« Churchill » d’Andrew Roberts : portrait d’un géant

La dernière biographie en date de Churchill, publiée en langue originale en 2018, est due à Andrew Roberts.

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« Churchill » d’Andrew Roberts : portrait d’un géant

Publié le 27 juillet 2021
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Par Gérard-Michel Thermeau.

Ce pavé de plus de 1200 pages traduit par Antoine Capet est la biographie la plus détaillée disponible en français.

L’édition française date de 2020 et j’ai profité de mes vacances pour ingurgiter cette somme faramineuse.

Soucieux de démolir un certain nombre de légendes noires et de calomnies qui pèsent sur le nom du plus extraordinaire Premier ministre britannique de l’histoire, l’historien ne réalise pas pour autant un ouvrage hagiographique. Il ne cache rien des faiblesses, des aveuglements et des échecs de son héros avec ce ton pince-sans-rire qui caractérise les meilleurs auteurs britanniques.

Churchill n’avait-il pas confié à un député en 1929 :

« J’aime qu’il se passe quelque chose, et s’il ne se passe rien, j’aime intervenir pour qu’il y ait quelque chose qui se passe. »

 

La célébrité est la plus belle chose de la Terre

Comme l’avait bien vu le secrétaire du Conseil privé en 1914 parlant de Churchill : « Son défaut c’est qu’il voit tout à travers le prisme de sa confiance en lui-même. »

Il aimait d’ailleurs se moquer de lui-même :

« Tout le monde disait que j’étais le pire chancelier de l’Échiquier qu’on ait jamais connu. Et maintenant j’ai tendance à être d’accord. Donc, maintenant, le monde est unanime. »

Mais se faisant, Andrew Roberts rend d’autant plus sympathique ce personnage fabuleux à des années-lumière de l’actuelle médiocratie qui nous gouverne. Un lecteur francophone peu familier des détails de l’histoire politique britannique peut aisément se perdre dans le dédale de l’action de Churchill, particulièrement pour la période qui va de la fin des années 1930 à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Néanmoins, on peut aussi prendre du plaisir à se noyer parfois dans le détail de l’événementiel.

Il écrivait à sa mère en 1897 :

« La célébrité, raillée, mélodramatisée, dégradée, reste la plus belle chose de la Terre. »

Churchill appartient à l’espèce redoutable des grands hommes. Or, nous sommes à l’époque des petits hommes qui bavent, éructent, glapissent dès qu’ils sont en présence d’un personnage hors norme. Et Dieu sait que l’on peut aisément excommunier ou vouer au bûcher mémoriel une personnalité aussi dérangeante.

 

Churchill raciste, misogyne, impérialiste etc.

Homme de son temps, il est facile de le taxer de raciste, misogyne, impérialiste, suprémaciste blanc et autres joyeusetés surtout quand on tronçonne ses propos ou qu’on ne les replace pas dans leur contexte. De nombreuses citations de Churchill faites par le biographe sont d’ailleurs susceptibles de provoquer de graves troubles intestinaux pour le lecteur ou la lectrice adeptes de l’inclusivité, du véganisme, du vivre ensemble et des fiertés de tous genres.

Mais il a tant dit et sur tous les sujets que chacun peut trouver une petite satisfaction ici et là. Même les écologistes pourront se réjouir.

Visitant le Québec, Churchill eut cette réflexion en 1929 :

« Quelle idée d’abattre ces magnifiques arbres que nous avons vus cet après-midi pour en faire de la pâte à papier pour ces satanés journaux et d’appeler cela la civilisation ! »

Churchill avait par ailleurs une passion pour les papillons qui lui fit transformer un pavillon du parc de sa résidence de Chartwell dans le Kent en refuge pour les lépidoptères. Son goût de la chasse se conjuguait fort bien avec son amour des animaux.

Et même les féministes peuvent trouver matière à satisfaction, lui qui fut la cible de suffragettes dont la virulence n’avait d’égal que le goût pour la violence physique.

Il écrit à propos de Jeanne d’Arc :

« Les femmes de premier plan de cette époque étaient plus remarquables et plus fortes intérieurement que les hommes. »

 

Churchill intensément haï et calomnié

Au-delà du politiquement correct, un certain nombre de « révisionnistes » appartenant à l’espèce redoutable des stratèges en chambre ont cru devoir condamner même ce qui était universellement admiré chez lui. Ne l’a-t-on pas représenté dans un film récent1 en dépressif pleurnichard complètement à côté de la plaque ?2

Il est vrai que Churchill a été intensément haï et calomnié de son vivant, particulièrement dans les rangs de l’establishment britannique. On ne lui pardonnait pas, entre autres, d’avoir abandonné les conservateurs pour les libéraux, puis d’être revenu parmi les conservateurs.

Il plaisantait à ce propos :

« Tout le monde peut retourner sa veste, mais il faut une certaine ingéniosité pour la re-retourner. »

Il avait dit aussi à propos des diverses volte-face de sa carrière politique :

« Au cours de mon existence, il a souvent fallu que je ravale mes paroles, mais je dois avouer que j’ai toujours trouvé cela une nourriture très saine. »

Il fut présenté par ses adversaires politiques comme un arriviste sans conviction, un faiseur d’embarras, un hurluberlu aux plans fumeux conduisant invariablement au désastre, un aventurier politique malfaisant. Même pendant la guerre, où il jouissait d’une immense popularité au sein de la population, le soutien des Communes devait être « réticent, tiède et extrêmement volatil » souligne Andrew Roberts.

Mais si la population lui faisait confiance alors que tout allait mal en 1940-1941 c’est en raison de sa fidélité à ses convictions : il avait montré qu’il était tout justement, sauf carriériste.

 

Churchill paradoxe vivant

Paradoxe vivant, Churchill était d’un côté cet aristocrate qui s’est toujours fait servir, qui était soucieux de son confort personnel, qui portait des sous-vêtements en soie car son épiderme était sensible, qui prenait deux bains par jour.

De l’autre, il fut la tête brûlée3 qui participa à la dernière grande charge de la cavalerie anglaise au Soudan en 1898, qui s’échappa de prison en Afrique du Sud fin 1899, qui, chassé du gouvernement alla sur le front belge en 1915 commander un bataillon et qui, largement sexagénaire, montait sur les toits des ministères pour regarder les avions allemands ravager Londres.

Il faudrait compter le nombre d’obus ou de bombes qui sont tombés à proximité sans jamais le blesser, particulièrement pendant la Seconde Guerre mondiale. On peut mettre en doute beaucoup de choses concernant Churchill mais certainement pas son courage. Risquer sa vie fut au départ un choix délibéré pour se faire connaître, encore fallait-il avoir le cran de le faire.

Comme il le soulignait, raillant ceux qui affirmaient que les hommes d’État étaient guidés uniquement par l’altruisme :

« Qu’un homme veille raisonnablement à ses intérêts ne constitue ni un vice public ni un vice privé. »

Il avait le goût de la mise en scène et son manque de ponctualité s’explique en partie par le souci de faire une entrée remarquée.

 

Sa vie fut un roman abracadabrant

Il usait et abusait de l’automobile même pour de brefs trajets mais quand il parcourait à pied les quartiers en ruines victimes des bombardements, son garde du corps avait du mal à le suivre. Son mépris affiché du sport selon une fameuse formule, illustré par une rondeur quelque peu exceptionnelle, ne l’avait empêché ni d’avoir été un champion de polo en Inde ni d’avoir chassé le gros gibier en Afrique, sans parler de la chasse à courre en Angleterre.

Obsédé par la crainte de mourir jeune, il subit un nombre incroyable de chutes et d’accidents divers qui ne réussirent jamais à l’immobiliser longtemps et ne l’empêchèrent pas de mourir à un âge plus que respectable. Bref, sa vie fut un roman abracadabrant dont il fit le récit largement enjolivé dans de nombreux ouvrages.

Car cet orateur exceptionnel était aussi un stakhanoviste de l’écriture, qui pondait des livres, des discours et des articles au kilomètre. Il devait recevoir le Prix Nobel de littérature en 1953. L’écriture avait longtemps été pour lui une nécessité pour faire vivre sa famille et assurer un train de vie dispendieux. Ses trente sept livres comptent davantage de mots que l’œuvre conjointe de Shakespeare et Dickens ! Il pratiquait par ailleurs la peinture en amateur éclairé et la maçonnerie pour se délasser.

 

Amoureux de la France et de l’alcool

Churchill francophile admirait Napoléon, Clemenceau et le maréchal Foch, ce qui ne l’empêcha pas de se montrer très déçu par les Français en 1940 et de faire couler la flotte française à Mers-El-Kébir. Mais il ne s’entendit guère non plus avec de Gaulle dont le chauvinisme l’exaspérait.

Chantre de la construction européenne, favorisant le rapprochement franco-allemand après la Seconde Guerre mondiale, il considérait par ailleurs que le Royaume-Uni ne faisait pas partie du continent européen :

« Nous sommes avec eux mais nous n’en sommes pas. »

Churchill était un bon buveur mais on a souvent exagéré son penchant pour l’alcool, qui n’a jamais entamé ses facultés, car il savait boire intelligemment.

Comme il le disait, il faut se contenter de quelques gorgées :

« Un verre de champagne suscite l’euphorie, donne du nerf, stimule l’imagination et rend l’esprit plus agile. Une bouteille produit l’effet inverse. »

Il devait dire du champagne :

« Je ne saurais vivre sans champagne : dans la victoire, je le mérite ; dans la défaite, j’en ai besoin. »

Son whisky était par ailleurs largement dilué dans l’eau de Seltz.

Il ajoutait en 1919 :

« Une quantité raisonnable de boissons fortes modifie le regard sur l’existence. À la fin d’une journée chargée d’ennuis et de morosité, cela donne une apparence plus gaie aux choses, et c’est inestimable pour faciliter l’art oratoire et les relations sociales. »

Lors de sa rencontre avec Ibn Séoud d’Arabie Saoudite en 1945, le chambellan royal prétendit lui interdire de boire et fumer en présence du monarque.

« Moi, ma religion me prescrit comme rite absolument sacré de fumer des cigares et de boire de l’alcool avant, après, et au besoin pendant tous les repas et les intervalles qui les séparent. »

 

Churchill dans le texte

On lui prête de nombreux mots dont beaucoup, notamment les plus célèbres, sont apocryphes. Il partage cet honneur avec Mark Twain et Oscar Wilde. Voici un petit florilège de citations puisées à des sources sûres au fil des pages.

Adepte du libre échange, il ne devait y renoncer qu’à l’occasion de la Grande Dépression des années 1930. Jeune officier, il écrivait :

« Je suis contre toute ingérence du gouvernement dans le commerce privé. »

En janvier 1905 à Manchester :

« Mon avis c’est qu’en politique, quand on a des doutes sur ce qu’il faut faire, il ne faut rien faire. »

Adepte de la Tory Democracy chère à son père, il ne devint réellement libéral, au sens philosophique, qu’après la fin de la Seconde Guerre mondiale. La lecture de la Route de la Servitude de Hayek fut déterminante.

Ses propos de 1952 restent malheureusement d’actualité :

« La liberté de parole entraîne les maux que sont les propos stupides, déplaisants et venimeux que l’on entend. Mais, à tout prendre, il vaut mieux les tolérer que la supprimer. »

 

Un anticommuniste convaincu

Il ne s’est jamais fait d’illusion sur ce qui se passait en Russie.

Il avait écrit dès juillet 1920 :

« Ma haine du bolchévisme et des bolcheviks n’est pas fondée sur leur imbécile système économique, ni sur leur absurde doctrine de l’égalité impossible. Elle vient du terrorisme sanglant et dévastateur qu’ils pratiquent dans toutes les contrées où ils se sont introduits par la force, et par lequel seulement leur régime criminel peut se maintenir. »

À ses yeux, le communisme s’attaquait « à l’esprit humain et aux droits de l’Homme. »

Il avait dit dans un discours le 29 mai 1919 :

« Le bolchévisme n’est pas une politique, c’est une maladie. Ce n’est pas un credo, c’est une pestilence. »

Et à propos de Lénine :

« Son objectif : sauver le monde ; sa méthode : le faire exploser. »

Dans Great Contemporaries (édition de 1937) à l’occasion du portrait de George Bernard Shaw, un de ces écrivains adorateurs de Staline, il notait de l’URSS :

« Nous avons là un État dont près d’un demi-million de citoyens, réduits à l’eclavage en raison de leurs opinions politiques, pourrissent et gèlent dans la nuit arctique, se tuant au travail dans les forêts, les mines ou les carrières, beaucoup pour l’unique crime de s’être autorisé la liberté de penser qui, peu à peu, a élevé l’homme au-dessus de la bête. »

Son alliance avec l’URSS pendant la Seconde Guerre mondiale ne lui fit regretter aucun de ses propos antérieurs. Il s’agissait d’une entente momentanée face à un ennemi commun.

Il dit d’ailleurs de Molotov de passage au Royaume-Uni :

« Je n’ai jamais vu un être humain qui représente avec autant de perfection la conception moderne du robot. »

 

Churchill et le socialisme anglais

À propos des travaillistes, il n’hésitait pas à affirmer en janvier 1926 à Bolton, bastion ouvrier :

« Il faut qu’ils se départissent de cette erreur monumentale, de cette ineptie grotesque, fallacieuse et fatale de croire qu’en limitant l’initiative humaine, qu’en entravant par une fausse égalité les efforts de l’entreprise humaine quelle que soit sa forme, quel que soit son domaine, ils vont accroître le bien-être dans le monde. »

On connait davantage sa fameuse formule prononcée à Perth en mai 1948 :

« Le socialisme est la philosophie de l’échec, le credo de l’ignorance et l’évangile de l’envie. »

À l’hôtel Waldorf de Londres en mars 1926, il tenait un discours que pourraient méditer nos gouvernants :

« En matière de finances publiques, tout ce qui est agréable est malsain, et tout ce qui est sain est désagréable. »

Et le 19 mai 1927, il rappelait aux Communes :

« Si on s’attaque à l’épargne, on fait se propager immédiatement l’idée qui consiste à dire : « mangeons, buvons, prenons du bon temps, parce que nous serons tous morts demain ». C’est là à la fois l’inspiration et la maladie mortelle qui affectent la philosophie socialiste. »

Sa présentation du budget en 1929 fustige les dépenses inutiles :

« La gaspillomanie, c’est la politique qui consiste à acheter un os le matin pour passer le reste de la journée à essayer de trouver un chien à qui le donner. »

Son souci de l’équilibre budgétaire et de l’argent des autres contrastait avec son insouciance concernant son propre argent :

« À quoi sert-il si ce n’est à être dépensé ? »

 

On ne guérit pas un cancer par un vote majoritaire

Sur les questions économiques, il déclarait à Oxford en 1930 :

« Les problèmes économiques, au contraire des controverses politiques, ne peuvent être résolus par l’expression, aussi véhémentes soit-elle, de la volonté nationale, mais seulement en prenant les mesures voulues. On ne guérit pas le cancer par un vote majoritaire. »

À propos d’un projet de taxe sur les profits excessifs en 1937 :

« La fiscalité introduite pour servir un objectif politique quelconque et même pour inculquer quelque principe moral, s’avère en général incompatible avec les normes les plus élevées de la conduite des finances publiques. »

Il ajoutait d’ailleurs :

« Je sais bien que l’idée des socialistes, c’est que faire des profits est un vice et que faire des gros profits est quelque chose dont il faudrait avoir honte. Je soutiens le point de vue inverse. Je considère que le véritable vice, c’est de faire des pertes. »

Voilà un discours incompréhensible pour nos politiques.

Il s’inquiétait de l’extension des bureaucraties, déplorant devant sa femme :

« C’est vraiment intolérable la façon qu’ont ces ministères civils de dévorer toujours plus de terrain, comme une nuée de sauterelles dévastatrices. »

 

Quel dommage que le passé soit si peu compris

Et voici des propos encore plus remarquables durant la conférence à Oxford :

« Les gouvernements se laissent porter par des lignes de moindre résistance, œuvrant à courte vue, assurant leur maintien par des aumônes et des allocations tout en se conciliant l’opinion par des platitudes agréables à entendre. »

Dans ces Mémoires de la Grande guerre (1929) :

« L’histoire de la race humaine, c’est celle de la guerre. À part quelques brefs et précaires interludes, il n’y a jamais eu de paix dans le monde. »

Et dans une lettre peu après :

« Comme il est étrange que le passé soit si peu compris et si vite oublié. Nous vivons dans la plus irréfléchie des époques. Chaque jour, des gros titres et des opinions à courte vue. »

 

Churchill et Gandhi

Parmi les jugements expéditifs qu’on lui a beaucoup reproché, je ne résiste pas au plaisir de citer son portrait de Gandhi, « ce fanatique subversif et malfaisant » lors d’un discours le 23 février 1931 :

« Cela donne à la fois le frisson et la nausée de voir M. Gandhi, avocat séditieux formé à Londres qui se pose désormais en fakir semblable à ceux qu’on connait bien en Orient, gravir à moitié nu les marches qui mènent au palais du vice-roi, tandis qu’il continue d’animer et de diriger une campagne de défiance et de désobéissance civile, pour y négocier d’égal à égal avec le représentant du roi-empereur. »

Il devait d’ailleurs revoir son point de vue quand Gandhi prit la défense des intouchables. Cela dit, Gandhi ne devait pas être mieux inspiré en confiant à un ami en mai 1940 : « Je ne considère pas qu’Hitler soit aussi mauvais qu’on le dit. » Le Mahatma écrivait plus tard au Führer : « Et nous ne croyons pas que vous soyez le monstre dont parlent vos adversaires. »

 

Le gangster Hitler

Churchill fut plus lucide dans sa dénonciation du « gangster » Hitler. Son philosémitisme le rendait d’autant plus sensible à la barbarie nazie. Rappelons ce qu’était l’opinion « sérieuse » à l’époque.

Le Times, journal très anti-Churchill, présentait ainsi la Nuit des longs couteaux en 1934 :

« Quoi que l’on puisse penser de ces méthodes, M. Hitler essaie authentiquement de transformer la ferveur révolutionnaire en effort constructif et modéré pour imposer aux responsables nationaux-socialistes des exigences élevées au service du public. »

Au même moment, Churchill dénonçant le nazisme apparaissait comme « un aliéné évadé de l’asile ». En 1938, revenant de Munich où il s’était aplati devant Hitler, Chamberlain était considéré comme l’un des plus grands Premiers ministres de l’histoire d’Angleterre. Et Churchill fut violemment critiqué pour avoir osé porter atteinte au merveilleux « consensus ».

Le 5 octobre 1938 dans un discours magnifique il soulignait :

« Et ne croyez pas que c’est la fin. Ce n’est que le début de ce qu’il va falloir payer. »

Comme il devait le dire une fois nommé Premier ministre :

« Il n’y en a qu’un qui peut me chasser et c’est Hitler. »

Ce dernier ne manquait jamais une occasion de vomir sur Churchill.

Les beaux discours qu’il a pu prononcer pendant la guerre sont trop connus pour être rappelés ici.

 

Le culte de l’Empire

À la Maison Blanche, devant un Roosevelt hilare, il avait répondu du tac au tac à Mrs Ogden Reid, dont le mari possédait le New York Herald Tribune. Prônant l’indépendance des Indes, elle lui avait demandé : « Que comptez-vous faire pour ces malheureux Indiens ? »

« Madame, de quels Indiens parlez-vous ? Parlez-vous par hasard de la deuxième nation de la Terre par la population, qui, sous la gouvernance bienveillante et bienfaisante des Britanniques, s’est multipliée et a prospéré à un rythme vertigineux ? Ou bien pensez-vous aux misérables Indiens d’Amérique du Nord qui, sous votre administration, sont en voie d’extinction presque totale ? »

Churchill devait conserver pendant toute sa carrière son culte de l’Empire britannique.

Comme il l’avait écrit dans son ouvrage London to Ladysmith via Pretoria :

« Comme sont rares ceux qui sont assez forts pour résister aux courants d’opinion dominants ! »

 

Une carrière exceptionnelle

Premier lord de l’Amirauté au début de la Première Guerre mondiale, chancelier de l’Échiquier après la guerre, Premier ministre deux fois, Churchill a marqué de son empreinte l’histoire de son pays de 1910 à 1955. Il est le seul dirigeant à avoir occupé des fonctions de premier plan pendant les deux guerres mondiales. La biographie de Roberts est bien sûr centrée sur la période 1940-1945 qui occupe un tiers du volume.

On sait que les Conservateurs perdirent les élections de 1945 au profit des Travaillistes. Lors de leur dernier entretien, le roi lui proposa pour la troisième fois la Jarretière.

Churchill, qui avait accepté sa défaite en gentleman, ne put s’empêcher de faire un bon mot :

« Pourquoi devrai-je accepter que Sa Majesté m’intronise dans l’ordre de la Jarretière alors que le peuple vient de me faire entrer dans l’ordre du coup de pied au derrière ? »

En réalité, Churchill était épuisé à l’issue de ces 1900 jours. Comme Premier ministre, il avait parcouru 180 000 kilomètres à l’étranger sur quatre continents par tous les moyens de transports possibles sans quasiment prendre de vacances.

Sa santé ne devait vraiment se dégrader qu’à compter de 1949, mais comment prendre sa retraite quand on s’est toujours battu ? Pour certains, son retour aux affaires fut une fois de trop.

À la fin de l’année 1953, il confiait à un proche :

« Je me sens comme un avion en fin de parcours, dans le crépuscule, presque à court de carburant, qui cherche un endroit pour atterrir en toute sécurité. »

 

Churchill sut tirer profit de ses erreurs

Son neveu par alliance, Anthony Eden, tellement pressé de mettre le vieux lion à la retraite ne devait guère se montrer un Premier ministre à la hauteur. Réélu député pour la dernière fois à l’âge de 84 ans, Churchill prit sa retraite parlementaire à près de 90 ans. Mais il n’était plus que l’ombre de lui-même.

S’il s’est beaucoup trompé au cours de son exceptionnellement longue carrière politique, Churchill s’est montré beaucoup plus lucide que la plupart des responsables politiques sur « trois menaces mortelles » écrit son biographe : le militarisme prussien, le nazisme et le communisme soviétique. La liste de ses réussites est beaucoup plus longue que celle de ses erreurs et de ses échecs. Il eut d’ailleurs une chance confondante, même dans ses défaites.

Surtout, il sut tirer profit de ses erreurs : la débâcle des Dardanelles, qu’il devait traîner comme un boulet, « lui apprit à ne pas passer outre à l’avis des chefs d’état-major » pendant la Seconde Guerre mondiale. Churchill était un être profondément passionné, un sentimental qui avait la larme facile, un hédoniste agissant sous le coup des émotions, ce qui ne veut pas dire qu’il manquait de jugement.

Andrew Roberts démontre que le Churchill dépressif et alcoolique relève largement du mythe.

 

Un anticonformiste victime d’une légende noire

En revanche ce « romantique émotif et entêté » a su redonner du courage à un pays qui en manquait cruellement. Bien qu’issu de l’establishment, il était un anticonformiste et un marginal n’ayant jamais servi personne, si ce n’est son roi.

Aujourd’hui une légende noire le poursuit : ce philosémite est même dénoncé comme antisémite ! Des accusations totalement dénuées de fondement de massacres, de « génocide », d’assassinats divers pullulent sur les réseaux sociaux. J’ai même lu un commentateur sur YouTube l’accusant d’avoir créé les camps de concentration lors de la guerre des Boers en Afrique du Sud, rien moins. Je vous renvoie à l’argumentation de son biographe.

Nous vivons vraiment à l’époque des ignares prétentieux et sentencieux. Vite, reprenons une dose d’humour churchillien.

Churchill : Walking with Destiny d’Andrew Roberts, traduit de l’anglais par Antoine Capet, Perrin, 2020, 1320 pages.

  1.  Churchill, 2017, de Jonathan Teplitzky avec Brian Cox
  2.  On peut préférer l’image présentée par Les Heures sombres de Joe Wright avec Gary Oldman
  3.  La jeunesse aventureuse de Churchill est évoquée dans Les Griffes du Lion (Young Winston) de Richard Attenborough (1972) avec l’excellent Simon Ward
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