Texas, Pologne : le dangereux retour du centralisme aux USA et en Union européenne

Le centralisme de l'État fédéral américain et l'UE contre les États membres qui n’irait pas dans leur sens est problématique.
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President Joseph R. Biden by Peter Stevens (CC BY 2.0)

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Texas, Pologne : le dangereux retour du centralisme aux USA et en Union européenne

Publié le 13 septembre 2021
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Par Alexandre Massaux.

Le 7 septembre 2021, la Commission européenne demande à la CJUE, la Cour de justice de l’UE, d’imposer des sanctions financières à la Pologne du fait de sa réforme judiciaire. Le 9 septembre, le département de la Justice de l’administration Biden porte plainte contre le Texas. La possible menace de couper les aides fédérales à l’État a été évoquée.

Deux événements qui portent sur des motifs très différents, mais qui sont révélateurs d’une même tendance : une concentration de l’action politique entre les mains d’un pouvoir central au détriment d’autorités locales.

En l’espèce, il ne s’agit pas de s’interroger à propos de qui a raison sur l’avortement aux États-Unis ou sur l’indépendance judiciaire dans l’Union européenne, mais de constater que l’entité centrale (l’État fédéral américain ou la Commission européenne) se montre de plus en plus active pour assurer son autorité sur les États membres qui n’iraient pas dans son sens.

Cette tendance met en évidence plusieurs problèmes. D’abord, le développement de précédents qui pourront être utilisés par les forces politiques attaquées. Mais aussi, la dépendance à l’argent de l’autorité centrale, qui devient un moyen de pression et un élément de polarisation.

Un accroissement majeur du centralisme de l’action politique

Les États-Unis et l’Union européenne ont tous les deux des systèmes juridiques qui imposent à leurs États membres de respecter un droit qui émane de l’État fédéral ou des institutions européennes. Il est donc logique qu’il soit appliqué.

Néanmoins, on peut constater que l’on assiste à un renforcement de la centralisation. La crise du Covid a été un parfait exemple d’un fort interventionnisme des autorités centrales. On a pu constater la mise en place de dettes communes au sein de l’Union européenne ou des nombreux plans de sauvetages des deux côtés de l’Atlantique.

Cet état d’esprit, qui ne date néanmoins pas du Covid, risque de donner goût aux autorités centrales de l’intervention dans tous les aspects politiques des échelons politiques plus locaux, et par conséquent d’uniformiser les politiques qui seront prises au niveau plus central. Là encore au détriment de la capacité d’action des États membres.

Une uniformisation dangereuse

Cet activisme centralisateur est dangereux. En s’ingérant trop fortement dans les affaires des États membres qui ne vont pas, à tort ou à raison, dans le sens de l’autorité centrale, un précédent est créé. Le problème est que ce dernier sera exploitable par le camp adverse quand il sera au pouvoir.

Imaginons les eurosceptiques, qui sont de plus en plus en train de s’unir, arrivant à la tête de l’Union européenne. Ils n’auront aucun scrupule à utiliser les méthodes et le mode d’action politique popularisés par leurs prédécesseurs. Il n’est d’ailleurs pas impossible que le rapprochement des forces eurosceptiques, pourtant divisées entre elles, soit impulsé par cet activisme des institutions européennes.

Quant au parti républicain, Donald Trump avait déjà tenté de forcer la main à différentes villes démocrates sur la question de l’immigration et des « villes sanctuaires » en les menaçant de leur couper les fonds fédéraux. Le fait que Biden utilise le même type de méthodes, de surcroît contre un État entier ne va pas aider à calmer la polarisation.

Les aides et subventions : un outil pernicieux

Dans la plupart des cas, la sanction financière est privilégiée. À savoir couper les aides venant de l’autorité centrale.

Il est néanmoins critiquable qu’un État ou une région bénéficiant de subventions émanant d’une entité centrale refuse de suivre ses règles. Après tout, ces subventions proviennent de l’argent de contribuables qui ont potentiellement accepté la politique de cette entité centrale.

En cela, des pays comme la Pologne ou la Hongrie se retrouvent pris au piège de leur situation de principaux bénéficiaires nets d’aides de l’UE (du moins dans une situation pré-COVID).

Il n’est guère surprenant que le gouvernement néerlandais, membre des Frugal Four et opposé à de trop grandes dépenses européennes, soit l’une des voix les plus dures contre les deux pays d’Europe centrale. De là à conclure que les discours de violation d’État de droit ne sont qu’un prétexte pour cacher des questions budgétaires il n’y a qu’un pas à franchir.

Du côté américain le cas du Texas est plus complexe. Cet État reçoit l’équivalent net de 304 dollars par résident, un peu plus que la Californie (12 dollars) et beaucoup moins que la Virginie (10 000 dollars). Ce faisant, le Texas est le treizième État américain à dépendre le moins des aides fédérales. En d’autres termes, les habitants du Texas reçoivent à peine plus que ce qu’ils payent à l’État fédéral en impôts. Une coupure des aides fédérales serait une action perdante aussi bien pour le gouvernement fédéral que pour le Texas.

Dans tous les cas, le problème des subventions ne fait qu’aggraver les tensions politiques. Et la multiplication de l’activisme des autorités fédérales américaines et des institutions européennes en la matière ne va pas calmer la situation.

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  • En 1944, Hayek dans « La route de la servitude » (qui, au passage, a surement plus qu’influencé Orwell pour écrire son « 1984 ») avait déjà tout dit de cette tendance, qu’il nomme constructivisme, des démocraties modernes, dont découle la proéminence de l’État et donc une structure centralisée, les instances en dessous ou à coté devant marcher au pas, comme un seul homme…

  • Les pouvoirs centraux aux USA et dans l’UE sont la proie de lobbys très puissants, qui ne tolèrent pas que des contrepouvoirs locaux se mettent en travers de leur route. L’affaire Covid a permis un renforcement considérable de la main-mise des pouvoirs centraux et de ce qui les soutient. Nous entrons dans une époque qui verra s’opposer le centre des sociétés et la périphérie.

  • 48 millions d’électeurs = 48 millions d’avis différents, sans oublier les « versatiles » ?

  • C’est effectivement une tendance inquiétante. Jusqu’à présent les pays qui sauvegardaient le mieux une forme de liberté, sans être nécessairement très libéraux, avaient une structure étatique décentralisée, comme les Etats-Unis, la Suisse, l’Allemagne … Cela allait souvent de pair avec une plus grande efficacité économique. Mais ce que l’article dénonce va dans le cas de l’Europe encore plus loin : c’est l’abandon progressif de leur souveraineté par des états-nations à des organisations internationales comme l’UE, qui n’ont en fait pas de réelle légitimité démocratique. Le parlement européen par ex. n’est qu’un paravent qui donne l’illusion d’un contrôle démocratique. A un niveau encore plus élevé on peut craindre une même évolution avec l’ONU, on arrive à un « règne » de fonctionnaires internationaux, et il suffit à des minorités agissantes de mettre la main sur ceux-ci pour imposer leurs vues, souvent par le biais de règles de droits et de cours de justice.
    C’est le mécanisme actuel en Europe avec le « green deal », et au niveau mondial avec le Giec, et aux Etats-unis avec le « Wokisme » …

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