À cela s’ajoutent aussi les grands cabinets d’avocats américains qui ont une force de frappe importante et un pouvoir d’influence qui l’est tout autant. Il faut aussi noter que dans cette guerre d’influence juridique, les rapports internationaux ont un poids important. Pensons au rapport Doing Business de la Banque mondiale, dans lequel elle mettait en avant les pays de common law. Face à cela, la Fondation pour le droit continental a rendu un autre rapport, montrant, en termes de sécurité juridique, la supériorité des pays de droit continental.

Ainsi, la globalisation du droit se traduit par une lutte d’influence juridique, lutte dans laquelle les juges-ambassadeurs ont un rôle primordial que les gouvernements se doivent de soutenir. La pratique judiciaire est devenue une source de soft power.

En effet, imaginons qu’une juridiction d’un pays A accepte de juger les faits commis dans un pays B à une époque X en raison d’une loi Y vieille de deux siècles. Au travers de sa juridiction, le pays A apparaîtra comme un pays souhaitant protéger les droits de l’Homme, réparer les torts causés au nom de l’humanité. Cet exemple est bien réel, il s’agissait des jugements de tribunaux américains pour l’indemnisation des citoyens français juifs spolié par Vichy, au travers de l’Alien Tort Claims Act de 1789.

 

La logique offensive des juges

Outre cet aspect de soft power avec un impact idéologique fondamental, la globalisation du droit conduit aussi à une logique offensive de la part des juges, sous la figure du juge-lieutenant.

Comme l’écrivent Allard et Garapon :

« Du point de vue de la puissance, le travail des juges peut en effet s’envisager soit de manière active, comme une force de pénétration de territoires étrangers par mandats interposés, soit de manière passive, comme une protection contre les interventions intempestives de forces extérieures. Ainsi, l’ouverture d’un espace judiciaire transnational, plus ou moins encouragée par les États, permet tout autant de hâter le cours de la justice pénale internationale que de placer les pays les plus faibles sous la domination accrue des plus fort. »

À ce titre, les exemples ne manquent pas.

Songeons à l’implantation de Disney en France, qui a exigé, au travers d’une clause compromissoire, que les éventuels différends qui surviendraient seraient soumis à une procédure d’arbitrage privé, nécessitant la modification de la loi française. Il faut alors bien être conscient que lorsqu’un État cherche à attirer le contentieux devant ses propres juridictions, il espère moins peser directement sur l’issue du procès que de s’assurer que l’affaire sera tranchée par un milieu juridique qu’il connaît et dans lequel il a confiance.

On voit aussi un autre élément, celui de la détérioration de la loi, de sa dévaluation. Dans le cadre de la globalisation – mais aussi dans le cadre national –, la loi n’est plus tant un acte politique qu’un acte technique, vu comme un instrument et jaugé à son efficacité. Elle n’a plus la position d’une reine surplombant la société, comme le dit Alain Supiot, elle n’est qu’un simple outil à adapter au gré des circonstances, dont la production atteint rapidement la boulimie, du fait qu’il faille la changer très souvent, telle la pièce d’une machine.

L’inflation législative qui marque notre époque, autrement dit, quand la production législative est supérieure aux besoins législatifs, est en partie dûe à cette vision de la loi vue comme un instrument relevant de la technique.

 

Dès lors, face à ces luttes d’influences, les juges doivent alterner entre ces deux rôles principaux, afin notamment de conclure des alliances avec d’autres juges pour permettre la protection d’une culture juridique. Songeons par exemple au Code européen des affaires, qui est en train d’être élaboré par les juristes. Ce Code permettra de sanctifier la culture du droit continental et de faire reculer la culture de la common law de l’espace économique européen.

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