Comment fonctionne l’innovation ? par Matt Ridley

Selon le livre de Matt Ridley, historiquement, l’innovation n’est pas la résultante inévitable de toute découverte scientifique.

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How Innovation Works” par Matt Ridley 2020 416 pages https://www.amazon.com/How-Innovation-Works-Flourishes-Freedom/dp/0062916599

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Comment fonctionne l’innovation ? par Matt Ridley

Publié le 13 février 2022
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Pour Ridley, le terme innovation signifie trouver de nouvelles façons d’utiliser de l’énergie pour créer des choses improbables naturellement. L’innovation va au-delà de l’invention car celle-ci n’est pas nécessairement utile à l’humanité. C’est à partir d’une invention que va pouvoir se développer une innovation jusqu’au point où elle devient utilisable de manière abordable, fiable et productive.

Cet ouvrage est rendu particulièrement intéressant grâce aux innombrables exemples historiques démontrant ce qui favorise l’innovation et ce qui lui est nuisible.

L’un des mythes que Ridley déboulonne dans ce livre est celui de l’inventeur héroïque qui, suite à un moment Euréka, invente une technologie révolutionnaire. En fait, l’innovation est un processus évolutif qui implique un grand nombre de personnes car elle utilise toujours des inventions existantes. Toute technologie est une combinaison d’autres technologies qui existaient auparavant.

Par ailleurs, les inventions se font souvent de manière simultanée à différents endroits, par différentes personnes, même si au final, on considère que l’inventeur est le premier à passer la porte du bureau des brevets.

Qui a inventé l’ampoule électrique ?

L’histoire raconte que c’est Thomas Edison qui a inventé l’ampoule lumineuse. Pourtant, Ridley énumère une liste de 21 personnes ayant inventé une ampoule constituée d’un filament incandescent dans une bulle de verre avant la fin des années 1870. En février 1879, Joseph W. Swan a illuminé avec une ampoule électrique une salle où il faisait un discours devant 700 personnes, soit environ 9 mois avant qu’Edison soumette son brevet.

Qui a inventé la voiture avec un moteur à combustion interne ? Ford l’a rendue abordable, Maybach lui a donné des améliorations cruciales, Levassor de même, Daimler l’a fait fonctionner correctement, Benz l’a fait carburer au pétrole, Otto a mis au point le cycle du moteur, Lenoir a fait le premier prototype et De Rivaz a présagé son histoire. Plusieurs autres ont apporté des contributions importantes tels que James Atkinson, Edward Butler, Rudolf Diesel et Armand Peugeot.

En fait, l’innovation n’est pas un phénomène individuel, c’est plutôt un effort collectif, graduel et désordonné, voire chaotique.

Les brevets ?

Par le fait même, la protection octroyée par les brevets est nuisible à l’innovation parce qu’elle bloque l’utilisation d’une technologie pour de nouvelles inventions. De plus, après l’obtention d’un brevet, les inventeurs doivent souvent gaspiller leur vie et leur argent à protéger ce brevet en cours, plutôt qu’à améliorer leur invention ou en faire d’autres.

Les brevets retardent souvent l’innovation au lieu de l’accélérer. D’ailleurs, le développement de l’industrie informatique a bénéficié d’une certaine liberté car il était inutile de défendre un brevet, la prochaine innovation arrivant trop rapidement pour que ça en vaille la peine.

Le processus de l’innovation

L’autre idée centrale de ce livre est que l’innovation est rarement précédée d’une découverte scientifique. Elle survient souvent bien avant que l’on comprenne scientifiquement pourquoi elle fonctionne.

Par exemple, les moteurs à vapeur sont apparus bien avant que l’on comprenne les principes de la thermodynamique. Les vaccins sont un bon exemple d’une technologie déployée avec grand succès bien avant que l’on développe les connaissances scientifiques permettant de comprendre pourquoi la vaccination fonctionne.

Une exception pourrait être la découverte de la structure de l’ADN en 1953, qui a découlé des sciences pures et qui a engendré par la suite beaucoup d’innovations. Par contre, cette découverte n’aurait pas été possible sans le développement de la cristallographie par rayons-X, financé par l’industrie du textile qui cherchait à mieux comprendre les propriétés de la laine. En fait, le poste de chercheur de William Astbury à l’Université de Leeds était financé par la Worshipful Company of Clothworkers.

Par ailleurs, l’invention de la technique d’édition de gènes CRISPR a été initialement utilisée par l’industrie du yogourt, notamment l’entreprise privée Danisco, avant que les récipiendaires du prix Nobel Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier, ne généralisent l’utilisation de cet outil. En fait, ces deux chercheures ne seraient jamais arrivées à leurs fins sans la contribution de nombreux autres chercheurs au cours des 25 années précédentes.

Découvertes scientifiques et innovations

L’histoire de la découverte de la pénicilline est un cas intéressant concernant l’innovation.

À Londres, Alexander Fleming faisait croître une bactérie sur un disque de Pétri. Les températures avaient été froides en juin, pour ensuite devenir très chaudes en juillet, puis froides à nouveau après le 10 août, ce qui a favorisé la croissance d’un champignon penicillium, dont les spores avaient malencontreusement aterri sur le disque de Pétri.

Lorsqu’il observa le disque par la suite, Fleming remarqua que les bactéries avaient évité les endroits où était le champignon, comme si elles y étaient allergiques. Il allait en fait jeter le disque à la poubelle, mais remarqua l’étrange disposition de la bactérie et décida de conserver l’échantillon.

Fleming avait découvert un champignon anti-bactérien en 1928, mais il a fallu plus de 12 ans avant que cette découverte ne devienne un produit utile, en partie grâce à l’influent bactériologiste Sir Almroth Wright, qui croyait à l’époque que seuls les vaccins pouvaient guérir les maladies, et non pas la médication. Comme c’est si souvent le cas, Wright était charismatique, éloquent et intimidant, il a écrasé tout point de vue différent du sien dans la communauté scientifique.

Dans une série d’expériences, Fleming démontra que son champignon pouvait détruire de dangeureuses bactéries tout en laissant intacts les phagocytes utiles du corps humain. Par contre, ses substances ne fonctionnaient pas lorsqu’elles étaient appliquées directement sur les plaies infectées. Le produit était aussi long et difficile à fabriquer, et ne fut donc pas développé à l’époque.

Puis, en 1940, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, d’autres chercheurs ont pris le relai et injecté de la pénicilline à des souris, et ont constaté son efficacité à traiter les infection bactériennes. Ces chercheurs sont allés en Amérique où des variétés de champignons plus productives ont été découvertes ainsi que de meilleures méthodes pour les faire croître. C’est aussi là que se trouvaient les compagnies pharmaceutiques Merck et Pfizer, qui allaient en assurer la production de masse.

L’une des plus grandes découvertes médicales de l’histoire de l’humanité est survenue par hasard, et les étapes allant de la découverte à l’innovation ont été longues et nombreuses. Découvrir la pénicilline est une chose, la transformer en un antibiotique utile et la produire en grandes quantités à un coût abordable est une toute autre chose, c’est ça l’innovation. Et pour cela, il aura fallu beaucoup de personnes, pas uniquement Alexander Fleming.

L’importance des institutions

Un élément crucial à l’innovation est une économie capitaliste de libre marché. Tel que mentionné précédemment, les innovations découlent souvent de la collaboration d’individus qui ne se connaissent même pas. Les échanges d’idées et la pollinisation qui en découle se produisent plus fréquemment là où le commerce et les échanges sont plus libres et fréquents.

La multitude de pays d’Europe occidentale et le système fédéral des États-Unis favorisent l’innovation comparativement à un pays unifié comme la Chine ou la Russie. Les inventeurs et entrepreneurs peuvent ainsi se déplacer d’un pays à l’autre (en Europe) ou d’un État à l’autre (aux États-Unis) pour aller dans la juridiction où leur projet a le plus de chance de voir le jour. Cette forme de concurrence favorise le maintien d’institutions propices à l’innovation (libre commerce, faible taxation, État de droit, etc). L’auteur fait d’ailleurs l’éloge des cités-États, qui ont historiquement été d’importants foyers d’innovation et constituent le summum de la fragmentation gouvernementale.

La règlementation freine l’innovation

Ridley explique ensuite que la règlementation excessive nuit énormément à l’innovation et favorise surtout les joueurs établis au détriment des nouveaux entrants. Les grandes entreprises utilisent le lobbying pour favoriser l’introduction de règles qui bloquent la concurrence et leur permet de maintenir leur part de marché et leur rentabilité. Cette règlementation ne fait que bloquer l’innovation.

En outre, l’Europe est devenue trop règlementée et taxée selon Ridley. Des 100 entreprises européennes ayant la plus grande valeur, aucune n’a été formée au cours des 40 dernières années. Seulement deux des 30 compagnies de l’indice DAX30 d’Allemagne ont été fondées après 1970, alors que pour le CAC40 de France il n’y en a qu’une seule. Aucune des 50 plus grandes entreprises de Suède n’a été fondée après 1970. En revanche, un grand nombre des plus grandes entreprises américaines ont été fondées après 1970.

L’un des éléments essentiels à l’innovation est un environnement où on peut librement expérimenter de manière à mettre en branle un processus d’essais et erreurs.

L’histoire de l’énergie nucléaire démontre que l’innovation cesse et peut même reculer lorsque l’expérimentation n’est plus possible. Le fardeau règlementaire a tellement augmenté qu’il est devenu extrêmement coûteux de faire avancer ce domaine. Ridley explique que ces coûts servent surtout à rémunérer des cols blancs qui gèrent la paperasse règlementaire.

Par ailleurs, dans le domaine nucléaire, les choix technologiques sont souvent dictés par des considérations politiques et des choix gouvernementaux, plutôt que par des entrepreneurs, ce qui mine l’innovation.

Lorsque la construction d’une usine nucléaire débute, il devient pratiquement impossible de modifier le design préapprouvé par les régulateurs. Chaque petit changement occasionne des délais et des coûts énormes, car ils doivent repasser sous le peigne fin des régulateurs. Cela limite grandement l’avancement de cette technologie. C’est pourquoi nous sommes encore coincés avec la technologie nucléaire des années 1970, qui est pourtant moins sécuritaire que celle que l’on aurait pu développer si l’innovation avait pu jouer son rôle.

Le gouvernement est-il une source d’innovation ?

Ridley s’en prend allègrement à la thèse de l’autrice Marinana Mazzucato affirmant que l’innovation ne peut se produire sans le support direct du gouvernement.

Comme dans bien des cas, les innovations les plus utiles à l’humanité ne nécessitent pas une découverte scientifique préalable. Dans la majorité des cas, l’intervention du gouvernement n’est pas une condition requise à l’innovation et pourrait même nuire dans bien des cas.

En 2003, l’OCDE a publié une étude intitulée Sources of Economic Growth in OECD Countries, qui mesure les facteurs contribuant à la croissance économique entre 1971 et 1998 : la quantité de R&D financée par les entreprises privée avait un effet significatif sur la croissance, ce ne fut pas le cas pour la R&D financée par l’État.

En fait, Ridley pense que les dépenses gouvernementales en recherche détournent l’énergie des chercheurs vers des priorités qui ne coïncident pas avec les besoins des consommateurs. J’en ai d’ailleurs parlé au sujet de la création de l’internet.

Conclusion

J’ai bien aimé ce livre, bien documenté et écrit de manière à rendre toutes ces petites histoires d’innovation assez palpitantes.

En plus d’être divertissant, il permet de bien comprendre qu’historiquement, l’innovation n’est pas la résultante inévitable de toute découverte scientifique. Elle est le processus qui permet d’acquérir une connaissance quelconque observée par hasard et pas nécessairement compréhensible et la transformer en une chose utile pour l’humanité.

C’est un processus qui nécessite des entrepreneurs visionnaires, des capitaux prêts à être investis dans des projets risqués et des institutions qui favorisent le libre commerce et la protection de la propriété.

Tout comme les échanges commerciaux, l’innovation est un processus collectif et chaotique qu’on ne peut pas contrôler sans l’endommager. Même si vous aviez toutes les connaissances scientifiques requises à la construction d’un iPhone, vous seriez encore bien loin d’en tenir un entre vos mains.

How Innovation Works, par Matt Ridley, 2020, 416 pages.

Sur le web

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  • alors l’interet de ce questionnement est puisque qu’une justification du financement de la recherche scientifique , à mon avis erronée ( la science sert la vérité donc la justice) est de favoriser l’innovation je ne suis as certain que notre process de recrutement des chercheurs n’est pas adéquat.

  • euh…lisibilité modérée..

    on voit l’idée..
    si on veyt continuer à croire au crédo..sousous dans recherche = nonovation en sortie..

    il faut changer quelque chose..il faut du bidouilleur..du curieux..et de la liberté..

  • Oui, c’est pas faux !

    A part ça, avant d’avoir prouvé son utilité, l’innovation ça s’appelle … la mode.

  • Les commentaires sont fermés.

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