Espagne : l’erreur stratégique de la droite

La droite espagnole représentée par la Parti Populaire de Pablo Casado pourrait être victorieuse aux élections législatives de 2023. Sauf si elle continue de multiplier les erreurs.

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Pablo Casado by European People's Party (Creative Commons CC BY 2.0)

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Espagne : l’erreur stratégique de la droite

Publié le 21 novembre 2021
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Par César Casino Capian.

Depuis plusieurs mois, les sondages annoncent la victoire du Parti Populaire aux élections législatives de 2023. La formation de Pablo Casado pourrait même bénéficier d’une majorité absolue aux Cortes en cas d’accord avec Vox. À moins qu’il ne s’obstine à contredire ces heureux auspices…

Un contexte politique idéal pour le parti de droite Parti Populaire (PP)

Tout d’abord, l’électorat de centre-droit sera bien moins dispersé en 2023 qu’en 2019, puisque Ciudadanos, la formation qui avait un temps fait croire à un renouveau du libéralisme, a quasiment disparu de la carte électorale.

Vox est devenu le principal rival à droite du PP mais semble s’éloigner de ses engagements initiaux, qui mélangeaient un programme économique libéral avec un nationalisme espagnol de réaction aux pulsions « guerre-civilistes » de la gauche et des nationalismes périphériques suprémacistes.

Les récentes prises de position de la formation de droite radicale et notamment certains propos orduriers vis-à-vis de l’immigration, ou encore la désignation du globalisme comme ennemi juré laissent entrevoir une convergence idéologique avec d’autres formations européennes illibérales, qui pourrait être vue d’un mauvais œil par une partie de son électorat qui, loin d’être nostalgique du franquisme, voyait en Vox une formation débarrassé du sempiternel complexe d’infériorité de la droite envers la gauche moralisatrice.

Quant au Parti Socialiste (PSOE), il se pourrait bien qu’il laisse derrière lui une quantité importante d’électeurs orphelins. Tout d’abord, ses alliances avec Podemos, les nationalistes catalans et les héritiers politiques de l’ETA ont suscité le rejet d’une partie modérée de son électorat qui ne cherche pas à excuser par pur attachement partisan les incessants retournements de veste de Pedro Sanchez.

De plus, la gestion liberticide de la pandémie -le Tribunal constitutionnel ayant déclaré fin octobre inconstitutionnels les deux états d’urgence mis en place par le gouvernement au motif notamment d’une absence totale de contrôle parlementaire- pourrait avoir raison des quelques électeurs socialistes encore conscients de l’importance d’un État de droit.

À deux ans des prochaines élections législatives, le PP se retrouve dans une situation politique idéale que traduisent les enquêtes d’opinion : le 28 octobre, un sondage diffusé par la radio Onda Cero donnait le PP vainqueur des élections avec 29 % des suffrages, un gain de plus d’un million de voix par rapport à 2019 qui, en cas d’alliance avec Vox, pourrait offrir à la droite une majorité absolue au Parlement.

Pourquoi Pablo Casado purge ses meilleurs éléments

Avec de telles perspectives, la sérénité devrait régner au sein de la formation : il suffirait de porter un projet politique alternatif à Pedro Sanchez, résolument libéral et ferme dans ses prises de positions, tout en niant à la gauche son monopole du cœur et de la morale, à l’image du succès d’Isabel Diaz Ayuso au dernières élections régionales de Madrid.

Dans un premier temps, le PP semblait prêt à porter un tel projet : en 2019, Pablo Casado introduisit dans ses listes électorales Cayetana Alvarez de Toledo, ancienne députée, journaliste et militante libérale de la société civile, engagée contre le nationalisme à travers sa fondation Libres e Iguales (Libres et Égaux).

Nommée porte-parole de la formation au Congrès des Députés, Cayetana Alvarez de Toledo portait une voix ferme et idéaliste sur les menaces exercées par le gouvernement de Pedro Sanchez sur de nombreuses institutions : attaques directes à l’indépendance de la justice, remise en cause de la monarchie parlementaire, atteintes à l’égalité des citoyens devant la loi, agressions physiques de représentants de l’opposition, etc.

Le limogeage de Cayetana Alvarez de Toledo en août 2020 engagea le PP dans une tout autre voie. Sous la houlette du commissaire politique/secrétaire national du parti, Teodoro Garcia Egea, Pablo Casado a entrepris un virage idéologique total au sein du PP.

Après Cayetana Alvarez de Toledo, trop « libre » et « indépendante », c’est désormais Isabel Diaz Ayuso, la présidente de la Communauté Autonome de Madrid reconnue mondialement pour sa gestion libérale de la pandémie dans la capitale espagnole et adoubée par 45 % des Madrilènes en mai dernier, qui est perçue comme une menace pour le projet d’asepsie idéologique décidé par la direction nationale du parti.

Nos deux mini-caudillos ont donc entrepris une véritable guerre interne afin d’affaiblir la position d’Isabel Diaz Ayuso au sein de la formation, en refusant notamment de soutenir sa candidature à la direction régionale du PP de Madrid, un poste qui revient pourtant de fait à tous les présidents élus du PP dans une Communauté Autonome.

Ainsi, la direction nationale du parti dévoile aux Espagnols son véritable projet : consolider son pouvoir face aux baronnies au risque de faire exploser l’unité du parti… Ce programme a rapidement produit l’effet escompté puisque le 10 novembre, un sondage publié par El Confidencial montrait que le PP était passé de 29 à 27 % d’intentions de votes, perdant ainsi sa majorité absolue en cas de coalition avec Vox.

Séparation des pouvoirs : la droite ne devrait pas céder

La question du contrôle de l’institution judiciaire est également un sujet sur lequel le PP est prêt à sacrifier son honneur.

Depuis plus d’un an, le mandat de plusieurs magistrats d’importants tribunaux a expiré, notamment au sein du Tribunal constitutionnel, de la Cour des comptes et du Conseil Général du Pouvoir Judiciaire (CGPJ), un organe équivalent au Conseil Supérieur de la Magistrature (cf. précédent article dans Contrepoints). C’est le Parlement qui a la charge de désigner les nouveaux mandataires, qui doivent être approuvés à la majorité des trois cinquièmes, une condition impliquant une nécessaire entente entre les deux grands partis, le PSOE et le PP.

Il y a un mois et demi seulement, un Pablo Casado encore pourvu de convictions réaffirmait son refus de marchander ces nominations et conditionnait son accord à un engagement des socialistes de réformer la loi dans le sens d’une plus forte indépendance et autogestion des magistrats, et ce malgré les pleurnichements des dirigeants socialistes et communistes, qui accusaient le PP de ne pas respecter une Constitution qu’ils venaient eux-mêmes de violer à deux reprises pendant la pandémie… La fermeté du PP répondait d’ailleurs à une forte attente de son électorat inquiet de la participation à la valse des nominations.

Malheureusement, cette fermeté n’aura pas duré longtemps : cédant au chantage moral de la gauche, Pablo Casado a finalement accepté de négocier un accord de désignation des nouveaux magistrats du Tribunal Constitutionnel le 21 octobre dernier.

Ce faisant, le PP ne fait que participer au discrédit de l’institution judiciaire puisque chacun des nouveaux juges du Tribunal constitutionnel a été présenté par la presse selon son appartenance à un parti politique : Enrique Arnaldo et Concepción Espejel pour le PP, Ramón Sáez Valcárcel pour Podemos, Inmaculada Montalban pour le PSOE. Si l’on sait qu’Enrique Arnaldo et Concepción Espejel sont deux magistrats proches du PP, Ramon Sáez Valcárcel (Podemos) et Inmaculada Montalban (PSOE) sont deux magistrats clairement militants alignés sur l’agenda politique du gouvernement.

Le premier est un grand critique de la loi d’amnistie de 1977, que le gouvernement tente de réviser afin de pouvoir remettre sur le métier les crimes du franquisme.

Quant à Inmaculada Concepción, elle défend l’introduction d’une « perspective de genre » dans la justice et pourrait être utile pour le gouvernement lorsque le Tribunal constitutionnel devra examiner le recours interposé par Vox contre la Loi de Protection de l’Enfance, dont une des particularités résiderait dans la suppression de la présomption d’innocence et suspension du droit de visite de de tout homme objet d’un dépôt de plainte pour « violence de genre »

Pablo Iglesias, ancien dirigeant de Podemos recyclé en commentateur politique, a présenté le dilemme de la gauche avec une lucidité cynique : pour lui, il fallait « avaler la couleuvre » de la nomination d’Enrique Arnaldo et de Concepción Espejel car un tel accord était un mal nécessaire pour que le Tribunal constitutionnel passe à gauche et cesse de devenir « une barrière de blocage au pouvoir législatif ».

Ainsi, sous la probable pression de l’Union européenne, le PP a abandonné la bataille des idées et des principes pour devenir un parti consensuel et de gouvernement. Pablo Casado et Teodoro Garcia Egea se sont donc fait les complices de l’affaiblissement des institutions espagnoles. Certes, ils n’ont pas encore cédé sur le nerf de la guerre, qui sera la rénovation du CGPJ, mais le pire est à craindre.

Il est urgent de retrouver le vrai Pablo Casado 

Avant d’arriver au gouvernement en 2011, Alberto Ruiz Gallardon, devenu ensuite ministre de la Justice du gouvernement du PP, avait promis « d’en finir avec cet obscène spectacle d’hommes politiques qui nomment les juges qui peuvent juger ces mêmes hommes politiques ». Une fois nommé ministre de la Justice par Mariano Rajoy, il n’avait rien changé, profitant lui-même du privilège de saper la séparation des pouvoirs.

Pablo Casado, lui, n’a même pas attendu d’être au gouvernement pour trahir sa parole et ses électeurs, perdant ainsi toute crédibilité. Il reste deux ans avant les prochaines élections pour reprendre une orientation libérale et mettre en avant les idées et les figures qui font le succès du nouveau PP, celui que Pablo Casado prétendait incarner lorsqu’il fut élu à la tête du parti en 2018.

Les électeurs de la droite espagnole et certains électeurs de gauche ont montré en faisant confiance à Isabel Diaz Ayuso que la défense d’idées libérales et le maintien d’un cap tenu avec fermeté est la seule façon de montrer que Vox n’est pas la seule alternative à la corruption généralisée de la politique espagnole.

 

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  • Le « monopole du cœur » est en réalité celui de la main dans le porte-monnaie des autres.
    Un libéral devrait refuser que l’état débourse un centime dans le social et il devrait promouvoir les assurances sociales privées et la charité privée. Que ceux qui ont réellement du « coeur » paient de leur poche et laissent celles des autres tranquilles.
    .
    Dans nos pays l’immigration massive sert à la gauche pour racketter les populations et détourner des pans entiers de l’économie libérale (logements « sociaux », travailleurs « sociaux », associations « sociales », entreprises « sociales », aides « sociales »).
    Cette immigration n’est pas un marqueur de libéralisme, c’est même tout le contraire et c’est encore plus vrai avec une immigration de cultures qui sont aux antipodes du libéralisme. Comment vivre libre avec des gens qui détestent vos libertés, entre autres sexuelles ?
    .
    Nos pays ont dangereusement dérivé à gauche, y compris en suisse ou l’état est le premier employeur du pays et souvent les partis les plus libéraux sont classés à « l’extrême droite » ce qui en dit long sur la dérive du champ politique.
    .
    Ainsi Vox est comme l’UDC en suisse, un programme qui est résolument anti-bureaucratie, anti-état, anti-wokisme, anti-fiscalité et surtout anti fausse « charité » mondialiste à base de racket et de contraintes antidémocratique.
    .
    Quand l’état vole 50% de la richesse produite, le territoire appartient à la population qui paie, il est « privé » et la population a le droit de décider qui vient sur ses terres et qui bénéficie de son argent.

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