Pékin-Washington, en route vers l’affrontement

L’hypothèse d’une invasion de Taïwan quand Pékin aura suffisamment modernisé ses forces amphibies est jugée crédible. Washington s’impliquera-t-il alors militairement ?

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Pékin-Washington, en route vers l’affrontement

Publié le 14 octobre 2021
- A +

Par Yves Bourdillon.

La rivalité entre la Chine et les États-Unis pourrait tourner à l’affrontement dans les prochaines années. Pour faire lettré, on peut citer le piège de Thucydide, décrivant il y a 2500 ans la guerre inéluctable entre Athènes et Sparte (NB : les démocrates ont perdu). Ou, plus exotique, « il n’y a pas de place pour deux crocodiles dans le même marigot ».

La relation s’envenime en tout cas clairement entre les désormais deux seules superpuissances de la planète, respectivement numéro un et deux de l’économie mondiale et, sur le plan militaire, numéro un et… on ne sait pas trop, puisqu’aucun soldat chinois n’a été au feu depuis 1979, année où son armée avait été bien malmenée par le Vietnam. Pas une semaine désormais sans un nouvel incident, ou une posture acrimonieuse entre Pékin et Washington sur le plan diplomatique, économique, technologique, voire militaire. Depuis deux ans, les deux capitales ont mené de nombreux essais de missiles balistiques en Pacifique occidental et le nombre d’incidents aériens, ou navals est sans précédent.

Une attention particulière de Washington envers Pékin

Recensement non exhaustif des développements en seulement cinq mois : dans la continuité, sur ce plan, de la politique de Donald Trump, l’administration Biden prend systématiquement des décisions désagréables pour Pékin, ouvrant largement le droit d’asile aux résidents de Hong Kong, décidant de vendre des canons sophistiqués à Taïwan, interdisant des prises de participations chinoises dans des secteurs stratégiques américains, et mettant des responsables chinois sur liste noire. Washington, Londres et Canberra ont signé un pacte militaire d’assistance mutuelle clairement dirigé contre Pékin, avec comme victime collatérale le contrat d’achat à la France de sous-marins par l’Australie.

Et, pour la première fois les dirigeants des quatre pays du Quad (Japon, Australie, Inde, Etats-Unis), alliance clairement anti-chinoise, se sont rencontrés à Washington récemment.

Le Quad préfigure ouvertement une sorte d’OTAN atlantique que pourraient rejoindre le Vietnam, la Corée du Sud, les Philippines ou l’Indonésie, tant il est vrai que si l’ensemble des pays d’Asie tablent sur Pékin pour leur commerce, c’est beaucoup moins vrai pour leur sécurité… Et quand Pékin, où le capitalisme est toujours d’État, s’est lancé dans une reprise en main d’entreprises privées, Washington a averti ses entrepreneurs que leurs intérêts et filiales en Chine ne seraient plus tout à fait en sécurité…

La Chine se réveille et passe à l’action

De son côté, Pékin mène via ses ambassadeurs dits « loups guerriers » une diplomatie agressive tranchant avec sa neutralité de jadis. C’est passé relativement inaperçu, mais le régime exige depuis le 1er septembre que s’identifie tout navire entrant dans ce qu’il juge être ses eaux territoriales, pourtant considérées comme internationales par tous ses partenaires.

Au nom d’une doctrine dite des « neuf traits », Pékin revendique en effet toute la mer de Chine méridionale, tellement près du rivage des pays limitrophes qu’un véliplanchiste parti de Malaisie, Vietnam, Philippines, voire Indonésie pourrait presque se retrouver par inadvertance dans les eaux « chinoises ». Un grignotage de souveraineté maritime contraire au droit de la mer et à la convention de Montego Bay.

La Chine construit aussi plateformes, ports et aérodromes sur le moindre récif coralien, une « grande muraille de sable » mettant ses voisins devant le fait accompli. Sa marine étend ses zones de présence et de contrôle, posant un redoutable dilemme aux bateaux naviguant dans le secteur : se soumettre ou risquer des représailles.

Les marines occidentales ne cèdent pas : une frégate britannique a récemment croisé dans le détroit de Taïwan pour la première fois depuis 2008, provoquant l’ire de Pékin, et un sous-marin nucléaire français, l’Emeuraude a mené au printemps dernier une mission en mer de Chine méridionale.

Bref, les relations sino-américaines semblent les plus tendues depuis des décennies, illustrant une rivalité de plus en plus ouverte entre deux systèmes politiques aux antipodes, voire antagonistes.

Cela peut-il dégénérer ? Certes, les dirigeants des deux pays et leurs alliés (pour Pékin, c’est vite vu, étant donné qu’il n’y a que la Corée du Nord et, plus ambigu, le Pakistan), sont conscients du risque que s’instaure un récit d’affrontement inéluctable.

D’une part, s’ils sont rivaux, Washington et Pékin sont aussi partenaires, puisque la Chine est le premier fournisseur de Washington mais aussi son troisième client et, qu’à l’inverse, Washington est son premier débouché et son quatrième fournisseur.

D’autre part, tout milite pour que les deux ennemis s’entendent, comme jadis l’URSS et les États-Unis, pour un affrontement sans dimension militaire directe, vu qu’ils sont tous deux dotés d’arsenaux nucléaires. Dans les deux camps, les « adultes dans la pièce », ainsi qu’on surnomme à Washington les dirigeants pas trop boutefeux, vont donc essayer dans les mois et années qui viennent de trouver un moyen d’en quelque sorte domestiquer l’affrontement.

Pas certain que cela suffise toutefois au vu de la volonté, réaffirmée de plus en plus nettement par le président Xi Jinping, d’absorber Taïwan « l’île rebelle ». Une mission qu’il qualifie régulièrement d’historique et inéluctable. L’absence de réactions internationales significatives après la complète mise au pas de Hong Kong, en contravention avec le traité de rétrocession, ne peut que l’encourager dans cette voie.

Les chasseurs-bombardiers chinois se sont livrés ces derniers jours à des incursions records, au nombre de 60 par jour, plus que toute l’année 2018, dans l’espace d’identification aérienne de Taïwan. Pour la première fois des dirigeants chinois ont même évoqué lundi dernier les arrangements démographiques qu’ils prendraient après l’invasion, avec expulsion de tous les habitants d’ascendance japonaise…

Une partie de l’establishment diplomatico-militaire américain considère, pour sa part, que les ambitions du régime totalitaire chinois devront à tout prix être stoppées tôt ou tard, et dans ce cas mieux vaut tôt, d’autant plus qu’est en jeu le statut d’hyper puissance américaine, garant de ses intérêts économiques et sécuritaires. La question est de savoir quand sera l’instant de vérité.

L’hypothèse d’une invasion de Taïwan quand Pékin aura suffisamment modernisé ses forces amphibies est jugée crédible, voire probable par la plupart des analystes géopolitiques américains, à l’horizon 2026. Washington s’impliquera-t-il alors militairement ?

Voir les commentaires (37)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (37)
  • Merci pour cet article. Oui c’est effectivement une question, les US défendront t ils Taïwan ? Même si c’est non ce ne sera que reculer pour mieux sauter car l’étape d’après sera le Japon où tout autre territoire que la Chine jugera bon de vouloir conquérir. En attendant il serait urgent de fabriquer un Gorbatchev chinois …mais j’imagine que c’est totalement hors de portée .

    • vu que Taïwan est le premier producteur de semi-conducteurs… il y a des chances pour que les américains les défendent.

      traditionnellement, les chinois sont dans le temps long. Mais la situation devenant compliquée (économiquement, socialement, démographiquement) sur le plan intérieur, l’aventure militaire est souvent l’exutoire préféré des dictateurs.
      par ailleurs, Taïwan est un verrou géographique pour l’accès à l’océan Pacifique de la marine chinoise (et de ses sous-marins).

  • Contrairement à l’URSS de la période guerre froide, la Chine revendique des îles ou îlots. Taïwan est une petite île comparée à la Chine. Mais il faut du temps à la Chine pour développer son armée.
    Les USA montrent les muscles tant qu’ils sont plus forts.
    En aucun cas les USA ne défendront une nation quelle qu’elle soit si le conflit peut s’étendre jusque sur leur territoire.

  • L` histoire aide toujours à éclaircir l’évènement passe et future.
    Taiwan fait partie de la Chine depuis 1683 (Qin Dynastie).
    Taiwan est passe sous pavillon japonais après la première invasion de la Chine par le Japon en 1895.
    En 1945 La république de Chine a repris le control de Taiwan à travers le KMT (Kouo-Min-Tang) avec une séparation en 1949 à la suite de la guerre civile ou le KMT perd la guerre et se réfugie à Taiwan et garde le pouvoir jusqu’ en 1996 date des premières élections.

    Donc oui La Chine a des revendications sur Taiwan qui peuvent être légitime et oui la Chine en prendras le contrôle comme Hong Kong en douceur ou brutalement meme si je ne pense pas qu`une invasion soit la première option et même si , personne n’enverras ses enfants mourir pour Taiwan.

    • Que les revendications de la Chine soient légitimes, on est d’accord.
      Maintenant, après une guerre civile, une partie de la population a fait sécession. Leur revendication d’indépendance est légitime elle aussi.
      Et quand ils voient le traitement réservé à Hong-Kong, on ne peut que les comprendre.

    • Les Chinois sont de grands pragmatiques. La douceur a marché pour Hong Kong, ils feront pareil pour Taiwan. L’option militaire est, au stade actuel, farfelue.

  • Ce serait vraiment, vraiment bien que tout ce petit monde se rappelle qu’une guerre nucléaire ne fait que des perdants.

  • Si Taïwan contrôle l’industrie mondiale des semi-conducteurs, ils ont les moyens de rendre tout le monde raisonnable.

  • – Taïwan, c’est la Chine
    – Les chinois se rappellent de 1842
    – L’extraterritorialité du droit US n’est-elle pas un motif d’affrontement pour le reste du monde depuis longtemps?

  • L’espace aérien d’identification de Taiwan est équivalent à l’espace maritime d’identification chinois; pourquoi parler d’incursion dans le premier cas et de simple passage dans le second?
    L’armée US a réalisé avec effroi qu’un certain nombre de composants essentiels sont fabriqués à l’étranger et notamment en Chine, et parfois plus fabriqués, problème logistique important en cas de guerre, si ils manquent quelques pièces pour réparer le matériel … On voit ce qui se passe pour la fabrication automobile

  • Vu aux informations ce midi:
    Le port de Los Angeles est engorgé par l’arrivée massive de conteneurs en provenance d’Asie ( de Chine en particulier) qui ne peuvent être déchargés et acheminés faute de dockers.
    Et vous pensez que les Etats Unis pourront se passer des produits importés de Chine en cas de conflit grave? Le problème est aussi que Taïwan fabrique une bonne partie des composants électroniques dont ont besoin les industries occidentales! Une sacrée partie de poker va se jouer bientôt!

  • Merci pour cet article complet.
    Une précision – On ne connaît pas la valeur militaire des Chinois « aucun soldat chinois n’a été au feu depuis 1979 ». En revanche, il est bon de rappeler que les Etats-Unis n’ont gagné aucun conflit majeur depuis… 1945 !
    Une question – La Russie n’est pas une superpuissance économique mais son armée est toujours une des plus puissantes. Quelle est son attitude actuelle et quelle serait elle en cas de conflit ?

    • 1945…contre le Japon avec 2 bombes nuc ?

      • « les Etats-Unis n’ont gagné aucun conflit majeur depuis… 1945 »

        La défaite de l’Union soviétique sans verser une goutte de sang.

    • bof.. guerre de corée, les autres étaient elles « gagnables »?

      on a gagné au mal .. et on a perdu..

    • La Russie a gagné quel conflit majeur depuis 1945 ? car vous la qualifiez de « puissante »

      • @FFire
        Son armée est puissante. Comme celle des Etats-Unis.
        Mais on peut avoir une armée puissante et perdre des conflits. C’est ce qui est arrivé aux Russes et aux Américains en Afghanistan ou au Vietnam.
        Un conflit ne se gagne pas qu’avec des victoires militaires…

    • Ils ont quasi tout gagné militairement et tout perdu politiquement depuis 1945.
      Il faut relativiser ces défaites quand même, ils ont foutu en l’air pas mal de concurrents, fait tourner leur machine de guerre, imposé leur droit.

  • Les guerres d’envergures entre grandes puissances se gagnent par la puissance économique.

    On s’est étripé dans des tranchées, ou sur des îles du Pacifique. On a bombardé des villes et des civils. Mais au final, c’est la capacité à produire des chars, des avions ou des bateaux par milliers qui fait la différence ou dans une guerre « froide » la capacité à détruire l’économie de l’autre.

    (Mince, que fait-on si on ne nous livre plus de smartphones ?)

    • Vous vous basez sur le résultat des deux dernières guerres mondiales. Deux c’est un échantillon un peu faible pour en tirer une loi représentative. Et en 1914 le camp le plus faible économiquement est passé à deux doigts de l’emporter.
      Les guerres s’arrêtent lorsque les nations ne sont plus prêtes à accepter les sacrifices nécessaires. Et à ce jeu la, une nation comme la Chine dont la population sera préparée idéologiquement à accepter des pertes (militaires ou économiques) peut tenir plus longtemps que les USA.

      D’autant plus que ceux-ci ne seront pas menacés directement par l’invasion de Taiwan.

      Après les US ont intérêt à faire face à Taiwan. Une invasion amphibie désavantage grandement l’attaquant. La Chine sera en position d’agresseur d’une démocratie, les USA n’auront pas de difficultés à obtenir un soutien des autres pays.

      • « Deux c’est un échantillon un peu faible pour en tirer une loi représentative. »

        + la guerre froide.

        Difficile de fournir un échantillon d’un millier de guerres mondiales !

        En fait je me demande surtout : si on se dirige vers une forme de guerre et qu’on ne veut qu’elle soit ni atomique ni économique, quelle forme peut-elle prendre ?

        USA + alliés contre Chine, c’est quand même pas la guerre des Malouines. Ni les bisbilles de Cuba ou Berlin !

        • une guerre conventionnelle de moyenne intensité sans utilisation d’armes nucléaires me parait tout à fait possible car un affrontement Chine-USA pour Taiwan ne menace pas la survie de l’un ou de l’autre. Et donc aucun des deux ne se sentirait obligé de les utiliser car acculé, ni n’aurait envie de les utiliser car sachant très bien ce que cela déclenchera.

          • « me parait tout à fait possible »

            Depuis 50 ans, les US et la Russie (ou la Chine) se sont affrontés de façon « conventionnelle » par l’intermédiaire d’autres nations. Belle hypocrisie, mais qui permet de continuer à faire des affaires et limiter les conséquences interne.

            Comment faire passer ce qui se trame à Taiwan comme une guerrilla locale quand on produit en série des portes-avions et des sous-marins ?

  • on peut voir aussi cet impérialisme comme le symptômes d’inquietude sur le plan interne..

    on verra..

    • Oui, le début des soucis internes commence en Chine….
      Et détourner le regard des chinois sur un objectif externe et patriotique est une politique qui a fait ses preuves.

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don
7
Sauvegarder cet article

Notre nouveau et brillant Premier ministre se trouve propulsé à la tête d’un gouvernement chargé de gérer un pays qui s’est habitué à vivre au-dessus de ses moyens. Depuis une quarantaine d’années notre économie est à la peine et elle ne produit pas suffisamment de richesses pour satisfaire les besoins de la population : le pays, en conséquence, vit à crédit. Aussi, notre dette extérieure ne cesse-t-elle de croître et elle atteint maintenant un niveau qui inquiète les agences de notation. La tâche de notre Premier ministre est donc loin d’êtr... Poursuivre la lecture

Ce vendredi 2 février, les États membres ont unanimement approuvé le AI Act ou Loi sur l’IA, après une procédure longue et mouvementée. En tant que tout premier cadre législatif international et contraignant sur l’IA, le texte fait beaucoup parler de lui.

La commercialisation de l’IA générative a apporté son lot d’inquiétudes, notamment en matière d’atteintes aux droits fondamentaux.

Ainsi, une course à la règlementation de l’IA, dont l’issue pourrait réajuster certains rapports de force, fait rage. Parfois critiquée pour son ap... Poursuivre la lecture

7
Sauvegarder cet article

Les milieux financiers découvrent tardivement les faiblesses du modèle chinois, pourtant perceptibles depuis une décennie. C’était prévisible pour tout observateur de la démographie, des mécanismes de développement et du communisme.

On peut penser notamment aux dettes souscrites en contrepartie de faux actifs, par exemple pour la construction de logements, alors qu’il y a de moins en moins de jeunes pour les occuper ou d’infrastructures redondantes, faisant momentanément la joie des bâtisseurs. Je me doutais bien que ces dettes sortira... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles