Les armes et moyens d’influence de la Chine à l’étranger (2)

La Chine cherche à imposer son modèle autoritaire à la planète à travers différents moyens d’influence comme les médias et les technologies.

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Chinese Poster by Mr Martineau(CC BY-ND 2.0)

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Les armes et moyens d’influence de la Chine à l’étranger (2)

Publié le 4 novembre 2021
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Par Yves Montenay.

On assiste à une poussée d’orgueil à Pékin, qui cherche à imposer son modèle autoritaire à la planète pour remplacer le modèle démocratique de l’Occident présenté comme décadent. Pour cela la Chine utilise les infrastructures qu’elle a financées et construites à l’étranger ainsi que des percées technologiques et les médias, dont les réseaux sociaux.

Ce deuxième article décrira les actions de la Chine, à partir de ces infrastructures ou directement par les médias, dont les réseaux sociaux. Nous verrons quels en sont les résultats aujourd’hui.

Les nouvelles technologies et la cybersurveillance comme vecteurs de l’influence de la Chine

Ce terme de « nouvelles technologies » n’est pas très précis. Dans le langage courant il comprend aussi bien des matériels innovants (la 5G par exemple) que des logiciels innovants également, par exemple pour la collecte systématique de données pour usage commercial ou politique.

D’où l’intérêt pour les entreprises chinoises d’être maître d’œuvre ou fournisseurs d’infrastructures. C’est une des raisons pour lesquelles les États-Unis demandent à leurs alliés et leurs entreprises d’abandonner Huawei, bien qu’il soit souvent le mieux disant dans les appels d’offres.

Comme l’explique Samantha Hoffman, auteur d’un rapport de l’ASPI (Australian Strategic Policy Institute) :

Pour accéder aux données mondiales, le Parti fait appel à des entreprises publiques, chinoises et étrangères, ainsi qu’à des partenaires tels que des chercheurs universitaires. [Le PCC] utilise le capitalisme comme un moyen d’accéder aux données qui peuvent l’aider à perturber les processus démocratiques et à créer un environnement mondial plus favorable à son pouvoir. 

C’est d’ailleurs très officiellement que le Parti communiste chinois demande à tous les citoyens ou entreprises chinoises, publiques comme privées, de coopérer aux efforts nationaux de renseignement à l’intérieur comme à l’extérieur.

La Chine n’est bien sûr pas le seul pays à faire cela et on peut citer par exemple le Patriot Act américain qui autorise les services de sécurité à accéder aux données informatiques détenues par les particuliers et les entreprises, sans autorisation préalable et sans en informer les utilisateurs, au nom de la lutte anti-terroriste.

Selon le rapport de l’Irsem, les entreprises de nouvelles technologies chinoises comme WeChat, Weibo, TikTok, Beidou ou Huawei, donc la même société dont nous avons vu le rôle dans les infrastructures, servent à la surveillance et l’espionnage, et les fabricants chinois de smartphones, en particulier Huawei et Xiaomi, sont régulièrement mis en cause. Ce qui inquiète tous les pays y faisant appel pour leur 5G.

Capgemini estime que Huawei est en capacité d’écouter les conversations et de relever tous les numéros des téléphones utilisant sa technologie. Enfin, elle travaille avec Bo Yu Guangzhou Information Technology Co, un des groupes de hackers travaillant pour le gouvernement chinois.

La communication et les médias

Je vais ici me concentrer sur l’Afrique en tant qu’exemple extrême de ce qui existe sur l’ensemble de la planète, y compris en France.

La présence médiatique de la Chine en Afrique.

Dans leur rapport de 2018 intitulé « La poursuite par la Chine d’un nouvel ordre mondial des médias», Reporters sans frontières (RSF) estime que les médias chinois ont particulièrement ciblé l’Afrique.

Ce rapport note que :

  • L’agence de presse d’État Xinhua posséde le plus grand réseau de correspondants sur le continent. Son bureau régional pour l’Afrique est à Nairobi, où se trouve aussi le bureau africain du China Global Télévision Network (CGTN) ainsi que China Radio International pour l’Afrique de l’Est. Enfin, il y aStar Times, une entreprise privée chinoise de télévision payante.
  • Le Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) organise des réunions annuelles avec les agences médiatiques publiques et privées africaines.
  • La Chine installe la télévision numérique par satellite dans 10 000 villages d’Afrique subsaharienne.
  • Les réseaux et équipements téléphoniques Huawei 5G sont devenus indispensables pour de nombreux gouvernements. Et Reporters sans frontières soupçonne des accords secrets entre la Chine et de nombreux pays africains pour le filtrage des contenus, la collecte des données et de surveillance par la 5G et la télévision.

L’actualité africaine est fabriquée en Chine

RSF (Reporters sans frontières) insiste sur les contenus gratuits fournis par Pékin aux médias locaux, rédigés par des journalistes chinois sur les thématiques sino-africaines.

L’idée est d’accroître l’influence chinoise et de dissimuler ou désamorcer ce qui pourrait déplaire aux Africains, comme les dettes envers la Chine, les droits de l’Homme, les conditions de travail ou le racisme en Chine, ou encore le néocolonialisme chinois… Bref tout ce qui commence à filtrer sur les inconvénients de la Chinafrique.

Les réseaux sociaux, le filtrage de WeChat et TikTok 

RSF dénonce également WeChat, où les messages chinois ou étrangers passent par un serveur de Tencent qui filtre et signale notamment les « cinq poisons » (OuïghoursTibétainsFalun Gong, « militants pro-démocratie » et « indépendantistes taïwanais ») et d’autre part, produit un discours positif sur la « prospérité, la puissance et l’émergence pacifique » du régime chinois.

De même TikTok et son milliard d’utilisateurs ou encore Twitter où pullulent de multiples faux comptes utilisateurs à fins de propagande.

Ma présence sur quelques réseaux sociaux africains me fait effectivement remarquer la multiplication des messages vantant le modèle chinois.

Les autres actions d’influence de la Chine

La Chine se présente comme un pays du tiers monde maltraité par les Occidentaux, en passe de devenir une grande puissance économique et politique face à l’Occident vieillissant… soit exactement ce que souhaite l’Afrique pour elle-même.

Pékin n’a par exemple pas manqué de profiter de l’image du Capitole occupé le 6 janvier 2021 par les partisans de Donald Trump pour comparer ces violences à l’occupation par les manifestants pro-démocratie à Hong Kong du parlement local le 1er juillet 2019.

La Chine a également profité du retrait américain de l’ONU à l’initiative de Donald Trump pour occuper le terrain de cette organisation mondiale, avec la présidence de 4 agences sur 15, et la nomination de nombreux directeurs. La présidence de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a notamment été obtenue grâce à un marchandage sur la dette du Cameroun, qui a retiré son candidat.

Les colloques et forums se multiplient. Les visites de chefs d’État sont magnifiées, les inaugurations valorisées.

Le journal Le Temps ironisait dès 2015 sur la vidéo de propagande chinoise en anglais lancée sur YouTube pour vanter les mérites du treizième plan quinquennal de développement chinois, dans un style pop acidulé conçu pour séduire un public jeune…

Les Instituts Confucius, les séries télévisées chinoises doublées en langues locales, l’implantation du groupe de médias chinois StarTimes (concurrent direct de Canal+ et autres distributeurs), se relayent pour une communication qui s’appuie de surcroît sur des infrastructures largement fournies et installées par Huawei.

Tout cela représente un effort gigantesque.

Est-il efficace ?

Les limites du système d’influence chinoise

Finalement, malgré tous les efforts chinois, l’Europe reste le premier partenaire économique et commercial de l’Afrique

C’est probablement du fait de l’ancienneté des relations, notamment avec la France et l’Angleterre, qui se traduit linguistiquement (on oublie toujours l’importance de la francophonie) mais aussi par une masse de coopérations, de l’université au village de base.

Par ailleurs, cet effort d’influence demande beaucoup d’argent, ce qui est soluble, mais aussi un grand nombre de personnes qualifiées non seulement techniquement, mais connaissant le reste du monde et notamment l’Afrique, ce qui est beaucoup plus difficile.

On retombe ainsi dans les difficultés d’ensemble de l’économie chinoise : la pénurie d’hommes et l’isolement qui sont un obstacle à une bonne connaissance du monde extérieur.

En particulier, on peut se demander si la gestion et le contrôle de cette politique n’a pas atteint ses limites, car cela s’ajoute aux activités de propagande et de censure encadrant 1,4 milliard de Chinois.

Les limites humaines de la censure interne

Selon Yannick Harrel (revue Conflits n° 35 p. 56), « l’augmentation croissante des moyens alloués à la cyberdéfense du grand pare-feu (la coupure entre l’Internet chinois et le reste du monde), couplé à l’augmentation du nombre de cybermenaces internes et externes (dont vraisemblablement certaines venant des États-Unis) va générer un coup humain, technique et financier peut-être disproportionné pour l’État chinois. »

D’autant plus qu’une partie de ces efforts doivent servir à gommer la mauvaise réputation croissante de la Chine…

Une perte de crédibilité de la Chine ?

La Chine a été touchée par une importante vague de critiques :

  • Elle serait l’origine de la pandémie du Covid-19, et ses vaccins sont moyennement efficaces.
  • Les réactions à l’agressivité des « loups combattants », diplomates prenant un ton étonnamment agressif. Il s’agit de rappeler au grand public chinois un film à succès où une sorte de Rambo triomphe systématiquement de méchants Occidentaux,
  • Sa défense des régimes autoritaires : « ce qui se passe dans un pays ne regarde personne d’autre », comme elle vient de le réaffirmer avec la Russie à propos du coup d’état militaire au Soudan. Cet argument est bien sûr utilisé pour le Tibet, le Sinkiang, Taiwan et la mer de Chine du Sud.
  • Sans parler de ce qui commence à filtrer sur son action en Afrique.

Ainsi, au Nigéria, s’est déclenchée fin juillet 2020 une polémique sur la perte de souveraineté par rapport à la Chine, tant dans ce pays que dans d’autres pays africains. Voici un des nombreux articles sur ce sujet. On remarquera que l’expression reste mesurée pour ménager la Chine.

Finalement on voit que le match se joue en partie sur la qualité de l’information sur la Chine. Mais par quel canal, puisque la seule information venant de Chine est l’information officielle ?

De plus, les contacts humains sont devenus rares, notamment avec la quasi-disparition des Occidentaux en Chine et l’encadrement strict de ceux qui y vont encore (cadres supérieurs, journalistes…), sans parler de la disparition des touristes chinois en Occident.

Certes le virus y est pour beaucoup mais Pékin s’aperçoit sans doute que c’est bien confortable ainsi. 

Que va-t-il rester de l’information sérieuse sur la Chine ?

Le South China Morning Postétait considéré comme le journal le plus crédible de Hong Kong. Son site est d’ailleurs bloqué en Chine continentale. En 2020 il est entré dans le club des médias réputés « sérieux » (la BBC, le Washington Post, The Economist…)

Depuis son acquisition par Alibaba, il se concentre sur l’objectif d’être la voix de référence au sujet de la Chine. Constatant que la machine de propagande chinoise n’a aucune crédibilité à l’extérieur il se donne pour mission de documenter le monde sur « la montée phénoménale de la Chine ».

Mais, sachant que Alibaba et Hong Kong ont été très sévèrement repris en main, comment évoluera à l’avenir « le sérieux » de ce journal ?

En conclusion sur l’influence de la Chine

Il y a un double mouvement.

D’une part la Chine a lancé un énorme mouvement d’influence. D’après l’expression du général français Burkard, elle cherche à « gagner la guerre avant la guerre », et il faut la concurrencer sur ce terrain.

En face il y a une propagande américaine bien rodée mais de nature différente car largement axée sur l’action privée : bourses universitaires, médias commerciaux, dont le cinéma. Si c’est assez efficace hors de Chine, c’est bloqué à l’intérieur de ce pays.

Il y a probablement des actions gouvernementales plus discrètes, mais je ne peux qu’en relever des allusions. Le gouvernement français aurait de son côté décidé d’intervenir sur les réseaux sociaux en Afrique. Mais tout cela est plus compliqué pour des gouvernements démocratiques soumis aux examens de leurs oppositions et d’une prise critique, que dans des pays autoritaires.

Bref, pour l’instant, la Chine gagne en influence. Et à cette influence elle ajoute de plus en plus la crainte, voire la menace en faisant étalage de sa force militaire.

Mais, en sens inverse, elle perd en réputation dans l’opinion publique de beaucoup de pays, et donc de leurs gouvernements si ils sont démocratiques. Lorsqu’ils ne le sont pas, il peut y avoir des arrangements au sommet, et il est frappant de voir s’élargir sans arrêt une sorte de coalition informelle des pays autoritaires.

N’oublions pas qu’en 1939–41 il y a eu une coalition des communistes et des fascistes, qui aurait pu réussir si Hitler n’avait pas fait l’erreur d’attaquer l’URSS.

Sources 

(*) Cet article s’appuie notamment sur :

  • le rapport « Les opérations d’influence chinoises : un moment machiavélien »
  • publié par l’Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire (Irsem) le 20 septembre 2021, rapport repris par la presse, notamment dans The Epoch Times,
  • les analyses de Jean-Louis GUIGOU, fondateur de l’Institut de Prospective Economique du Monde Méditerranéen (IPEMED),
  • et celles de Thierry PAIRAULT, sinologue, directeur de recherche émérite au CNRS,
  • de multiples lectures de la presse internationale et des réseaux sociaux.

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