Aix-en-Provence, laboratoire d’idées du libéralisme

Des générations d’étudiants, de professeurs et d’intellectuels y ont découvert Hayek, Bastiat, von Mises grâce au laboratoire d’idées libérales qu’est la ville d’Aix-en-Provence.

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Aix-en-Provence, laboratoire d’idées du libéralisme

Publié le 10 juillet 2021
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Par Frédéric Mas.

Dans les couloirs de la fac d'Aix en Provence
Dans les couloirs de la fac d’Aix-en-Provence (collection privée F. Mas)

Aix-en-Provence, 10 juillet 2021.

Salle des actes, ambiance studieuse : des économistes, des professeurs, des étudiants, de jeunes professionnels testent en pratique comment fonctionne la main invisible du marché. Au pupitre, Cathleen Johnson, enseignante de philosophie à l’Université d’Arizona, États-Unis.

Cathleen Johnson à Aix en Provence
Cathleen Johnson à Aix-en-Provence, le 10/07/2021. (collection privée F. Mas)

Elle vient de cosigner avec David Schmidtz et Robert Lusch, eux aussi professeurs en Arizona, Commercial Society, A Primer on Ethics and Economics, un petit manuel d’économie pratique, bourré d’exemples concrets et d’exercices simples, adressé aux étudiants et aux enseignants.

Leur réputation académique est internationale, et illustre la volonté de Vernon Smith, le père de l’économie expérimentale et récipiendaire du prix Nobel d’économie de 2002, de tester les théories économiques pour voir comment elles fonctionnent concrètement. Mais ce sont aussi les réflexions d’Elinor Ostrom et Adam Smith qui sont explorées pour rendre compte de l’activité économique elle-même.

David Schmidtz (collection privée F. Mas)

Pour David Schmidtz et Cathleen Johnson, l’économie n’est pas seulement testable, elle est une branche essentielle de l’éthique.

Loin des clichés pessimistes sur l’implacable « loi du marché » ou la rationalité froide d’homo economicus, l’économie est indissociable de la question de la vie bonne et de la manière d’améliorer le monde par notre action personnelle :

« Étudier l’éthique, l’économie, l’entrepreneuriat ensemble nous donne une chance de demander quelle sorte de vie et quelle genre de société vous souhaitez avoir » écrivent-ils dans Commercial Society.

 

Le libéralisme français est aixois

C’est une petite révolution pédagogique et dans le domaine de la discipline qui a des conséquences dans la vie quotidienne. Elle se passe en France à Aix-en-Provence, au sein d’une université qui, au fil des années, s’est révélée être le principal centre de formation et de diffusion de la pensée libérale dans le pays.

Des professeurs, des étudiants, des intellectuels s’y succèdent depuis les années 1970 pour alimenter le débat en idées neuves et l’ouvrir à la production internationale, le tout grâce à l’énergie et l’implication d’une poignée d’intellectuels d’avant-garde.

Fac de droit et de sciences politiques Aix en Provence
Fac de droit et de sciences politiques Aix-en-Provence (crédit F. Mas)

Aix-en-Provence est le laboratoire d’idées du libéralisme français depuis les années 1970. L’ombre des « nouveaux économistes », ce collectif d’économistes libéraux créé par Jacques Garello, lui-même professeur émérite à l’université d’Aix-Marseille III plane sur la fac et depuis, la vie de l’esprit ne s’y est pas arrêtée. Bastion des idées autrichienne en économie, de l’école de Chicago et de la nouvelle économie institutionnelle, elle offre une alternative radicale à l’offre universitaire française ordinaire.

Des générations d’étudiants, de professeurs et d’intellectuels y ont découvert Hayek, Bastiat, von Mises grâce aux cours de Jacques Garello, Gérard Bramoullé, Jean-Yves Naudet, Serge Schweitzer, Jean-Pierre Centi, Pierre Dussol et tant d’autres.

« Une génération qui s’est trouvée en position de faire beaucoup de choses » observe Pierre Schweitzer, qui enseigne l’économie à Aix quand il n’anime pas les podcasts de Contrepoints.

 

Aix, Hall de la fac de droit et de sciences politiques (crédit F. Mas).

Un microcosme favorable aux idées libérales nouvelles éclot. Aix n’aurait sans doute pas eu autant de succès sans une situation locale bien particulière, celle d’une faculté d’économie à taille humaine et d’une ville magnifique, ensoleillée et accueillante pour les échanges universitaires. En effet, l’aventure libérale d’Aix-en-Provence est imbriquée dans celle mouvementée de l’université d’Aix-Marseille III, qui voit le jour en 1973, et deviendra en 2004 l’université Paul Cézanne.

Charles Debbasch négocie directement sa création auprès du ministère de l’Éducation nationale. Elle deviendra une sorte de foyer de résistance au gauchisme dans le contexte passionné de l’après 68.

La fac d’économie appliquée qui est associée au tout jeune établissement scolaire devient la rivale d’Aix-Marseille II. Pour Pierre Schweitzer cette situation a longtemps favorisé l’émulation dans le petit monde universitaire aixois.

Depuis 2012 et la fusion des universités d’Aix-Marseille, la situation a changé et les rivales d’hier coopèrent désormais. La bureaucratisation de l’université française progresse, la dynamique libérale ralentit mais ne disparaît pas pour autant. Elle se réinvente en explorant de nouvelles pratiques d’enseignement.

 

L’esprit des « nouveaux économistes »

C’est que l’enseignement ne se limite pas aux salles de classe : en 1978 Jacques Garello crée avec Pascal Salin l’université d’été de la nouvelle économie qui ouvre le petit monde des économistes français aux débats internationaux.

Les universitaires libéraux les plus prestigieux défilent… et s’y retrouvent toujours : Gary Becker, Leonard Liggio, et plus récemment Douglas Rasmussen ou Tom Palmer, qui a reçu en 2019 la médaille de la ville des mains de Gérard Bramoullé. Jacques Garello, infatigable défenseur de la liberté, édite encore aujourd’hui La Nouvelle lettre, qui fête cette année ses 40 ans d’existence.

Université Aix-Marseille (crédit F. Mas)

La dimension internationale du libéralisme d’Aix s’est transmise aujourd’hui dans la nouvelle génération d’enseignants. Pour Pierre Garello, lui-même professeur à l’université d’Aix-Marseille comme le fut son père, « c’est dans l’intention de tous les libéraux de coopérer ». Aix reste un point d’ancrage pour tous les mouvements et think tanks libéraux ouverts à l’international.

Pierre Garello préside encore aujourd’hui l’Institute for Economic Studies Europe (IES) qui organise des séminaires de recherches partout en Europe. Hier il intervenait en Roumanie, aujourd’hui il accueille, avec Emmanuel Martin, Cathleen Johnson et David Schmidtz pour transmettre ses principes de base.

Emmanuel Martin est aussi économiste à Aix, mais aujourd’hui, il s’affaire pour que tout marche bien pour les conférenciers comme pour les étudiants invités. Il court pour que personne ne manque de café ou de bouteille d’eau, et ne s’interrompt que pour prendre à son tour la parole au pupitre.

Emmanuel Martin sur l’enseignement des sciences humaines en France

Comme Cathleen et David, il veut s’adresser aux jeunes étudiants qui sortent du lycée pour leur faire comprendre que l’économie n’est pas une discipline abstraite, mais bien un raisonnement moral imbriqué dans la vie quotidienne. Il a traduit Commercial society aux éditions Free, « bientôt disponible » nous assure-t-il. L’aventure aixoise du libéralisme continue.

Fac de droit Aix-en-Provence (crédit F. Mas)

[Mise à jour 12/07/2021]

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  • merci pour cette information !

  • Je ne pensais pas que ça existait en France. J’étais persuadé qu’aucune université ou grande école n’enseignait l’économie libérale. Peut-être que c’est grâce a son éloignement de Paris que les socialistes n’ont pas pensé/réussi à la faire fermer.

  • Très bien !

    C’est quand qu’ils se connectent au réseau national ?

  • Et ils sont devenus quoi ces libéraux, ça en fait une sacrée quantité depuis le temps, tous en Suisse ?

    • Après réflection(l’orthographe avec Google est difficile) et un ou deux aperos, que feraient ils donc en politique, y a rien de sexy de s’embêter la dedans surtout que pour y devenir riche il ne faut pas d’intégrité ni de libéralisme… .

  • Les commentaires sont fermés.

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