Élections : et si on parlait représentativité ?

La légitimité accordée aux élus ne fait pas tout, ils devraient aussi être des représentants du peuple, une qualité qu’on peut difficilement leur accorder vraiment quand l’abstention est si forte.

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Élections : et si on parlait représentativité ?

Publié le 14 juillet 2021
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Par François Lainée.

Les élections récentes ont vu monter un phénomène qui semble là pour durer : l’abstention est en hausse vertigineuse, les candidats décrochent, quelle que soit leur couleur, le peuple ne croit plus que voter soit utile.

Malgré cela la mécanique du pouvoir remplit sa fonction ; elle désigne des gens pour faire tourner les rouages dont il a besoin. Et cette attribution se fait en imprimant une étiquette de qualité contrôlée sur ces serviteurs du système : légitimité.

Mais c’est oublier que ces élus devraient aussi être des représentants du peuple, une qualité qu’on peut difficilement leur accorder vraiment quand l’abstention est si forte.

Or, sans vraie représentativité ces élus, tels des personnages de dessin animé qui marchent dans le vide avant de disparaître, gouvernent dans le néant, sans lien avec le peuple.

Une situation porteuse de multiples dangers

Après le désastre démocratique des élections régionales de juin, marquées par l’abstention de deux tiers des votants, le pouvoir commence enfin à se poser mollement la question de l’impact de cette démobilisation massive des électeurs sur l’organisation de notre République.

Mais cet effondrement apparemment soudain est sans nul doute le résultat naturel d’une évolution en cours depuis des décennies, liée à une lente désillusion généralisée face aux promesses non tenues des élus, à la montée de l’Europe et de la mondialisation, à une tendance croissante des citoyens à être consommateurs plutôt qu’acteurs en matière politique.

Quoiqu’il en soit, les faits sont là, et ils mettent en exergue la présentation biaisée des résultats électoraux par le pouvoir et les media : on cite le niveau de l’abstention par habitude, s’y arrêtant un peu plus quand il devient énorme comme c’est le cas depuis deux années, puis on attribue aux candidats des scores ramenés aux votes exprimés, blancs et nuls non comptabilisés.

Cette façon de faire a de tout temps été une forme de supercherie et vise à donner corps à une formule clé dans l’imagerie démocratique : les élus sont des représentants du peuple.

Or cette expression est en fait à double sens.

Prise dans son sens institutionnel, elle ne fait que décrire un rôle attribué aux élus dans la mécanique du pouvoir. Nous prétendons vivre en démocratie, là où le peuple doit prendre part au pouvoir. Il faut donc naturellement que dans l’organisation de ce pouvoir il y ait quelque part des acteurs qui le représentent. Ce sont les élus. Dans cette perspective, que ces élus le soient par 50 % du peuple, 35 % ou 5 %, cela n’a pas d’importance ; un processus s’est réalisé de manière conforme aux règles. Ces gens sont les représentants du peuple. C’est la ligne tenue par le pouvoir et les media qui adoptent la présentation des résultats voulue par lui.

Prise sous l’angle du bon sens commun, les représentants doivent mériter ce titre par le fait qu’ils sont effectivement les représentants, c’est-à-dire les porte-parole du peuple dans les débats et décisions qui façonnent la chose publique. Et, vu sous cet angle, une abstention élevée est un coup fatal à la chanson démocratique que le pouvoir souhaite chanter, au mythe de légitimité automatique de ces élus qui en réalité ne nous représentent pas.

Pour illustrer l’ampleur des dégâts, rappelons que les récentes élections régionales pont amené au pouvoir Xavier Bertrand avec le support de seulement 17 % des électeurs, ou Valérie Pécresse avec 15 %. Et le syndrome est plus frappant encore si l’on analyse le résultat des municipales de 2020.

Avec 58 % de taux d’abstention au second tour, nous ne sommes pas loin de ce qui s’est passé en juin 2021. Certes, les commentateurs pointent le risque sanitaire bien plus présent en 2020 qu’en 2021, qui a notamment démobilisé les seniors, une catégorie qui traditionnellement participe fortement. Mais in fine, le résultat est bien là, quand on se demande, pour chaque élu individuellement, de quelle légitimité représentative il peut se targuer.

L’analyse exposée ci-dessous montre l’écart majeur entre la représentation des résultats donnée par le pouvoir officiel et celle apportée par l’analyse de représentativité des élus.

électionsAu vu de ces courbes, le pouvoir officiel dira en effet : plus de 80 % des Français sont dirigés par des maires qui ont eu un score de plus de 50 % (sous-entendu des voix exprimées). Et nous dirons plutôt 50 % des Français sont dirigés par des maires qui ont été choisis par moins de 25 % des électeurs !

En nous plaçant sur le terrain de la représentativité pour juger de la solidité de la légitimité que le système accorde à ces élus nous dirions que :

  • 50 % des Français sont gouvernés par des maires à la légitimité très faible ; moins de 25 % des électeurs les ont choisis
  • 32 % des Français sont gouvernés par des maires à la légitimité moyen faible ; entre 25 % et 37,5 % des électeurs les ont choisis
  • 14 % des Français sont gouvernés par des maires à la légitimité moyen forte ; entre 37,5 % et 50 % des électeurs les ont choisis
  • 4 % des Français sont gouvernés par des maires à la légitimité forte ; plus de 50 % des électeurs les ont choisis

Une présentation toute aussi réelle que l’image d’Épinal qui nous est servie habituellement, et certainement dérangeante pour la démocratie.

De façon plus fine, il est intéressant d’analyser ce phénomène de (non) représentativité par tendance politique des élus. Pour les communes de plus de 3500 habitants, les préfectures ont en effet l’obligation de donner une couleur politique aux listes qui se présentent. Ce qu’elles font sur un nuancier à 24 couleurs, groupées en 7 grandes classes : extrême gauche, gauche (incluant communistes, socialistes et écologistes), centre, droite, extrême droite, divers et non classés.

L’analyse ci-dessous présente la distribution de représentativité des élus (le % des électeurs qui les ont choisis) par tendance, pour les communes où ce classement préfectoral a été effectué.

électionsDeux faits majeurs apparaissent :

  • Globalement, toutes les tendances souffrent d’un déficit majeur de représentativité. Le mal atteint toutes les sensibilités. C’est un véritable désamour politique généralisé qui frappe notre pays.
  • Mais ce désamour est plus grand encore pour les tendances des politiques traditionnelles (gauche, droite et, dans une mesure un peu moindre, centre) que pour les non classés et divers ; des listes qui évitaient les étiquettes traditionnelles, se présentant souvent comme des listes citoyennes. De fait, bien des candidats qui avaient des idées proches de celles des partis de droite ou de gauche ont préféré souvent éviter tout affichage de ce type, conscients qu’ils font aujourd’hui plutôt effet de repoussoir que d’attracteur.

 

Notre démocratie, celle que nous avons construite depuis la Seconde Guerre mondiale, est en phase terminale. Elle continue de tourner par l’effet mécanique de règles qui garantissent que les postes de gouvernance seront remplis, quoiqu’il arrive. Mais le peuple n’y est plus représenté et la légitimité réelle des gouvernants s’en trouve fragilisée, voire même questionnée.

Il est temps de revenir aux fondements de la démocratie pour trouver des formes de pouvoir qui représentent vraiment mieux le peuple que le jeu de théâtre actuel. Cela ne se fera pas sans remise en cause profonde, bien au-delà des effets de processus que seraient des votes à distance, facilité pour électeur consommateur.

Sans cela, les Gilets jaunes pourraient bien revenir, sous d’autres couleurs ou d’autres formes, pour rappeler avec violence que légitimité sans représentativité n’est que ruine politique.

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  • Fausse représentativité ou leurre ? Tant que les élus seront lâchés libres de leurs faits et gestes sitôt installés dans leurs fonctions, il ne connaissent plus du tout leurs concitoyens ! Seul remède: le contrôle !

  • Macron a voulu court-circuiter les corps intermédiaires, de plus entre abstention et absence de proportionnelle, les élus ne sont plus du tout représentatifs, d’où le recours à d’autres moyens d’expression (gilets jaunes…), plus violents, contre un pouvoir autocratique absolu.

  • Je ne remet nullement en cause votre analyse à laquelle je souscrit.
    Le seul aspect qui me gêne est la déresponsabilisation du peuple dans votre analyse. Les candidats ne sont ils pas le symptôme plutôt que la cause de notre crise démocratique ? Le fait que cette crise politique revêt un aspect mondialisé me laisse penser que les candidats ne sont pas responsables de leur médiocrité. J’y verrais plutôt la faillite d’un système où la finance et l’avidité a pris le pas sur tout sens de l’intérêt général, de vision à long terme. L’individualisme généralisé n’admet aucun compromis, sens du devoir.

  • Je ne comprends pas le concept de dire qu’il faut que x% d’élus soit sélectionné en proportionnelle et les autres par les résultats du vote final…
    La vraie démocratie serait de ne faire que des élections à 1 tour avec représentativité proportionnelle de 100% des députés dans l’assemblée… Ca simplifierait pas mal de choses…

  • Dans un pays où l’assistanat est roi rien de plus normal de ne pas se prononcer s’il n’y a pas un avantage à la clef. Proposez 20 € à chaque personne qui dépose un bulletin de vote et vous verrez que les bureaux de vote seront pleins.
    Enfin, et c’est plus grave, quand un peuple se désintéresse de son destin la porte est grande ouverte à l’arrivée des pires tourments. Mais les tourmenteurs potentiels y trouvent un avantage car il n’ont pas besoin d’être légitimé par le vote pour mener leurs actions en toute liberté et nous leur en donnons sans recours possible tout les moyens.

    • « un peuple se désintéresse de son destin »? Ce ne serait pas plutôt le personnel politique qui se désintéresse du destin du peuple. À la longue, ça devient énervant, d’entendre reprocher au peuple les tares de nos politiciens.

  • Je préférerais que nous votions pour des actions à mener, en confiant à des managers compétents et correctement payés la réalisation d’icelles.
    Voter un blanc-seing à des roublards sélectionnés pour leur capacité à embobiner, quelle blague.

  • En réduisant le périmètre de l’Etat et ses dérives on aurait de facto une meilleure représentativité, des élus mais surtout des individus dans la société civile.

  • Quand les élus sont médiocres il ne faut pas leur en vouloir ils ne sont qu’un échantillon du peuple, si le peuple est mauvais les élus seront mauvais quelque soit le syteme électoral… La démocratie est mauvaise de toute façon puisqu’elle ne selectionne que par effet soit mouton nier, on élit toujours les mêmes ou sous une grosse campagne de pub, le plus riche l’emporte.

    • Ce n’est pas le peuple qui choisit les candidats, mais les partis politiques, voire les médias. Entre nul de gauche et nul de droite, qui choisissez-vous ?

  • comme les représentants ne sont plus présents dans les hémicycles… ils sont encore moins représentatifs !

  • Merci pour ce bel article.
    Xavier Bertrand totalise donc 17 pour cent des suffrages des électeurs inscrits et, dès le lendemain de sa « brillante » élection, il y découvre sa légitimité pour postuler à la prochaine élection du roi des français…
    Les rêves de grandeur de certains et de certaines (tous plus ou moins hors sol) font penser à la fable de la laitière et le pot au lait…
    Les élections de ce pays ressemblent de plus en plus à des parties de poker … menteur.

  • Poser le problème sans solution est un peu stérile !!! De plus qui est responsable , le peuple par son mauvais choix ??? ou le représentant élu traitre à son engagement ??? Un peu des deux certainement mais l’abstention n’est surement pas le remède !! Tant qu’une loi pourra être votée à deux du matin par 70 députés le choix du peuple et sa représentativité ne sont pas en cause !!! Que ceux qui préfèrent le rapport de force avec ses casses et exactions commencent par jouer le jeu démocratique au lieu de la saboter pour pouvoir prétendre à une légitimité contestable à moins comme le fait l’extrême gauche revendiquer le pouvoir absolu ( appelé populaire ) mais dans ce cas il n’y a plus de question de représentativité ou de légitimité puisque l’on a changé de régime !!!!

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