Stratégie russe en Ukraine : la dimension militaire

Sur le plan militaire, la Russie a fait de nombreuses erreurs de stratégie en Ukraine, des erreurs coûteuses pour les Russes.

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Stratégie russe en Ukraine : la dimension militaire

Publié le 24 mars 2022
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La Russie a en fait plusieurs buts de guerre qu’elle continue de poursuivre après un mois. La tentative de prise rapide de la capitale ukrainienne ayant échoué, elle s’est résolue à une guerre de destruction afin de briser la résistance de son adversaire.

Les buts de guerre russes en Ukraine

Vladimir Poutine a eu recours à deux discours pour justifier la guerre : d’une part il a reconnu les deux républiques marionnettes de Donetsk et de Lougansk quelques jours avant le début de la guerre, d’autre part il a répété avant et durant le conflit la nécessité de dénazifier et de démilitariser l’Ukraine. En fait, ces deux discours indiquent les différents buts de la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine.

L’entrée initiale officielle des troupes russes dans les territoires prorusses du Donbass le 21 février 2022 démontrait que l’objectif minimum était de prendre le contrôle de l’ensemble des oblasts de Donetsk et de Lougansk et en particulier de la ville portuaire de Marioupol. Près d’un mois plus tard, une partie des oblasts de Donetsk et de Lougansk est encore sous le contrôle des forces ukrainiennes et la ville de Marioupol est le théâtre de sanglants combats entre une armée russe soutenue par des supplétifs prorusses et l’armée ukrainienne.

Il est cependant possible que l’armée russe parvienne à contrôler à court terme la totalité des oblasts de Donetsk et de Lougansk et tout le rivage ukrainien de la mer d’Azov. Cela permettrait à la Russie d’envisager une fin des opérations militaires si sur le reste du territoire ukrainien la situation de ses forces armées devenait difficile en estimant que le contrôle du Donbass et la création d’une connexion terrestre entre le Donbass et la Crimée étaient ses objectifs minimaux à atteindre.

L’offensive russe depuis sa base criméenne dans le sud du pays a abouti à la fin de la première semaine à la prise de contrôle de la ville de Kherson puis elle s’est enlisée les semaines suivantes avec l’incapacité de l’armée russe à prendre la ville de Mykolaiev. Le maintien du contrôle ukrainien sur Mykolaiev mais aussi et surtout sur Odessa empêche pour l’instant la Russie de prendre le contrôle total de la côte ukrainienne de la mer Noire.

En revanche, la présence de navires de guerre russes au large des côtes ukrainiennes entraîne de fait le blocus russe de la côte ukrainienne et laisse planer la menace d’une opération de débarquement russe qui, combinée à une attaque de forces russes prépositionnées en Transnistrie à la frontière entre l’Ukraine et la Moldavie, pourrait prendre d’assaut la ville d’Odessa.

L’offensive contre les deux grandes villes du pays s’inscrit dans une volonté de conquête de la majeure partie sinon de la totalité du territoire ukrainien. La destruction de bases ukrainiennes est réalisée à l’aide de centaines de missiles lancés depuis le Belarus, la Russie, la Crimée et de navires russes en mer Noire. Sont visés avant tout les centres de commandement et de communications, les aérodromes militaires, les bases d’entraînement.

Dès les premiers jours, la guerre russe a consisté en une volonté de destruction de bases ukrainiennes et d’unités armées et en des tentatives de percées sur Kiev et sur Kharkiv. L’objectif principal de l’attaque russe a été et reste Kiev, la capitale de l’Ukraine. Les forces russes ont eu pour but d’abord d’effectuer une percée vers Kiev puis ont dû revoir leur plan avec la mise en œuvre toujours en cours de la tactique d’encerclement de la ville.

L’armée russe a ainsi pour objectifs de s’emparer de la capitale Kiev, des villes proches des frontières nord et est de l’Ukraine de Tchernihiv, Sumy et Kharkiv et des villes côtières de la mer d’Azov de Berdiansk et Marioupol et de la mer Noire Kherson, Mykolaiev et Odessa. La seule inconnue sur les intentions russes concerne l’ouest de l’Ukraine et en particulier le sort de la ville de Lviv.

Mise en échec du plan russe d’une prise rapide de Kiev

La Russie a sans doute décidé de mener une guerre d’agression contre l’Ukraine en s’appuyant sur ce qu’elle estimait être une écrasante supériorité militaire. Cette funeste décision a été sous tendue par les idées de surprise stratégique, de domination aérienne, de puissance des colonnes blindées et de maîtrise des opérations aéroportées.

La surprise stratégique était fondée sur la volonté du pouvoir russe de persuader le pouvoir ukrainien que si il y avait intervention armée russe, elle serait limitée et non pas généralisée. La Russie comptait établir une supériorité aérienne au bout d’un ou deux jours… au bout de plusieurs semaines de conflit, la défense antiaérienne ukrainienne de Kiev était encore active.

De plus, quoique modeste la chasse ukrainienne est encore capable de faire quelques sorties. La Russie comptait sur la puissance de feu des colonnes blindées mais celles-ci se sont révélées en grande partie inefficientes en raison à la fois des problèmes de logistique et des pertes infligées par des unités ukrainiennes dotées de lance-roquettes, en particulier des armes antichar javelin et NLAW fournies par les Etats-Unis et le Royaume-Uni. La Russie a eu recours à des opérations aéroportées pour s’emparer des aérodromes de Gostomel et de Vasylkiv près de Kiev, actions qui auraient dû permettre la prise rapide de la ville de Kiev par les forces russes. Mais celles-ci se sont révélées infructueuses en raison de la résistance ukrainienne acharnée.

Les quelques tentatives d’entrée dans la capitale comme la progression d’une colonne blindée sur l’avenue de la victoire dans la nuit du 26 février 2022 se soldèrent par de cuisants échecs.

Le recours à la guerre de destruction

Suite à l’échec du plan initial russe de prise rapide de la capitale ukrainienne et de victoire décisive sur le régime ukrainien, la Russie s’est vite résolue à passer à une guerre de destruction. C’est ainsi que les frappes ciblées contre des installations militaires de la première semaine de conflit se sont doublées de frappes indiscriminées contre des bâtiments d’habitation, des hôpitaux et des écoles dès la deuxième semaine. Ces frappes n’ont plus seulement pour but de détruire le potentiel militaire ukrainien mais aussi d’annihiler la capacité de résistance de la population ukrainienne. En outre, il y a eu recours à la guerre de siège avec l’usage de frappes d’artillerie contre la partie est de Kharkiv, la banlieue nord de Kiev et même la ville entière de Marioupol de la part des forces russes.

Ce sont surtout les villes du nord et de l’est de l’Ukraine, Tchernihiv, Sumy, Kharkiv, Marioupol qui connaissent actuellement des catastrophes humanitaires en raison des encerclements complets ou partiels réalisés par les forces russes entraînant une rupture totale ou partielle de l’approvisionnement en électricité, eau et nourriture de la population ukrainienne restée sur place. Une grande partie se retrouve piégée dans la plupart des villes assiégées en raison du faible nombre de convois de civils pouvant partir dans le cadre de bien rares corridors humanitaires.

L’exemple emblématique de cette guerre de destruction est la ville de Marioupol totalement encerclée par l’armée russe et les forces prorusses depuis plusieurs semaines. Elle est privée d’eau, de nourriture, d’électricité et de chauffage, de nombreux quartiers détruits et des centaines voire des milliers d’habitants ont disparu.

Après un mois de combats de plus en plus destructeurs et meurtriers, la Russie est enlisée dans une guerre d’usure où elle doit s’emparer de nombreuses villes ukrainiennes les unes après les autres si elle veut prendre le contrôle du territoire ukrainien, stratégie dont elle peut ne plus avoir les moyens techniques et humains d’ici un à deux mois.

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  • Je souhaite de tout coeur que ce conflit s’ arrête mais je pense que Biden va tout faire pour que la Russie connaisse un nouvel Afghanistan. Les USA sont prêt à sacrifier toute la population ukrainienne pour faire tomber Putin.

    • Donc c’est de la faute de Biden, grand marionnettiste, si l’armée russe est incapable de vaincre une armée qui dispose du cinquième de son budget ?
      Arrêtez avec vos tentatives de détourner la responsabilité. Poutine a décidé seul de l’attaque et s’est planté dans l’évaluation de ses chances de succès.

      • Comptez donc dans le budget de l’armée ukrainienne une bonne part des milliards de dollars et de d’euro en cash et en matériel militaire « gracieusement données » par nos soins (quand je dis nos, je pense les contribuables, pas les « chefs » qui se rengorgent de faire durer une guerre, typique de gens qui ne combattent pas, donc ne meurent pas).

    • Les USA veulent surtout, à mon avis, affaiblir l’Europe. Dans leur idée, la Russie est probablement déjà une sorte de gros satellite chinois, et Poutine leur a offert une occasion rêvée de rabaisser l’Europe et de tester les armes sur le terrain.
      La question essentielle, à laquelle personne ne semble fournir de réponse, est de savoir qui a intérêt à ce que la guerre dure. Je vois comme réponse les Américains, quelques dirigeants européens dont en première ligne Macron et Zelensky, et les médias qui sans cela auraient bien du mal à faire de l’audience. Tous des gens pour lesquels la population est, de manière incompréhensible, prête à tous les sacrifices au nom de ses idées.

  • Bon résumé de la « désinformation ambiante ».
    La vérité est quelque peu plus nuancée comme par ex: https://www.youtube.com/watch?v=noqlx0B6evo

    • Oui !

      Même en faisant abstraction d’un manque de nuance évident, je ne vois pas ce que cet article apporte comme information ou analyse supplémentaire par rapports aux autres médias.

    • la vérité nuancée qui vient d’une taupe russe est une contre-vérité de propagande russe où on dit: les russophones du Dombass n’avaient aucune envie de séparatisme, alors pourquoi ils s’entretuent ? et que font les russes au Dombass qui est en Ukraine ?
      On y dit aussi que c’est normal que Poutine soit fâché parce-que les Ukrainiens veulent reprendre la Crimée, alors que la Crimée appartient aux Ukrainiens et viennent de se la faire voler par les russes

      • Il me semble que jusque à l’arrivée des « taupes américaines » (porochenko, zelensky) les russes et ukrainiens cohabitaient sans se balancer des bombes dessus. Puis ça a changé… La faute à qui ???!!!

      • En tous cas, j’aimerais savoir si le fait que l’armée ukrainienne est composée à 40% de milices néo-fasciste est ou pas de la désinformation …

        • @Alan
          Moi aussi
          Ce serait aussi intéressant de savoir pourquoi les soldats de Zelensky empêchaient les immigrés africains de fuir (vu à la TV macronienne dont on ne peut soupçonner la droiture!)…

  • C’est Staline V2.0, exterminer ce qu’on ne peut conquérir.
    Du déjà vu pour l’Ukraine.

    • Les Ukrainiens nous rabâchent qu’ils préfèrent une mort glorieuse à une paix « déshonorante ». Poutine leur donne ce qu’ils veulent, même si ça lui en coûte…

    • On a manifestement échoué à pacifier l’URSS. Comme on a échoué à convertir au véganisme les loups dans les pyrénées.
      Pas assez de distribution de sucre d’orge dans les 2 cas bien évidemment. Il faut leur faire plus la morale aux uns et aux autres !

      (Et distribuer des dentiers aiguisés aux béliers).

  • En tous cas, heureusement que les médias sont là pour nous expliquer où est le camp du bien, sinon on risquerait de fournir par accident des armes modernes à des milices néo-fascistes …

  • Bien que non compétent en la matière, il me semble que sans appui aérien, les « résistants » ukrainiens vont se faire hacher menu dès que Poupou jugera avoir suffisamment vidé les villes de la population et que si les « alliés » fournissent cet appui aérien, on va directement escalader à l’alerte nucléaire.

    Tout ça pour quoi ? Alors que tout le monde sait que la Russie ne peut en aucun cas contrôler l’Ukraine et va s’enliser …

    • En vrac :
      – Pour permettre à Macron et Zelensky de soigner leur cote de popularité face au féroce ours émissaire. Renforcement de la position des dirigeants.
      – Pour que les prix montent tant qu’il faudra (dans l’idée des citoyens) que l’Etat les fixe et les subventionne. Renforcement du rôle de l’administration publique.
      – Pour que les USA vainquent sans péril l’économie européenne, à l’exception des sociétés bien en cour. Renforcement des USA, renforcement de la connivence.
      – Pour que les armes occidentales soient « enfin » testées en conditions opérationnelles. Renforcement de la compétence guerrière, renforcement de la connivence.
      – Pour favoriser la perspective d’une zone de guerre éternelle en Ukraine, plutôt que celle qui prévalait avant d’une Ukraine démilitarisée et retournant à ses activités normales. Renforcement de la durabilité de tous les points précédents.
      Donc tant que les Ukrainiens seront fiers de se faire hacher menu, il n’y aura que des grands sourires derrière les larmes de crocodile.

      • En effet, après la domination depuis quelques années du complexe médiatico-pharamaceutique on voit le retour du grand oublié (qui pourtant n’a jamais disparu et a continué à biberonner des milliards d’argent publique), les très fameux, pour ceux qui ont de la mémoire, complexe militaro-industriel ricain et européen.
        Qui veut la guerre en Ukraine ? Pas le peuple russe, pas le peuple ukrainien, pas tant que ça Poutine (même s’il y voit des intérêts clairs)… Zelensky fait tout pour qu’elle dure et qu’elle se durcisse, donc oui, clairement il doit y avoir un certain intérêt. Biden (dont il ne faut pas oublier les liens familiaux de corruption avec l’Ukraine, cf. l’affaire Burisma et le PC perdu de son fil) bien sûr, mais surtout des gens comme Raytheon, Boeing, etc…
        Plus on use de matériel militaire plus on en casse, donc plus on en commande, et comme tout ça coûte très cher, les profits de Pfizer de l’année dernière seront bientôt pulvérisés !!!

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

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