Le tourisme spatial est sorti de la science-fiction

Le tourisme spatial est porteur d’un puissant soutien à l’industrie donc à l’exploration spatiale, donc à la sortie de l’homme de son cocon terrestre.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
Photo by SpaceX on Unsplash - https://unsplash.com/photos/MEW1f-yu2KI

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Le tourisme spatial est sorti de la science-fiction

Publié le 8 juillet 2021
- A +

Par Pierre Brisson.

Le tourisme spatial est sorti de la science-fiction pour devenir une possibilité tangible. Comme on pouvait s’y attendre, ce sont les grands capitalistes anglo-saxons qui sont en train de l’offrir au public.

Précisément les deux en lice sont Jeff Bezos avec Blue Origin et Richard Branson avec Virgin Galactic. Mais Elon Musk est derrière, on ne peut pas dire dans l’ombre car Elon aime la lumière. Il travaille et développe l’outil qui risque bientôt d’écraser ses concurrents.

Mais au-delà de l’anecdote, ce tourisme est porteur d’un puissant soutien à l’industrie donc à l’exploration spatiale, donc à la sortie de l’homme de son cocon terrestre.

Le tourisme spatial est encore un grand mot pour désigner une petite chose. Pour les deux sociétés en première ligne, il s’agit de monter des passagers en altitude jusqu’à dépasser les 100 km (62 miles), fameuse « ligne de Karman », limite définie assez approximativement donc arbitrairement par le physicien hongro-américain Theodor von Karman pour désigner la différence entre la région où l’atmosphère a un effet notable sur les véhicules volants et celle où cet effet est négligeable.

Pendant un temps elle n’a été aux États-Unis que de 50 miles. Les avions de ligne volent entre 11 et 13 km d’altitude où ils profitent pleinement de la portance atmosphérique mais il faut bien voir que l’altitude de 100 km n’est que la petite entrée dans l’espace. Pour donner un exemple la Station Spatiale Internationale (ISS) évolue aux environs de 400 km.

En fait, à cette altitude basse, l’attraction terrestre est presque aussi forte qu’au sol (rappelons que le rayon de la Terre est de 6370 km) et les satellites qui s’y trouvent compensent cette attraction par une vitesse orbitale relativement d’autant plus grande qu’ils sont bas (moyenne 7,66 km/s soit 28.000 km/h pour l’ISS). Par ailleurs il y a aux altitudes basses un freinage par atmosphère résiduelle dont l’effet est loin d’être nul aux vitesses élevées. Il n’est donc pas question de rester longtemps juste au-dessus de 100 km sans aller « tourner » plus haut ou redescendre.

Les touristes vont « faire un petit tour et puis s’en iront », en fait 4 minutes seulement au-dessus de la ligne pour ceux qui y seront lancés par le New Shepard de Blue Origin comme par l’avion-fusée de Virgin Galactic.

Les vecteurs sont différents selon les compagnies. Pour Blue Origin et pour SpaceX (pour l’instant) c’est une capsule, « New Shepard Crew Capsule » pour le premier, « Dragon » pour le second ; elles sont propulsées dans l’espace par un lanceur (on dit aussi un « premier étage » ou un booster) et le retour se fait sous parachute.

Pour Virgin Galactic, c’est un avion-fusée qui part déjà « en l’air » à partir d’un gros porteur qui le lâche de sous son ventre, à une altitude « normale » (15.000 mètres), avant qu’il accélère pour aller beaucoup plus haut et atteindre son plafond d’où il redescend en planant.

Alors quel est l’intérêt du tourisme spatial ?

Personnellement, pour moi, aucun, mais certains aimeront jouer à l’astronaute, ressentir le grand frisson de l’accélération pour monter en orbite en étant soumis à une accélération allant jusqu’à 3g (trois fois celle à laquelle nous sommes soumis en surface de la Terre du fait de l’accélération naturelle de la pesanteur générée par la masse de la planète), flotter en apesanteur (un peu plus de 4 minutes, peut-être 8, car après avoir atteint la vitesse requise, juste avant la « ligne », la propulsion s’arrête et le vaisseau continue un peu sur sa lancée), admirer le ciel noir incrusté de ses étoiles aussi bien qu’on peut les voir en allant beaucoup plus loin dans le véritable espace, admirer la courbure de la Terre, peut-être avoir le sentiment de faire partie des happy-fews qui peuvent se payer le voyage et passer un bon moment ensemble.

Pour les passagers de SpaceX, l’aventure serait un peu différente car la capsule serait véritablement mise sur orbite à 300 km d’altitude et y volerait pendant une orbite entière ; les passagers auraient donc le temps (90 minutes) d’admirer la Terre… Mais SpaceX n’a pas encore commercialisé ces voyages et peut-être ne le fera-t-elle jamais, donnant la préférence à des projets plus ambitieux, comme vous le verrez ci-dessous.

Le prix est forcément très élevé puisque c’est un loisir nouveau, il y a eu de lourds investissements dans des avions/vaisseaux qui sont encore des prototypes ; très peu de places sont offertes (aussi bien la capsule New Sheppard que l’avion VSS Unity de Virgin Galactic, peuvent embarquer que six passagers et il n’y a qu’un seul vol programmé pour l’instant car il n’y a pas de flotte mais seulement des prototypes) puisqu’on ne sait pas jusqu’où le marché va se développer et on a très peu de capacité d’emport ; les primes d’assurances passagers doivent être très élevées et l’amortissement ne fait que commencer.

On annonce 28 millions de dollars pour le premier passager payant (montant résultant d’une enchère). C’est beaucoup, moins qu’un séjour dans l’ISS qui coûte environ 50 millions mais la prestation est quand même très inférieure, ne serait-ce que dans la durée. Si la demande répond à l’offre, il y aura économie d’échelle (les mêmes lanceurs et vaisseaux servant plusieurs fois et le nombre de vols augmentant), ce qui permettra aux propriétaires de réduire leur perte par voyage puis, du moins ils l’espèrent, dégager une marge tout en baissant les prix unitaires ce qui leur fera toucher un segment de marché plus important.

Car il faut avoir des clients et il y en aura sans doute peu à ce tarif de 28 millions de dollars alors qu’il peut y en avoir beaucoup à 200 000 dollars (pour donner un ordre d’idée car c’est vers cette somme que veut aller Elon Musk pour ses voyages jusqu’à Mars).

Les partisans des vols spatiaux au long cours ne doivent pas se moquer de ces petits sauts de puce pour juste sortir la tête hors de l’atmosphère. En effet ceux-ci peuvent être vus comme un produit d’appel pour ceux-là, un teasing pour vendre plus. Et puis, si ça marche, ils pourront apporter de l’argent aux propriétaires et leur permettre d’étendre leur offre pour des produits plus sérieux, peut-être jusqu’aux vols vers Mars à 200 000 dollars.

Elon Musk a une approche différente de Richard Branson et Jeff Bezos.

Il ne cherche pas, à ce stade, à exploiter le goût pour l’espace du public. Il voit loin, car il pense avant tout à Mars et il développe son Starship pour cela. Mais il raisonne aussi économiquement et il sait que ce ne sont pas les seuls voyages vers Mars qui vont permettre au Starship d’atteindre son point mort puis la rentabilité. On ne peut partir pour Mars que tous les 26 mois. Même si pendant la fenêtre de tirs qui dure un mois, on envoie alors une dizaine de vaisseaux, cela ne fait pas beaucoup.

Pour résoudre ce problème, dès que le Starship fonctionnera il le proposera pour toute une gamme de services. Il a déjà un contrat pour desservir la Lune à partir de la station spatiale orbitale relai « Lunar Gateway » dans le cadre du programme Artemis. Il veut exploiter dès que possible des lignes de transport planétaires longues distances telles que Londres-Sydney ou New York-Singapour en une heure maximum ! Son projet est que le Starship deviennent un mode de transport universel, c’est le seul moyen de faire baisser les coûts autant qu’il le souhaite.

Et on peut concevoir que sur le plan du tourisme, il desserve des hôtels de l’espace, orbitant très loin au-dessus de la Terre, tels qu’en a conçus Robert Bigelow (propriétaire de la chaine d’hôtels Budget Suites of America et fondateur de Bigelow Aerospace). Ces hôtels seraient constitués de modules ayant une capacité de 1000 à 3000 mètres cubes.

On peut même penser (rêver ?) à de gros satellites comme le double tore géant de 2001 Odyssée de l’Espace de plus de 100 mètres de rayon, présentant évidemment l’avantage du volume et de tous les niveaux de gravité selon que l’on s’éloigne ou que l’on se rapproche du centre de rotation. Ce serait un magnifique centre de loisirs (et je m’y rendrais volontiers) !

Le tourisme spatial est donc indissociable de l’aventure économique dans laquelle se sont lancés les poids lourds du capitalisme américain. Il va servir psychologiquement et financièrement la diffusion de l’humanité dans l’espace bien au-delà de l’orbite terrestre. Et ceux qui condamnent les excentricités couteuses de personnes ultra-riches ont tort, mais probablement ne considèrent-ils pas non plus d’un bon œil la suite de l’aventure humaine loin de la Terre.

Ce qu’ils ne voient pas c’est que si la recherche de l’intérêt économique n’est pas la pratique d’une morale, en fin de compte elle peut être profitable à tous. Elle peut l’être d’abord pour ceux qui veulent aller plus loin ; elle le sera aussi pour les ingénieurs et les ouvriers qui ont construit les premiers vaisseaux et qui vont développer des flottes ; elle le sera pour l’État qui va pouvoir prélever des taxes (je suis certain qu’il y pensera sans qu’on le lui souffle) ; elle le sera pour l’évolution des technologies car c’est en faisant fonctionner les nouvelles machines qu’on voit leurs faiblesses et qu’on peut les améliorer.

Enfin, il ne faut pas oublier que pour l’instant, tout dollar dépensé pour l’espace est un revenu pour des Terriens sur Terre. Lorsque des hommes s’installeront durablement en dehors de la Terre, ce ne sera plus tout à fait pareil mais ces hommes constitueront alors un nouveau centre de création, de production et de consommation de produits dont beaucoup seront toujours… terrestres.

Voir les commentaires (24)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (24)
  • que du reve !
    – interet de partir 3 ans sur mars (temps de l’A/R), combien de client ?
    – Sydney New Yorck en 1 h implique une acceleration de +1 g pendant 30 min puis -1 g le reste du vol afin de par courir la distance bref 3 semaines pour se remettre à moins de s’appeler A Prost ou de découvrir une nouvelle loi de la physique qui change la donnée espace / temps

    • @rivalta: Le rêve conduit à l’action.
      Ne vous inquiétez pas, il y a suffisamment de candidats au vol spatial court pour alimenter une demande suffisante pour l’offre.
      Pour ce qui est des vols longs, il y a aussi suffisamment de candidats. Dans le monde 200.000 personnes s’étaient portées volontaires pour le projet Mars One qui était extrêmement aventureux puisqu’il ne prévoyait pas de retour sur Terre.
      Quant aux effets de l’accélération, vous en exagérez grandement les effets négatifs. Il faudrait être vraiment en très mauvaise santé pour mettre 3 semaines à récupérer d’un vol ayant causé une force de 3g! Mais vous avez des prédécesseurs: certains au 19ème siècle disaient que la vitesse dans les trains à vapeur serait insupportable.

    • C’est sur que c’est pas fait pour les personnes en surpoids ayant des problèmes de santé.

      Jeff Bezos (57 ans) a-t’il les moyens physique de ses ambitions spatiales ? Il y en a qui sont prêt à sortir 28 millions de dollars pour une balade de quelques minutes, mais sont-il prêt à faire un an de préparation physique ?

    • une accélération de 1G pendant 1h, perpendiculaire à la gravité terrestre donne une pesanteur ressentie de 1.4G, soit pour qqn de 80kg, 32kg bien réparti à supporter en étant assis. Ce n’est pas physiquement difficile pour la plupart des gens tout de même…
      Après en pratique les accélérations seront surement bien plus fortes que ça, car les pertes gravitationnelles augmentent vite sinon, ce sera plus une expérience à tenter (avec le déplacement en bonus), qu’un moyen de transport normal à mon avis.

  • Vu le prix de ce saut de puce à la frontière de l’espace je doute qu’il y est beaucoup de clients.

    • Vous « doutez » mais vous n’en savez rien. Il y a déjà plus de candidats que de places offertes. Par ailleurs, comme expliqué dans mon article (l’avez vous lu?), le prix baissera si la demande se confirme suffisante. On ne peut dire « vu le prix ». Quel prix? Celui d’aujourd’hui ou de demain?

  • @PCC: Il est certain que les conditions sanitaires seront extrêmement strictes. Il n’est pas question qu’un des passagers apporte une pathologie transmissible alors qu’on aurait pu l’éviter ou qu’il développe une maladie qu’il porte déjà en lui.
    En ce sens il faudra vérifier l’état de santé des candidats (y compris leurs dents!); les soigner s’ils sont susceptibles de développer une maladie dans les 30 mois de leur éloignement des moyens médicaux dont on dispose sur Terre; les vacciner si nécessaire et bien entendu les garder en quarantaine pendant une période à déterminer précédant l’embarquement…Ce n’est pas la peine d’en rire!

  • jusqu’au premier accident..

  • Avec le starship et son coût extrêmement faible de la mise en orbite de + de 100 tonnes; il sera tout à fait possible de construire un hôtel en orbite basse.

    • @dad22fr: Que voilà une attitude positive! Effectivement la construction d’hôtel(s) en orbite est la prochaine étape.
      Et comme la Station Spatiale Internationale doit cesser d’être exploitée par les grandes agences spatiales en 2028, il n’est pas impossible qu’elle soit reprise par le « privé » et réaménagée pour accueillir des touristes (et pourquoi ne pas l’étendre en lui ajoutant de nouveaux modules – par exemple de grands gonflables Bigelow 3000 – qui rendraient son exploitation plus rentable?).
      Maintenant, l’orbite basse n’est pas le meilleur site exploitable. En effet l’altitude basse nécessite des remises en plus haute altitude assez fréquentes. Il serait préférable de monter plus haut (1000 km?) pour obtenir une meilleure stabilité et aussi une vitesse orbitale plus faible qui permettrait un temps plus long pour faire le tour de la Terre (actuellement 92 minutes) et donc de profiter davantage du paysage qui se déroule en dessous.

    • projet powerpoint

  • A noter que le premier vol de Virgin Galactic, VSS Unity, est prévu pour ce dimanche 11 juillet. Il aura deux pilotes et cinq passagers. Richard Branson en sera; comme quoi il a confiance en son avion-fusée!

  • J’aime ces articles plein d’optimisme.ça repose de la morosité quotidiene et ils permettent de rêver, seuls les hommes rêvent… Et les chats et les chiens… Enfin, l’espace, y a rien à y faire pour des siècles et des siècles, sorti de notre perimetre de survie on est mort et l’aventure est au delà de la galaxie.

  • les gens font ce qu’ils veulent de leur argent, ou devrait…

    maintenant c’ets curieux pas pour tout le monde pas pour moi.. je ne comprends pas l’objet de l’article justement.. je suis hors cible en tant que client hors cible en tant qu’investisseur possible à court ou moyen terme…

    j’ai déjà du mal à avaler l’argent public qui fut mis là dedans..

    • Mais il n’y a pas d’argent public là-dedans! L’argent de Richard Branson, de Jeff Bezos ou d’Elon Musk, est de l’argent privé, on ne peut plus « privé ».
      Moi non plus je ne vous comprends pas.
      L’objet de mon article est d’une part, de dire qu’on peut dépenser son argent comme on veut (la preuve en est donné par les propositions de vols qui sont faites, ce ne sont pas des obligations) et d’autre part, que le tourisme spatial servira à faire baisser les prix du transport spatial en général.
      Personne ne vous demande d’aimer et personne ne vous demande de payer.

      • L’impression qu’ici, bcp s’ils devaient tenir une épicerie ne proposeraient que ce qu’ils aiment : c’est la faillite assurée…
        Merci pour cet article, l’homme sait faire de grands projets, les bâtisseurs de cathédrales n’ont pour la plupart pas vu leur œuvre achevée, pourtant ils le savaient mais ça ne les a pas empêchés de s’y lancer, sûr qu’on les a pris pour des fous au début

  • Suivez sur youtube le développement de la starbase. C’est incroyable ce qui est en train de se réaliser là-bas.

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Voilà maintenant quatre ans que le Royaume-Uni a officiellement quitté l'Union européenne. Depuis le Brexit, la Grande-Bretagne a connu trois Premiers ministres, et d'innombrables crises gouvernementales. Néanmoins, malgré le chaos de Westminster, nous pouvons déjà constater à quel point les régulateurs du Royaume-Uni et de l'Union européenne perçoivent différemment l'industrie technologique. Le Royaume-Uni est un pays mitigé, avec quelques signes encourageants qui émergent pour les amateurs de liberté et d'innovation. L'Union européenne, qua... Poursuivre la lecture

2
Sauvegarder cet article

It has been four years since the UK formally left the European Union. Since Brexit, Britain has been through three prime ministers and countless government crises. Nonetheless, despite the chaos of Westminster, it is already becoming clear how differently regulators in the UK and EU view the technology industry. The UK is a mixed bag, with some encouraging signs emerging for fans of freedom and innovation. The EU, meanwhile, is pursuing a path of aggressive antitrust regulation on various fronts.

 

AI ‘Bletchley Declaration’

Now... Poursuivre la lecture

Elon Musk est un génie, y compris pour faire prendre des vessies pour des lanternes. Depuis dix années, en s’appuyant sur sa réussite fulgurante (Tesla, SpaceX), il a réussi le tour de force de faire investir des centaines de personnes et des startups dans l’avenir du train « révolutionnaire » à très grande vitesse hyperloop (plus de 1000 km/h) circulant dans un tube partiellement sous vide d’air.

Mais l’objectif d’Elon Musk n’était peut-être que de faire rêver avec l’argent… des autres, c’est-à-dire le nôtre au travers des impôts et d... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles