La hiérarchie des normes : un système de limitation des pouvoirs

La hiérarchie des normes est le pendant du principe de légalité, le tout permettant de limiter le pouvoir de l’administration.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
Conseil constitutionnel, Paris - Crédit photo : Jeanne Menj via Flickr (CC BY-ND 2.0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

La hiérarchie des normes : un système de limitation des pouvoirs

Publié le 2 octobre 2021
- A +

Par Raphaël Roger.

L’État de droit sous-tend que l’administration, le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif doivent être limités. C’est, nous l’avons vu, le principe de légalité étendue depuis au contrôle de constitutionnalité des lois. L’idée est donc de limiter le pouvoir. Cette limitation du pouvoir est opérée par le contrôle juridictionnel, par l’établissement d’un domaine réservé de compétence, l’assujettissement à la nation et le règne du droit sur la discrétion.

Tout cela doit être formalisé dans une structure juridique ou métajuridique : la hiérarchie des normes, structure établissant les règles de production et de reproduction de la norme juridique. La hiérarchie des normes prend le principe d’auto-limitation du pouvoir par la certification de la norme inférieure eu égard à la norme supérieure.

La hiérarchie des normes selon Kelsen

La hiérarchie des normes a été théorisée par Hans Kelsen dans son ouvrage Théorie pure du droit. Il s’agit d’un concept métajuridique avec des conséquences juridiques concrètes.

Mais d’abord, qu’est-ce qu’une norme et comment devient-elle une norme juridique ?

La norme est ici entendue comme :

La signification d’un énoncé prescriptif ayant pour objet de rendre pour autrui obligatoire, interdit, permis ou habilité un certain comportement 1

Une norme juridique en soi ne repose pas sur son caractère de norme juridique mais sur son appartenance à un système juridique plus global, que l’on nommera un ordre juridique, et plus précisément un ordre juridique de production et de reproduction du droit.

Pour qu’un ordre juridique le soit, il faut qu’il soit efficace, notamment au travers de mécanismes de compétences délimitées et qu’une sanction tombe en cas de non-respect de la norme inférieure eu égard à la norme supérieure. Dès lors, les normes supérieures doivent prévoir des sanctions en cas de non-respect de leurs prescriptions2.

La hiérarchie des normes s’inscrit dans un phénomène de concrétisation. Celle-ci passe notamment par la production de droit de la norme supérieure vers une norme inférieure. Si l’ordre juridique se concrétise, cela signifie que la norme supérieure produit ou détermine les conditions de production de la norme inférieure. Si la norme inférieure découle de la norme supérieure, elle ne trouve sa confirmation et sa concrétisation dans l’ordre juridique que si et seulement si elle respecte les conditions de production normative de la norme supérieure. On parlera alors d’un phénomène d’auto-régulation du droit.

Le phénomène d’auto-régulation du droit

Le phénomène d’auto-régulation du droit peut se voir comme suit.

Une norme A appartiendra à l’ordre juridique Z si et seulement si elle respecte les conditions de production de la norme B qui lui est supérieure. Si la norme A respecte les conditions de création de la norme B qui lui est supérieure, elle entre dans l’ordre juridique, c’est le phénomène de concrétisation.

Si la norme A ne respecte pas les conditions de production de la norme B, alors, par le mécanisme de sanction (comme le contrôle de constitutionnalité des lois par exemple), elle se verra évincer de l’ordre juridique. Le passage d’un état de pré-normativité à un état de normativité du fait de la concrétisation juridique est la juridicité.

Outre ces considérations très théoriques et normativistes qui avouons-le, ont un caractère de scientificité indéniable, concrètement, quelles sont leurs répercussion sur l’État de droit ?

Tout d’abord, chaque ordre juridique national a sa propre hiérarchie des normes. Sous la Ve République, la hiérarchie des normes se présente comme telle, de la norme inférieure à la norme suprême :

  • les actes administratifs,
  • la jurisprudence,
  • les normes réglementaires (article 37 de la Constitution),
  • les principes généraux du droit,
  • les ordonnances,
  • les lois,
  • le bloc de conventionnalité,
  • la Constitution avec le bloc de constitutionnalité (Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, Préambule de 1946 et Charte de l’environnement de 2005).

La primauté du bloc de constitutionnalité

En France donc, les normes suprêmes sont le bloc de constitutionnalité qui représente les valeurs suprêmes de notre civilisation. C’est donc de ce bloc que découlent les obligations juridiques au travers des normes inférieures.

Cela a des conséquences concrètes, déjà citées, dont le contrôle de la légalité.

En premier lieu, un acte administratif se doit de respecter la loi. Si l’acte administratif est illégal, le juge administratif l’annulera.

En second lieu, le juge administratif pourra contrôler un acte administratif par rapport à la Constitution si aucune loi ne fait écran (en principe). De même que la jurisprudence peut très bien être contra legem, il n’empêche qu’une loi pourra toujours venir contredire une jurisprudence.

Les actes réglementaires (article 37 de la Constitution) ne peuvent intervenir dans le domaine de la loi (article 34) et vice versa (en théorie). Donc ici le Conseil constitutionnel devra arbitrer entre les pouvoirs publics en se conformant à la norme supérieure et suprême qu’est la Constitution. De même, que les actes administratifs doivent respecter le bloc de conventionnalité, le juge administratif pourra faire ce contrôle en cas de violation constatée d’un acte administratif d’une obligation conventionnelle.

On voit donc que la hiérarchie des normes organise notre système juridique et le rend efficace par le mécanisme de sanction des autorités juridictionnelles ou constitutionnelles. La hiérarchie des normes est la transcription métajuridique de la limitation des pouvoirs. C’est à travers elle que s’organisent les pouvoirs publics.

Il existe cependant un écueil à éviter, qui est celui de tomber dans un normativisme pur qui consisterait à dire que tout ce qui n’est pas fait selon la norme supérieure n’est pas du droit. Cela est certes valable pour les actes normatifs les plus bas dans la hiérarchie des normes. Mais, quand il s’agit de la loi organique du 23 mars 2020 sur l’état d’urgence sanitaire, cela pose problème. Ici, oui, la Constitution ne prévoit pas ce genre d’état d’urgence sanitaire.

Pourtant, la Constitution ne peut pas tout énoncer. Alors dans son silence, à quoi se rattacher ? À la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel dans sa décision du 26 mars 2020, a confirmé que la loi organique portant sur l’état d’urgence sanitaire était valide eu égard à la Constitution. Dès lors, cet état d’urgence est bien entré dans l’ordre juridique sans pour autant avoir reproduit le droit supérieur. Preuve en est que cette norme a été juridicisée et concrétisée, puisque des décisions du juge administratif l’ont citée et que deuxièmement, la sanction de sa violation était effective au travers d’une police administrative spéciale.

La hiérarchie des normes est donc bien le pendant du principe de légalité, le tout permettant de limiter le pouvoir de l’administration.

  1. Hans Kelsen, La Théorie pure du droit
  2. Pour plus d’explications, voir le livre de Xavier Magnon, Théorie du droit, ellipses
Voir les commentaires (3)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (3)
  • La Constitution ne pouvant pas tout prévoir, le Conseil Constitutionnel s’accapare la création d’une norme suprême au fil des besoins : une institution non seulement non élue, mais reflet de l’entre-soi politique, nous gouverne…

  • Combien de bricolages, pardon : « révisions », de la Constitution depuis 1962 ?
    Une norme peut-elle être à géométrie variable?

  • c’est bien beau tout çà ais quid du détournement des lois par les administratifs eux-mêmes ???? dont la limitation du pouvoir semble évidente sur le papier mais un peu moins dans la vie réelle !!! Et même quand l’administration a tort ( donc qu’elle a abusé de son pouvoir ) il faut plusieurs années pour obtenir justice et réparations à condition de trouver et payer le cabinet d’avocats assez trapu pour affronter la dite administration et lui faire rendre gorge jusqu’en conseil d’état !!! En dehors du coût il faut donc une sacré santé physique et morale et peu de citoyens vont jusqu’au bout de la lutte ( car bien sur l’administration utilise tous les moyens à sa disposition et pas seulement juridiques mais vexatoires ou inquisitoires pour nous faire abandonner !! ) !!!

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Le fait pour un gouvernement de solliciter et d’obtenir la confiance de l'Assemblée contribue à la prévisibilité, la stabilité et la sincérité de l’action publique, et cela devrait être reconnu comme indispensable.

Le 30 janvier dernier, Gabriel Attal a prononcé son discours de politique générale, sans solliciter la confiance de l’Assemblée, avant qu’une motion de censure soit soumise, puis rejetée le 5 février. Le gouvernement Attal, comme le gouvernement Borne avant lui, a donc le droit d’exister, mais sans soutien de la chambre.

... Poursuivre la lecture

C’est en Angleterre que sont apparus les premiers concepts HACCP suite aux nombreux problèmes d’hygiène rencontrés sur des produits alimentaires. L’origine étant que les salariés des entreprises alimentaires n’avaient pas le réflexe de se laver les mains avant d’opérer sur les lignes de production.

S’en est suivi un certain confort de travail pour les responsables qui, au lieu de se fâcher et risquer les conflits, pouvaient se contenter de se référer aux normes écrites que les salariés avaient eux-mêmes signées. L’autorité était rempla... Poursuivre la lecture

Avec le retour de la volonté présidentielle d’inscrire l’IVG dans le texte fondamental qu’est la Constitution du 4 octobre 1958, certaines critiques sont revenues sur le devant de la scène, notamment venant des conservateurs, qu’ils soient juristes ou non.

Sur Contrepoints, on a ainsi pu lire Laurent Sailly, à deux reprises, critiquer cette constitutionnalisation en la qualifiant de « dangereuse et inutile » ou plus récemment, Guillaume Drago dans le « Blog du Club des juristes », critiquer ce projet, reprenant pour ce dernier une publ... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles