La Constitution détournée des États-Unis d’Amérique

Il n’est donc pas suffisant pour le libéral d’exiger un encadrement strict de la Constitution, de type originaliste aux États-Unis, qui est in fine utopique, mais de lutter par tous les moyens pour une réduction du pouvoir de l’État.

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La Constitution détournée des États-Unis d’Amérique

Publié le 5 juin 2022
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Pourquoi les États-Unis, fondés sur les principes de liberté de John Locke, ont-ils aujourd’hui un gouvernement fédéral aussi dysfonctionnel et oligarchique ? La jeune République de 1781 était unique en son genre. À la différence des États du vieux Continent, elle était basée sur le principe d’un gouvernement limité, des droits naturels des citoyens et de souveraineté populaire.

Pourtant, à Washington D.C. le gouvernement fédéral mène une politique incompatible avec ces principes, non seulement envers les Américains eux-mêmes mais aussi à étranger. La politique intérieure est, superficiellement, dominée par une lutte publique incessante entre différentes élites des deux partis, grâce à la collaboration des grands groupes médiatiques, y compris les réseaux sociaux. De manière moins évidente pour la majorité, le caractère oligarchique du pouvoir fédéral consiste à employer les énormes moyens politiques et financiers américains surtout au service d’une petite minorité.

En termes de politique étrangère, le gouvernement américain peut être considéré comme impérialiste, dans le sens où il considère ouvertement que le monde entier fait partie de ses intérêts géostratégiques et commerciaux. Cet impérialisme date de la fin de la guerre froide, mais ses origines sont bien plus profondes. Au XIXe siècle, la politique étrangère américaine manifestait déjà les mêmes ambitions de domination qui aujourd’hui s’expriment à outrance. Notablement, Washington D.C. tenta de conquérir le Canada (1812), s’en est pris violemment aux Mexicains (1846-1848), aux Hawaïens (1893), aux Espagnols (1898), aux Philippins (1899-1902).

Washington D.C. mène une politique intérieure et une politique étrangère si éloignées des principes fondateurs de États-Unis, parce que l’interprétation de la Constitution a été depuis bien longtemps détournée en faveur d’intérêts autres que ceux du peuple. En effet, le pouvoir du gouvernement fédéral dépend fortement de la possibilité ou non des États d’exercer leurs droits constitutionnels. Ce point fut essentiel pendant l’élaboration de la Constitution, ainsi que plus tard pendant la guerre de Sécession.

 

La Constitution devint fédéraliste

Les années qui suivirent la création des États-Unis sont importantes pour comprendre l’ascendance de ce gouvernement fédéral débridé au point d’être justement désigné aujourd’hui comme impérial. Il est nécessaire de rappeler d’abord le grand débat qui eut lieu entre fédéralistes et anti-fédéralistes autour de la nouvelle Constitution. Ce débat montra clairement que parmi les Pères Fondateurs des États-Unis, certains déjà prenaient la mesure du pouvoir sans contrepouvoir que cette Constitution confèrerait au nouveau gouvernement fédéral.

En effet, les anti-fédéralistes (à qui appartenait évidemment l’illustre Thomas Jefferson) étaient opposés à une ratification, en l’état, de la Constitution (1787), en remplacement des Articles de la Confédération (1781) qui garantissaient mieux les droits des États indépendants dans cette nouvelle union fédérale.

Certains anti-fédéralistes s’opposait donc à la Constitution parce qu’ils pensaient qu’un gouvernement constitutionnellement fort menacerait la souveraineté de ces États. D’autres anti-fédéralistes faisaient valoir qu’un nouveau gouvernement centralisé prendrait toutes les caractéristiques du despotisme de la Grande-Bretagne, dont ils venaient de se libérer. Et d’autres encore craignaient que le nouveau gouvernement menacerait leurs libertés individuelles. Ils eurent tous raison dans leurs prémonitions.

Les insistances des anti-fédéralistes permirent néanmoins aux dix premiers amendements de la Constitution d’être adoptées en 1791, avec l’objectif de préciser les droits des citoyens envers l’État. Ces hommes persistaient aussi considérer les États comme étant liés par la compact theory (résolutions de Kentucky et Virginie de 1798 et 1799), justifiant ainsi leur suprématie légale et politique vis-à-vis du gouvernement fédéral. Cela donnerait entre autres le droit à chaque État d’invalider toute loi fédérale qu’ils considèreraient inconstitutionnelle.

Mais assez vite ces initiatives se révélèrent insuffisantes pour protéger les libertés des États et de leurs citoyens du gouvernement fédéral. Il devint rapidement évident que les nations étrangères n’étaient pas épargnées non plus. Il faut rappeler que la Constitution ne donne pas explicitement l’autorisation au gouvernement fédéral de faire entrer de nouvelles terres dans la République, que ce soit par la guerre ou par le commerce (l’achat de la Louisiane à la France fut en effet controversé pour cette raison).

En théorie, la Constitution américaine limite fortement les domaines de responsabilité du gouvernement fédéral. Mais le manque de détails et donc la grande liberté d’interprétation possible de ce document ont contribué à donner au gouvernement fédéral, au fil du temps, le pouvoir de décider dans des domaines où la Constitution en principe le lui interdit. Cela explique la confrontation continue depuis deux siècles de deux interprétations radicalement différente : la « Constitution vivante » et « l’originalisme ». Cette différence a été au cœur des débats politiques : la conscription militaire, les lois raciales Jim Crow, l’impôt sur le revenu, la création de la Fédéral Reserve, la loi sur l’avortement, la sécurité sociale, les lois antidrogues, le Patriot Act, et bien d’autres.

La démocratie en Amérique n’était pas prévue constitutionnellement pour la branche exécutive et législative à Washington D.C., comme au niveau local. Tant que le gouvernement fédéral était restreint et faible, soumis aux volontés des États, comme c’était l’intention des Pères Fondateurs anti-fédéralistes, ce manque de démocratie au niveau fédéral importait peu.

 

La Guerre de Sécession scella le sort des États

Le pouvoir des États a encore davantage été érodé par la Guerre de Sécession. Si les États de l’Union étaient libres, souverains et indépendants, comme les articles de Confédération l’établirent clairement, pourquoi ne leur était-il pas possible de quitter l’Union ? En effet, aucun article de la Constitution n’interdit à un État de faire sécession.

Ce point devint crucial pendant la Guerre de Sécession, ou la guerre entre les États, qui était surtout un conflit économique et non pas principalement une question d’esclavage. C’est par cette guerre que le président Abraham Lincoln décida sciemment de sceller le sort des États-Unis en tant que république fédérale libre, et de prendre définitivement la route que les anti-fédéralistes avaient tant redouté.

Les écrits de Lincoln montrent que lorsqu’il ordonna au gouvernement fédéral d’empêcher manu militari la sécession des États sudistes transfuges, il faisait alors le choix de sauver la Nation des États-Unis de 1861, aux dépens de sa Constitution. L’historien libéral Thomas DiLorenzo explique que la guerre entre les États fut le moment où l’État moderne arriva aussi en Amérique : à ce moment, le gouvernement fédéral a pris un ascendant politique définitif sur les États, et les limites constitutionnelles à son pouvoir ont été irrémédiablement affaiblies.

En effet, après la guerre de Sécession, le gouvernement fédéral commença à s’immiscer beaucoup plus fortement qu’avant dans les affaires économiques du pays, et à intervenir militairement à l’étranger. La relation de pouvoir a été inversée par rapport à l’intention originelle des anti-fédéralistes à la signature de la Constitution. Aujourd’hui, cela s’exprime aussi par le fait que les États dépendent fortement de l’argent du gouvernement fédéral qui représente maintenant environ 32 % de leurs recettes.

La responsabilité de Lincoln dans ce que sont devenus les États-Unis aujourd’hui est donc déterminante. Mais le gouvernement fédéral voit naturellement son rôle d’un très bon œil, ce qui explique l’hagiographie omniprésente d’Abraham Lincoln aux USA depuis maintenant un siècle et demi.

Pour les libéraux, et de surcroît ceux qui connaissent l’histoire européenne, la conclusion est évidente :  aucun document, aussi sacralisé soit-il, ne saurait être une protection définitive contre la volonté de pouvoir d’un État et ses violations de la liberté individuelle. Il n’est donc pas suffisant pour le libéral d’exiger un encadrement constitutionnel strict, de type originaliste aux États-Unis, qui est in fine utopique, mais de lutter par tous les moyens pour une réduction du pouvoir de l’État. C’est ce qui définit l’action politique du libéral, non seulement aux États-Unis, mais partout où l’État a pris l’ascendant sur la société.

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