Ukraine : respectons les peuples libres et les États souverains

De quel droit empêcherait-on, et même voudrait-on empêcher, des pays indépendants, démocratiques, souverains et des peuples libres d’adhérer à l’OTAN, ou d’ailleurs à toute autre organisation internationale ?

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February 27 rally in Chicago to oppose the war in Ukraine by Alek S (licence creative commons) (CC BY-ND 2.0)

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Ukraine : respectons les peuples libres et les États souverains

Publié le 10 juin 2022
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Plus de 20 % du territoire ukrainien est occupé par les Russes. Des villes et des villages détruits, des milliers de victimes, des millions de réfugiés… Et pourtant, le service après-vente de Poutine fonctionne toujours.

 

La thèse d’une OTAN se précipitant, dès la fin de la guerre froide, pour s’étendre à l’Europe centrale et orientale ne correspond pas aux faits historiques

Le maître tout-puissant du Kremlin a décrété que l’Ukraine et la nation ukrainienne n’existaient pas ? Fadaises. Intox. Et de toute façon ce n’est pas le plus important. Le plus important – et là, on nous sert une fois de plus la farce préférée de l’ancien lieutenant-colonel du KGB – c’est qu’en 1990 les États-Unis ont promis à la Russie, après la chute du mur de Berlin, que l’OTAN « ne s’étendra pas d’un pouce vers l’est », selon les traductions consacrées.

Or, c’est faux. Mikhaïl Gorbatchev, à l’époque encore président de l’URSS, l’a dit on ne peut plus clairement :

« L’expansion de l’OTAN n’a jamais été discutée durant ces années-là… le seul sujet abordé a été la présence des troupes de l’OTAN sur le territoire est-allemand après la réunification. »

Son traducteur d’alors, Pavel Palajcenko, maintenant chef du département des relations internationales de la Fondation Gorbatchev, l’a récemment et non moins clairement confirmé.

C’est aussi ce qui ressortait du discours de l’ancien secrétaire de l’OTAN, Manfred Wörner, le 17 mai 1990. Il y était question de la présence des troupes de l’Organisation (à l’exception des soldats ouest-allemands) en Allemagne de l’Est pour une certaine durée. Cela n’avait rien à voir avec les pays de l’Est et l’élargissement de l’OTAN. D’ailleurs, la thèse d’une OTAN se précipitant, dès la fin de la guerre froide, pour s’étendre à l’Europe centrale et orientale ne correspond pas aux faits historiques.

En premier lieu, cette alliance – défensive – n’est pas un Politburo : elle appartient à ses États membres qui prennent leurs décisions par consensus.

Plus encore, en 1997, le président Bill Clinton a refusé plusieurs fois l’offre de Boris Eltsine d’un gentlemen’s agreement selon lequel aucune ancienne république soviétique n’entrerait dans l’OTAN :

« Je ne peux pas prendre d’engagements au nom de l’OTAN, et je ne suis pas dans la position de mettre mon veto, contre aucun pays quel qu’il soit, à son expansion, et encore moins de vous laisser, vous ou n’importe qui d’autre, le faire… L’OTAN fonctionne par consensus. »

Enfin, l’entrée de pays d’Europe centrale et orientale n’est intervenue qu’en 1999, soit une décennie après la chute du mur de Berlin. Et avant l’annexion de la Crimée par Poutine en 2014, les forces de combat terrestres de l’OTAN stationnées dans ces pays étaient insignifiants. Au moment de l’invasion de l’Ukraine en février, il y avait moins de 8000 soldats de l’OTAN stationnés dans les pays membres, de la mer Baltique jusqu’à la mer Noire. Pas vraiment une menace pour la Russie…

Faut-il rappeler aussi qu’en diplomatie (comme en justice), une « promesse » n’a strictement aucune valeur ? Seuls les accords écrits et signés en ont.

Comme par exemple le Mémorandum de Budapest (1994) que nos vendeurs de mensonges poutinistes oublient de citer. Pourtant, la Russie l’a bien signé, reconnaissant l’intégrité territoriale de l’Ukraine, qui en échange renonçait à son arsenal nucléaire.

Faut-il rappeler d’autres documents dans lesquels la Russie fut associée à l’élargissement de l’OTAN, obtenant des contreparties notables : le Partenariat pour la paix (1994), l’Acte fondateur OTAN-Russie (1997) et un Conseil OTAN-Russie (2002), avec un champ de coopération élargi ?

Sans oublier que, lorsque les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN décidèrent de déployer une défense antimissile, ils proposèrent à la Russie de coopérer. C’était en en 2013. Poutine avait refusé.

 

Par quelle étrange morale, surtout quand on est soi-même bien au chaud sous protection, s’offusquer de ce qu’un pays menacé cherche à se défendre ?

Prétendue promesse donc au sujet de l’OTAN et vrai mensonge. Il s’ajoute aux autres, censés « justifier » l’envahissement de l’Ukraine. Mais c’est un leurre qui voudrait nous détourner du problème de fond : de quel droit empêcherait-on, et même voudrait-on empêcher, des pays indépendants, démocratiques, souverains et des peuples libres d’adhérer à l’OTAN, ou d’ailleurs à toute autre organisation internationale ? Par quelle étrange morale, surtout quand on est soi-même bien au chaud sous protection, s’offusquerait-on de ce qu’un pays menacé cherche à se défendre ? De quelle curieuse éthique peut-on se réclamer pour approuver le dépeçage d’un État, comme l’a fait un vieil embaumé de la politique, l’ancien Secrétaire d’État américain, Henry Kissinger, soutenant que l’Ukraine devrait céder une partie de son territoire ?

Avons-nous déjà oublié que la « doctrine Kissinger » n’a fait que revigorer l’impérialisme de l’URSS qui, durant les années 1970, s’est imposé encore plus durement en Asie, en Amérique latine et en Afrique ? Alors que, comme l’explique très bien Thierry Wolton dans son Histoire mondiale du communisme, M. Kissinger a renforcé la dictature chinoise en lui livrant des secrets militaires et des informations satellitaires ? Comment nos poutinolâtres réagiraient-ils si Kissinger disait trouver normal que l’Italie revendique la Corse, que l’Allemagne veuille récupérer l’Alsace… et que la France, ne lésinons pas, débarque en Louisiane pour y rétablir ses droits ?

Quand on ne voit plus les peuples, leurs existences, leurs souffrances que comme des accessoires pour se faire un nom dans l’Histoire, quand toute compassion a disparu (rappelons que le mot signifie « souffrir avec » et non avoir pitié) dans l’âpreté des ambitions ou la glaciation des tactiques politiques, quand on ne fait que calculer sans plus rien sentir, on devient un robot de la politique et un ennemi des peuples.

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  • De quel droit ? : le premier, naurel: celui du plus fort ! Vous voulez lui enlever ? : regroupez-vous

  • « de quel droit empêcherait-on, et même voudrait-on empêcher, des pays indépendants, démocratiques, souverains et des peuples libres d’adhérer à l’OTAN, »
    C’est aux membres de l’OTAN de décider de l’entrée d’un pays et il n’y a pas un droit d’adhésion. Est-ce l’intérêt des pays de l’OTAN de faire rentrer l’Ukraine dans l’OTAN? Pour l’Ukraine peut être, mais pour les autres pays cela se discute. Personnellement je pense que c’est un casus belli pour la Russie. En politique international, il faut gérer les lubies des dictateurs et faire avec.

    • Avatar
      LasciatemiCantare
      10 juin 2022 at 14 h 45 min

      Donc une hypothétique candidature de l’Ukraine à l’OTAN serait à discuter entre les pays membres de l’OTAN et l’Ukraine. C’est uniquement ce que laisse entendre l’article. La Russie n’a pas à y mettre son grain de sel.

      « Personnellement je pense que c’est un casus belli pour la Russie »
      En vertu de quoi ? Pourquoi ce n’en était pas un pour les Etats baltes ? La Russie a trouvé là un prétexte fallacieux mais aurait pu en trouver un autre.

      -1
      • La Russie considère que c’est un casus belli, comme les USA considérait que l’installation de missiles à Cuba était un casus belli.
        En diplomatie, on n’est pas tout seul.

  • Des peuples libres ou bien des états souverains ? Il faudrait savoir !

  • La plupart des défenseurs des thèses diplomatiques ou géopolitiques plus favorables à la Russie brièvement résumées ici ne sont pas poutinolâtres, ou une petite partie seulement.
    C’est comme dire que les atlantistes sont des caniches des américains.
    De Gaulle devait être communiste puisqu’il a entamé un rapprochement avec l’URSS, absurde.
    Ceci dit on peut discuter de l’utilité ou de l’intérêt géostratégique pour l’Europe de se rapprocher de la Russie, c’est complètement légitime et pas évident à définir.

  • Enfin une analyse sensée
    Ça nous change de tous ces commentateurs « géopoliticiens »a la Guaino, « diplomates » amateurs a la Macron qui pensent pouvoir amadouer Putin

    -1
  • « respectons les peuples libres et les États souverains »
    Tout à fait d’accord. Comme le Kosovo l’a si bien été et le sont actuellement les Iles Salomon, menacées d’invasion par les USA si elles ne retirent pas leur demande à la Chine d’installation d’une base d’assistance pacifique (même pas défensive comme celles de l’OTAN en Europe).
    Le respect est à géométrie variable…

  • Avatar
    jacques lemiere
    11 juin 2022 at 8 h 04 min

    bah….parfois on doit choisir la force…. et son camp…

    du fait des limites de l’onu essentiellement..

    cette crise est une apocalypse…

    poutine est dictateur de la russie ..affaire des russes.. comme hitler en allemagne… en gros je fais avec..

    les fadaises idéologiques et nationalistes qu’il utilise , m’indiffèrent…tant que ça reste en russie…

    et le fait que l’ukraine soit un pays souverain. détermine tout en effet, si je e crois j’ai affaire à un invasion..

    et OUI…aussi c’ets aussi l’occasion d’examiner notre propres abus et d’y remédier..

    Par exemple, la france au conseil de sécurité de l’onu est une anomalie. un privilège , surtout pour nos politiques d’ailleurs, non pas parce la France est le mal mais parce que ce n’est conditionné par rien…

    l’onu est une farce d’ailleurs en ce qui concerne le concept de » justice « entre les pays…

    il y a plusieurs camps en ce monde..

    ceux qui croient en l’individualisme et le souverainisme et les autres…

    • Avatar
      jacques lemiere
      11 juin 2022 at 8 h 15 min

      et ça peut arriver dans un pays!!! vous remarquez une volonté de rompre le « contrat constitutionnel  » de ce pays. et en finir avec la liberté individuelle et les reliquats de propriétés privées , .melenchon illustré par l’expression « coup d’etat social  » et les verts…

      parfois la seule solution est le conflit…

      pour un vert je passe de statut de citoyen libre acceptant en maugréant les taxes prétendument écologiques à destructeur de planete à soumettre…

  • Les commentaires sont fermés.

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

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