Belgique : l’écocolonialisme au pays du surréalisme

L’écocolonialisme est-il le nouveau colonialisme à la belge ?

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Belgique : l’écocolonialisme au pays du surréalisme

Publié le 9 novembre 2021
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Par Samuele Furfari.

Après avoir adopté une stratégie hydrogène pour faire comme tout le monde, l’écologiste Tinne Van der Straeten, ministre fédérale belge a signé ce 3 novembre 2021 un protocole d’accord avec la Namibie pour produire de l’hydrogène baptisé vert parce que produit par électrolyse de l’eau grâce à de l’électricité photovoltaïque solaire, hydrogène qui sera transporté en Belgique. L’écocolonialisme est la forme moderne du colonialisme.

On comprend que madame la ministre, au demeurant historienne, ne soit pas en mesure de se renseigner et d’apprendre les nombreuses questions techniques qui sous-tendent ce projet et qu’elle se contente donc d’idéologie sympathique, mais son entourage aurait dû les connaître un minimum pour ne pas ridiculiser sa ministre et au-delà l’ensemble du gouvernement belge.

La Belgique court derrière l’Allemagne

Pour commencer, tout – TOUT – ce qu’on dit actuellement sur l’hydrogène a été pensé, réfléchi, recherché par les experts du Centre commun de recherche de la Commission européenne basé à Ispra depuis 1959. Dans mon livre L’utopie hydrogène, je retrace toutes ces recherches menées par les meilleurs experts européens avec des crédits en suffisance afin de trouver, s’il était possible, des solutions. La filière hydrogène maintes fois pensée est mort-née. Mais peut-être que l’entourage jeune de la ministre ne le sait pas.

Cette démarche n’est rien d’autre que la course aveugle derrière l’EnergieWende allemande. Les collègues allemands de madame Tinne Van der Straeten ont ressuscité cette vieille recette de l’hydrogène, car ils savent que les énergies variables et intermittentes (éolien et solaire) ne leur permettront jamais de se passer à la fois du charbon et du nucléaire. En conséquence il faut pousser le gaz naturel qui permettrait de produire de l’hydrogène « bleu ». Cela l’entourage de la ministre le sait très bien.

Parler de l’hydrogène est la dernière trouvaille des politiques pour faire croire qu’ils maîtrisent la technique en promouvant un produit propre « dont la combustion ne produit que de l’eau » suivant le slogan d’un constructeur automobile ; cette référence est particulièrement déplacée dans la mesure où le rendement énergétique d’une voiture électrique à batterie est trois fois supérieur à celui d’une voiture à hydrogène.

On aimerait connaître le prix de l’hydrogène produit en Namibie ; dans plusieurs publications récentes, avec mon collègue italien Alessandro Clerici, nous montrons dans un article publié par Science-climat-énergie que la production d’hydrogène dit vert est une aberration économique, car le coût de production est exorbitant. Même à partir de solaire dans les Émirats arabes unis le coût de production en 2030 serait de 2 euros/kg avec un très haut rendement d’électrolyse de 69%, un discounted rate de 8 % et un CAPEX de 450 euros/kW. Tout cela est documenté dans la littérature scientifique. Mais quand on fait de la politique, cela n’a guère d’importance, encore moins dans le pays du surréalisme. Il suffit d’observer la politique suivie en matière de centrales nucléaires pour s’en convaincre.

On aimerait savoir quel est le coût de l’hydrogène rendu au port d’Anvers, le pôle pétrochimique qui a bien besoin de cette molécule noble. D’ailleurs, pourquoi faudrait-il commencer par décarboner l’industrie lourde alors que le principal usage de l’hydrogène est la production d’ammoniac et la dépollution des produits pétroliers produits à Anvers ? Mais sans doute n’y a-t-il pas d’ingénieurs chimistes dans l’entourage de la ministre.

Transporter de l’hydrogène ce n’est pas comme transporter du gaz naturel. C’est bien plus compliqué à cause de la nature chimique de la molécule. Cette question du transport de l’hydrogène en mer a déjà été étudiée sur toutes ses facettes par les fonctionnaires européens dans les recherches mentionnées ci-dessus. Par exemple, afin d’importer dans l’UE de l’hydrogène qui aurait dû être produit par l’abondante hydro-électricité du Québec, un protocole d’accord entre le ministère des Ressources naturelles de la province canadienne et la Commission européenne a été signé en 1988. Les calculs ont montré que les solutions envisagées étaient impraticables : 54 % de perte d’énergie à cause de la transformation chimique du toluène en méthylcyclohexane dans le sens Canada-Union européenne, et inversement. De plus, transporter à vide 92 kg de toluène pour transporter 2 kg d’hydrogène est bien évidemment une aberration. Quant à l’alternative de l’hydrogène, je n’ose pas imaginer que cela ait été envisagé. Mais peut-être que l’entourage de la ministre n’a pas lu le livre susmentionné qui explique tout cela.

La ministre explique que la moitié de l’hydrogène restera sur place en Namibie. Si c’est pour l’utiliser à la production d’engrais pour nourrir la population on peut s’en réjouir, puisque c’est là un usage incontournable de l’hydrogène. Mais ils pourraient très bien aussi le produire à moindre coût au départ de gaz naturel, l’énergie de l’avenir, car cela leur coûterait nettement moins cher. Mais peut-être que l’entourage du ministre namibien a suivi les conseils surréalistes belges.

Le gouvernement belge explique que cet hydrogène est nécessaire pour l’industrie lourde belge productrice « d’acier, de ciment, d’aluminium et de verre ». D’aluminium ? Alors que la Belgique n’en produit pas. Science-climat-énergie a publié un article expliquant que le prix trop élevé de l’électricité dans l’UE a externalisé la production d’aluminium pour le plus grand bénéfice de la Chine (57 % de la production mondiale d’aluminium) et de la Russie qui eux ne veulent pas verdir leur production d’énergie (ce qui explique l’absence de leurs dirigeants à la COP 26), quant à l’utilisation de l’hydrogène pour produire dans l’hydrogène c’est un raccourci, car ce n’est que pour l’étape de calcination et non pas pour l’électrolyse que des recherches sont à peine évoquées par l’industrie de l’aluminium. Verdir la sidérurgie ? Les conseillers de la ministre n’ont sans doute pas lu l’article publié par Bernard Mairy dans une newsletter de la Société Européenne des Ingénieurs et Industriels à ce sujet… Ont-ils seulement fait le calcul pour vérifier s’il n’était pas plus économique de produire ces produits sur place puisqu’il faut transporter des matières premières lourdes et de l’hydrogène dangereux ? Cela aussi c’est du développement durable.

Lorsque les chercheurs du Centre commun de recherche de la Commission européenne ont travaillé sur l’hydrogène, c’était pour le faire à partir de l’électricité nucléaire, la bête noire de la ministre belge. Mes calculs avec Alessandro Clerici publiés par Science-climat-énergie ont montré que la seule façon de limiter les coûts de la production d’hydrogène – mais toujours plus cher qu’à partir du gaz naturel  – est avec l’électricité produite par les centrales nucléaires existantes. La production d’hydrogène par électrolyse à partir d’électricité nucléaire belge ― sans les risques de transport et de la géopolitique ― coûterait un tiers ! Mais c’est tabou ! La détestée énergie nucléaire par la ministre ne peut être la solution pour elle au point que contre toute logique elle tient à fermer les centrales nucléaires.

Dernier point, gardé pour la fin, car il est le plus honteux. En 2019 d’après la Banque mondiale 55 % de la population de la Namibie est connectée au réseau électrique. Et comme partout en Afrique, le système électrique est très instable ce qui occasionne des coupures d’alimentation récurrentes (la principale source pour la production d’électricité pour les personnes nanties en Afrique est le diesel qui alimente les groupes électrogènes domestiques). Comment peut-on seulement penser à aller produire de l’hydrogène pour un souci de pays surréaliste, en l’occurrence la Belgique, dans un pays pauvre ? Cela est aussi indigne que l’idée saugrenue allemande du projet Desertec pour produire de l’électricité dans le Sahara à transporter en Allemagne. L’échec éthique et économique de ce projet n’a pas suffi à l’Allemagne qui envisage à présent de produire de l’hydrogène au Maroc. Est-ce parce que la Namibie est son ancienne colonie que l’Allemagne laisse la place à la Belgique ?

La Commission européenne ― toujours prête à copier l’Allemagne ― dans sa stratégie hydrogène du 7 juillet 2020 a osé proposer l’écocolonialisme par l’hydrogène en Afrique, mais heureusement le Conseil européen du 11 décembre 2020 a refusé d’entériner cette faute éthique.

Si l’on veut que l’Afrique se développe, une chose est à faire en premier : doter le continent d’une production d’énergie abondante et bon marché.

Un article du 5 novembre 2021 qui me cite lors du colloque « Le paradoxe africain », tenu le 10 juin dernier à l’École militaire de Paris, rappelle fort opportunément :

Nous autres Européens consommons 6100 kWh/an par personne, et les Africains 530 kWh/an par personne, soit 12 fois moins. De plus, nous savons que si la population africaine va augmenter de façon importante dans les prochaines années, elle aura besoin d’encore plus d’énergie.

La Belgique surréaliste préfèrerait ainsi capturer l’électricité des pauvres Africains. L’écocolonialisme est-il le nouveau colonialisme à la belge ?

Le dernier ouvrage de Samuele Furfari est Écologisme. Assaut contre la société occidentale (Éditions VA).

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  • Mais comprenez vous , « ils ont agi, car ne rien faire quand il ya un problème c’est « pas bien », ils sont aidé une filière naissante qui est destinée à prendre son envol, avec nos sous, et son envol futur, ils peuvent le rendre obligatoire..
    La route solaire de Ségolène royale? elle a agi ! et un haussement d’épaule..et on repart.

    On va le répéter , comme ils ont AUSSI des objectifs de réduction de consommation d’énergie, le gaspillage et le mal investissement ne sont pas du point de vue de la réussite de ces objectifs une mauvaise chose..l’écologisme est un collectivisme qui PEUT attendre ses objectifs..surtout si elle ne les précise pas quantitativement.. ( combien exactement moins riches? )

    Tout passe… dire que l’lenergie sera abondante , peu chère, peu polluante… mais qu’il faille se restreindre d’en utiliser..

    l’ademe pouvait vous sortir des plans 100% machin truc, en ne vous parlant pas de prix, et en vous disant qu’il faudra en gros que vous adaptiez vos besoins à l’offre.. tout passe…

    Il ya peu de chance que la majorité « intellectuelle » ignore que la conséquence sera un appauvrissement global, ce qui est surprenant de prime abord est que cette majorité pense que malgré tout elle va réussir à tirer son épingle du jeu et être épargnée..sinon gagnante , sauf relativement; je peux comprendre la frustration des intellectuels devant la pouvoir des « commerçants » .et qu’ils tiennent un discours anticapitaliste pour retrouver du pouvoir mais se redent ils comptent où cela les mènent?
    on pense à la chine des mandarins…un pays sclérosé dirigé par une élite lettrées d’ailleurs très concurrentielle..

    Et TOUJOURS… après des siècles de preuves que la forme ne prime pas le fond, après les errances intellectuelles allant jusqu’à la justification de l’horreur des plus grands écrivains… vous avez toujours des gens qui vous reprocheront un faute de language pour disqualifier votre discours…

    le verbe subjugue…le verbe convainc…

    mais c’est la logique et les faits qui prouvent.

    tiens….https://www.youtube.com/watch?v=z6pJbb7ikz0 je trouve cela magnifique.

  • Quel pessimisme ! L’hydrogène est un gaz explosif. Vaux mieux qu’il explose en Namibie ou ailleurs en Afrique, ça ne tuera que des « Panou-panou ». Et ce sera leur faute de ne pas avoir mis en œuvre toutes les sécurités nécessaires.
    Et puis, polluer en Namibie pour la production permettra à l’Europe de respecter ses engagements de la COP.

  • On sait effectivement depuis longtemps que l’hydrogène comme porteur d’énergie est un non sens. Néanmoins quelques précisions:
    1. Pour faire rouler un véhicule à hydrogène le choix est plutôt la pile à combustible + moteur(s) électrique(s), donc par rapport à l’électrique rechargeable, le ratio est celui du rendement d’une PAC (plutôt 50% qu’un tiers).
    2. Pour le transport et le stockage (en particulier pour les moyens terrestres), ce qui est utilisé c’est la compression à des valeurs extrêmes de type 500 + bar, ce qui entraîne des réservoirs en matériaux composites très lourds (en acier, ça serait absurde).
    3. Pour les gros volumes en mer, la liquéfaction est possible, mais vue la faible densité du liquide obtenu (0,071) est 6 fois plus faible que celle du méthane liquide (0,445). Comme l’énergie massique deH2 est trois fois plus forte, il faudrait des « hydrogéniers » deux fois plus gros que les Méthaniers.
    4. On commence à rêver à l’hydrogène « natif » (un puits existe au Mali je crois) voire renouvelable en profondeur géologique.
    5. Par contre, comme vous le montrez la production d’H2 par électrolyse est absurde, et n’a de sens qu’en stockage d’excès de production d’ENR, mais surtout pas via utilisation d’électricité pilotable (nucléaire ou hydraulique).
    6. On peut rêver à une production directe à partir du CH4 en décomposant la molécule entre C (du charbon) et 2H2, mais ça ne semble pas envisagé, et il faudrait stocker le charbon.
    7. Sur les aspects africains, la meilleure solution à l’électrification de l’Afrique, qui devrait augmenter encore sa population, pourra bénéficier d’un potentiel hydro électrique significatif, avec les grands fleuves nombreux et sous équipés (Inga sur le fleuve Congo par exemple).
    7. L’hydrogène présente un intérêt du fait des subventions accordées (aux industriels) et de la mode associée (ça fait bien d’avoir des véhicules hydrogène), qui permettent à des industriels moyens de développer des produits de haute technologie qui se vendent. C’est absurde, mais des boites françaises misent dessus et fabriquent déjà de tels équipements. Pas plus inutile que de coder des algorithme d’optimisation du marketing sur le web où la France est en pointe.

    • L’hydrogène natif est une chimère, ce gaz est trop fin pour être retenu en masse dans les couches géologique ou il est produit par diagenèse ou radiolyse et l’expérience africaine (hygroma) n’alimente que quelques ampoules basse consommation dans un minuscule village.
      Les articles dithyrambique pour saluer cette expérience ont claqué mille fois plus d’énergie que ce que le forage produit.
      Ce n’est pas une énergie primaire et c’est même un mauvais vecteur.

  • Tout ça est tellement ridicule… Une entreprise suisse transforme l’air et son co2 en kérosène ou alcool, c’est moins ubuesque que cet hydrogène.

  • Il n’y a pas qu’en Belgique que l’hydrogène est à la mode.
    La plupart des candidats à la présidentielle française en font la promotion, sans aucune idée des contraintes techniques.
    Actuellement, l’hydrogène est utilisé par l’industrie, uniquement quand il n’y a pas d’autres solutions.
    Les problèmes liés à l’hydrogène gazeux sous haute pression sont maitrisés sur des sites industriels mais paraissent inacceptables en milieu domestique.
    Ce cirque prendra fin lorsqu’un grave accident surviendra, tout comme pour les charges ultra rapide des véhicules électriques.
    Malheureusement pour l’auteur, cet article a peu de chances d’être lu par nos décideurs, qui n’ont même pas le niveau d’un bac technique du siècle dernier !

    • Eh bien moi, je suis effondré car j’ai appris dernièrement que ma région ( Bourgogne / Branche Comté) vient de lancer un programme de production d’hydrogène pour les mobilités comme ils disent! La région finance ça, et ça va nous coûter un bras avant de comprendre que ce n’est pas viable!

  • Les commentaires sont fermés.

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