Externalités : pourquoi les économistes étatistes adorent en parler

Les externalités sont partout. Et pour un planificateur technocrate, c’est là l’essentiel.

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Externalités : pourquoi les économistes étatistes adorent en parler

Publié le 2 novembre 2021
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Par Joakim Book.
Un article de Mises.org

Dans le classique de la littérature russe Anna Karénine, Tolstoï écrit :

« Les familles heureuses se ressemblent toutes mais chaque famille malheureuse l’est à sa manière ».

On peut dire la même chose des technocrates obnubilés par l’État et de leurs tendances à la planification centrale : tous les technocrates heureux se ressemblent, mais chaque citoyen-sujet malheureux vivant sous leur domination est malheureux à sa manière.

Quel que soit le sujet, les technocrates suivent la même formule consacrée : ils trouvent un problème qui leur déplaît et accusent la cupidité, le marché ou un industriel emblématique avant de livrer résolument leurs solutions politiques urgentes, sans lesquelles la civilisation est soi-disant condamnée.

Technocrate écolo

William Nordhaus, l’économiste de l’environnement et lauréat du prix Nobel 2018, correspond parfaitement au tableau. Dans un livre qu’il a récemment publié, The Spirit of Green, il aborde la philosophie et l’éthique d’un monde écologique et la manière dont elles s’appliquent à l’économie, aux marchés, aux taxes, aux réglementations et, ce qui est plus funeste, aux externalités.

Quel que soit le problème précis que Nordhaus examine, une solution étatique n’est jamais loin – même si elle ne fonctionne parfois qu’en manipulant les mécanismes du marché. En fin de compte, les technocrates comme notre professeur ici présent veulent faire pression, interdire, réglementer et taxer ce qu’ils n’aiment pas tout en subventionnant, finançant et encourageant ce qu’ils aiment.

Bien qu’il soit l’auteur d’un manuel d’économie mémorable, Nordhaus parvient à massacrer plusieurs concepts économiques, en particulier les coûts et les valeurs, les problèmes de principal-agent, les biens publics et les externalités.

Nous traiterons des externalités dans cet article.

La première erreur survient avant même qu’il n’ait commencé (à la page 2), en faisant l’éloge habituel des économies mixtes :

Les sociétés doivent combiner l’ingéniosité des marchés privés avec les pouvoirs fiscaux et réglementaires des États. Les marchés privés sont nécessaires pour assurer un approvisionnement suffisant en biens tels que la nourriture et le logement, tandis que seuls les États peuvent fournir des biens collectifs tels que le contrôle de la pollution, la santé publique et la sécurité personnelle.

Bien trop de biens collectifs

En tant que description de l’idéologie des interventionnistes comme l’est le professeur Nordhaus, c’est exact. En tant qu’affirmation sur le monde, l’économie ou les marchés, c’est entièrement faux : il existe très peu de biens collectifs. Le contrôle de la pollution peut être effectivement atténué grâce au secteur privé ou par des tribunaux privés et seuls les individus, et non les ensembles collectifs, ont une santé ou besoin de sécurité.

La plupart des autres erreurs du texte éloquent de Nordhaus découlent de ces erreurs initiales.

Dès qu’il en a l’occasion, Nordhaus traite les biens publics et les externalités comme ayant apparemment la même signification, à savoir :

Des activités dont les coûts ou les avantages se répercutent en dehors du marché et ne sont pas pris en compte dans les prix du marché.

Cette approche est similaire à celle de nombreux économistes à propos du concept d’externalité, qu’ils pensent ou non qu’il s’agit d’une lentille théorique utile.

Dans le manuel de Greg Mankiw, on lit :

L’externalité est l’impact des actions d’une personne sur le bien-être d’un spectateur.

Dans Wikipedia, on lit :

Une externalité est un coût ou un bénéfice pour un tiers qui n’y a pas consenti.

De quoi s’agit-il ? De toutes les activités affectant autrui ? Seulement des activités de marché ? Seulement des activités de marché auxquelles l’individu tiers s’oppose ? Que ces autres ne sont pas dédommagés ?

Bien que trop imprécis de la part du seul lauréat de l’économie de l’environnement, nous sommes toujours à peu près d’accord avec le sens général des activités de marché imposant des dommages à un tiers innocent.

Puis Nordhaus se lance dans sa nouvelle justification conceptuelle de l’action étatique. La congestion du trafic est une externalité. Un segment entier de The Spirit of Green présente les externalités de réseau, dont Facebook est le premier exemple venant à l’esprit (la valeur pour l’utilisateur augmente avec le nombre d’autres utilisateurs qui rejoignent le réseau).

Nous avons ensuite les externalités pécuniaires, qui correspondent à tout impact économique négatif sur toutes les actions d’autrui, qu’il s’agisse de concurrents ouvrant un magasin ou d’un consommateur important de meilleurs produits de l’étranger.

Selon Nordhaus, les stations-service sont des externalités. Il en va de même pour les distributeurs automatiques de billets, les déchets dans la rue, le bruit de la circulation… Oh, et très certainement la pandémie, qui fait l’objet d’un chapitre complet de vingt pages dans un livre sur l’économie du climat. Allez comprendre.

Manger ou conduire, il faut choisir

Mon préféré est l’obésité, qui est maintenant traitée comme une externalité négative… de la conduite automobile. Nous pouvons admettre qu’un mode de vie sédentaire ait des conséquences indésirables et des effets secondaires nocifs – mais est-ce pour autant le rôle de l’État d’y remédier ?

Mais il y a pire. Nordhaus montre sa méconnaissance absolue de la façon dont les marchés internalisent régulièrement les dommages externes – qu’il s’agisse d’individus qui choisissent de se retirer ???, de litiges ou de droits de propriété, de négociations entre personnes, ou de la façon dont les prix du marché des terrains ou des associations de propriétaires s’ajustent en réponse à l’évaluation par les consommateurs de ce supposé dommage externe.

Ou, plus important encore, de choisir en conscience une activité, malgré les externalités négatives qu’elle comporte. J’ai dû me cogner la tête contre le mur lorsqu’il a énoncé qu’épouser un fumeur était une retombée personnelle négative – comme si je n’étais pas conscient que mon partenaire fume ! Mon exposition accrue à la fumée de cigarette est donc un effet secondaire. Désolé professeur, il s’agit d’optimisations contraintes dans plusieurs domaines distincts – pas d’externalités.

Je prends le mauvais avec le bon, et je fais le calcul que ça vaut quand même la peine. À son crédit (très mineur), le fait d’épouser un fumeur est lié à un ensemble d’externalités qui, selon lui, ne fonctionnent qu’à un niveau personnel et ne doit donc pas concerner les autres.

Petites et grandes externalités

Dans un autre passage, il explore également les externalités qui méritent l’attention :

Les nations ne peuvent et ne doivent pas réglementer chaque externalité mineure, comme un jardin malpropre ou un rot en public.

Je suis heureux de lire cela aussi, mais la mauvaise nouvelle est que le professeur Nordhaus n’est pas en mesure de faire la distinction entre externalités négatives majeures et mineures. Il peut sembler évident que roter est une bonne chose et que polluer les rivières ne l’est pas, mais c’est le technocrate omniscient qui parle, et non l’homme qui agit, évaluant subjectivement dans des conditions d’incertitude. Un planificateur central ne peut pas savoir.

Dès que nous prenons en compte les externalités pécuniaires, nous ne pouvons plus décider de ce qui se passe dans et hors du marché. En discutant des externalités pécuniaires, Nordhaus nous a déjà donné un critère pour déterminer lesquelles sont acceptables dans sa société bien gérée et lesquelles nous devrions négliger :

Les bénéfices pour la société des actions causant des externalités pécuniaires sont généralement plus élevés que les coûts pour ceux qui souffrent d’externalités pécuniaires.

Enfin, un test coût-bénéfice ! Donc, si les combustibles fossiles profitent à suffisamment de personnes dans des proportions suffisantes – ce qu’ils font en grande majorité – toutes les externalités résiduelles sont acceptables.

Super, annulez la 26e Conférence des Nations Unies sur le changement climatique, s’il vous plaît !

Trop d’externalités tuent les externalités

Si tout est une externalité, le concept devient plutôt vide de sens. Plus important encore, il permet aux technocrates et aux gouvernements de l’invoquer arbitrairement lorsqu’ils émettent des recommandations qui leur plaisent, tout en refusant de l’invoquer pour celles de leurs opposants.

Si le rôle des États est de corriger les externalités des marchés et que tout est une externalité, il reste peu d’obstacles à surmonter pour les gouvernements ; tout est bon à prendre, tout est politique, rien n’est au-dessus ou en dehors du champ d’action du maître politique omniscient.

Comme tout bon technocrate, Nordhaus souhaite s’asseoir non pas sur le trône mais juste à côté, conseillant avec empressement le dirigeant sur ce qui est manifestement la meilleure solution à un problème particulier. Son manque de confiance envers l’action bénéfique des individus, des entreprises et des marchés est stupéfiant :

Les gens peuvent tousser et mourir, les entreprises peuvent prospérer ou échouer, les espèces peuvent disparaître et les lacs peuvent s’enflammer. Mais tant que les États, par le biais des mécanismes appropriés, ne prendront pas de mesures pour contrôler les causes de la pollution, les conditions dangereuses perdureront.

Les externalités sont partout. Et pour un planificateur technocrate, c’est là l’essentiel.

Traduction Contrepoints.

Sur le web

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  • Ce n’est pas tant l’usage répandu de la notion d’externalité qui me choque que la tendance actuelle des technos ou des « antis » à ne voir que celles qui sont négatives.
    Ainsi pour la voiture, on viendra nous expliquer qu’il faut la taxer, la contraindre ou la pénaliser car elle tue (l’insecurite routière coûterait, selon un calcul pourtant délirant, 50 milliards par ans à la « collectivité ») et pollue.
    Mais jamais on ne nous présente la voiture comme un outil de liberté, de découverte, de loisirs, comme une corne d’abondance d’inventions technologiques, comme un secteur faisant vivre des millions de personnes, ou accessoirement comme un gain financier pour les communes s’il fallait mettre des bus ou des trains à disposition de tous et partout…

    • Et surtout les modes de transports antérieurs avaient aussi des externalités négatives, les chevaux causaient plus d’accidents que la voiture (le coche qui versait, les chevaux qui partent au galop etc..) et causait aussi une pollution importante avec le crottin.

  • Les externalités ne sont que la conséquence de droits de propriété mal respectés.

    • Pas vraiment.
      Supposez que j herite d un terrain agricole de mon grand pere paysan. Je n eleve pas de vaches donc je decide d y stocker des dechets (on va etre gentil, on va prendre des dechets hospitalier pas du tres toxique). Selon vous, c est mon droit de proprietaire

      Evidement c est dangereux (je vais juste les enterrer ou les mettre dans la grange pour maximiser mon profit) mais j en ai rien a faire. le benefice est elevé et j habite pas la 🙂
      Pour les voisins, il suffit de ne rien leur dire voire de leur mentir

      Au bout d un certains temps (disons 10 ans) on va trouver que les habitants des alentours ont une facheuse tendance a tomber plus malade que la moyenne (pour ceux que ca interesse, regardez l affaire de l incinerateur a la dioxine d albertville pour avoir une idee de l inertie dans ce genre d affaire).
      Ayant fait du benefice, je va en distraire un peu pour intimider les plaignants, faire du dilatoire en justice
      Evidement au bout d un moment ca va se voir. il faudra alors aller vivre en amerique du sud (si encore vivant) et le contribuable aura la facture : les soins des malades + la depollution

      • Phénomène bien connu en réglementation environnementale, ayant eu pour conséquence : « pollueur = payeur »…
        Dans votre exemple, c’est donc à l’hôpital de financer le coût du traitement de ses déchets et c’est sur lui que retombera la sanction en cas de découverte d’un circuit de « recyclage » frauduleux.

        Cet excellent exemple m’amène à donner raison à Nordhaus quand il écrit : « Les bénéfices pour la société des actions causant des externalités pécuniaires sont généralement plus élevés que les coûts pour ceux qui souffrent d’externalités pécuniaires ».
        Il ne viendrait en effet à l’idée de personne de supprimer l’hôpital parce qu’il crée environ 1 tonne de déchets par lit et par an. Il est donc nécessaire de permettre aux acteurs économiques de poursuivre leurs activités en les obligeant à compenser les coûts induits pour les tiers.

        Le principal risque est à mon avis est de perdre de vue les bénéfices apportés par les acteurs économiques au profit des seuls inconvénients. Sur l’hôpital, ça n’arrivera évidemment pas, mais d’autres secteurs ne sont pas à l’abri : les produits pétroliers, la voiture, par exemple, ne sont plus perçus aujourd’hui que sous leur volet négatif. La conséquence peut être fatale si l’exigence de dédommagement du fait des externalités négatives est disproportionnée eu égard aux externalités positives.

        Pointer du doigt les externalités négatives peut résulter d’une demande d’une juste rétribution des dommages subis (ex : les taxes sur le tabac pour compenser la prise en charge des malades) mais aussi hélas d’une idéologie « anti » dont l’objectif dépasse alors souvent la simple résolution d’une adéquation externalité positive/externalité positive. On le voit avec l’idéologie écolo qui vise rien moins qu’à abattre le système capitaliste et libéral au profit dont on ne sait trop quoi…

      • Application pratique : que pèsent les bénéfices apportés par la formidable densité énergétique du pétrole face au risque de « précipiter l’humanité vers son extinction » ?!
        Alliée à la notion d’externalité négative, la gouvernance par la peur est redoutable…

  • J’avoue avoir beaucoup de mal à comprendre ce genre d’articles traduits de l’anglais, et souvent relire 2 ou 3 fois les phrases ne m’avance guère, d’où cette question: est-ce la traduction qui est mauvaise, ou suis-je simplement rétif à la façon anglo-saxonne de raisonner ?

  • Les commentaires sont fermés.

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