Abstention : l’érosion économique entraîne l’érosion politique

OPINION : nos démocraties sont-elles devenues trop difficiles à piloter ?

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Abstention : l’érosion économique entraîne l’érosion politique

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 30 juin 2021
- A +

Par Jean-Jacques Handali.

En 1984, l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing publia un essai politique intitulé Deux Français sur trois. Le fil conducteur de cet ouvrage rappelait la théorie des ensembles mathématiques et autres diagrammes logiques, enseignée en classe de sixième, au lycée. En clair, une majorité de Français, qu’ils soient de gauche ou de droite, se retrouvaient à l’unisson sur un grand nombre de questions économiques, sociétales ou politiques.

Ainsi pris un par un, la mise en œuvre de ces sujets était susceptible de faire avancer la société dans son ensemble, puisqu’à chaque fois, ils recueillaient une multitude de suffrages. L’ex-président Giscard d’Estaing n’eut jamais l’occasion de mettre son sujet en pratique, puisqu’il n’accéda plus à l’investiture suprême.

En 2021, les majorités sont toujours là, mais elles se sont vidées de leur substance. Ce sont désormais des majorités à flanc renversé, des majorités par défaut, des majorités vagabondes. Les ensembles mathématiques qui regroupent les opinions dominantes colportent comme un air de désillusion, voire de démission, puisque deux Français sur trois ont dédaigné les récentes élections régionales. Ils n’y croient plus ! Ils n’adhèrent ni aux projets, ni aux promesses, ni à la capacité des politiques à changer la société. Qu’ils votent blanc, qu’ils votent bleu, qu’ils votent vert ou rose, la collectivité demeure figée dans ses archaïsmes. Les espoirs finissent en eau de boudin.

Les bulletins subissent des révisions en amont pour accoucher d’orientations contraires en aval (traité de Maastricht). Les réformes annoncées sont rangées dans les placards pour ne pas froisser des syndicats d’un autre temps de moins en moins représentatifs de la population active…

Abstention : la démocratie arrivée au bout d’elle-même

Que s’est-il passé durant quarante ans ? Des crises, des revers et des baisses de régimes… mais pas seulement.

Autour de ces atteintes sont venus se greffer des renversements de principes, des démantèlements de repères, des tolérances à crédit, des glissements victimaires et la consécration d’égoïsmes et de narcissismes. L’érosion économique entraîne toujours un naufrage des valeurs, qui lui-même accélère l’affaissement économique.

S’érigeant contre ces dérives, les partis populistes et autres courants anti-système se sont sentis pousser des ailes et s’emploient désormais à rappeler leurs postures autoritaires et identitaires. Elles n’en dupliquent pas moins les arrangements convenus de la politique traditionnelle.

Nos démocraties sont-elles devenues trop difficiles à piloter ? Trahissent-elles un fond de peur ou de rébellion face à toute réforme, autre que cosmétique ? Les débats, qui sont sensés accoucher d’un certain consensus, ont-ils cédé la place à des arguties vaines et sans contenu ? En résumé, la démocratie serait-elle arrivée au bout d’elle-même ?

Dans le passé, les révolutions, les constitutions, les déclarations, les Lumières, ont permis à l’Homme de s’émanciper et de vivre dans un espace plus juste et plus solidaire. Aujourd’hui, l’amélioration de la société civile via la politique apparaît comme un concept survendu.

Cette dernière n’enregistre plus que des avancées à la marge ! L’exécutif ne « change plus la vie » en augmentant le salaire minimum de 11,70 euros par mois, ou en octroyant un congé paternité de deux semaines supplémentaires à l’heureux papa. Les évolutions et les mutations véritables semblent se passer en dehors de la sphère politique.

Profits, pouvoirs et phantasmes

Dans Greta a tué Einstein, Jean-Paul Oury imagine une forme de dystopie dans laquelle l’opposition pro-science contre déclinistes et catastrophistes a remplacé l’alternance gauche-droite. Ainsi les Thunbergistes (disciples de Greta Thunberg, autrement appelés GrÉtatistes) s’opposent aux Pinkeriens » (disciples de Steven Pinker, l’auteur d’Enlightenment now, ouvrage qui est une ode au progrès des Lumières).

Et Oury de commenter :

Il n’y aurait pas de rapprochement possible entre ces deux camps, pas de conciliation imaginable, puisque le premier ne souhaite pas de manipulations du vivant, de fusion de l’atome, de chimie de synthèse ou encore, pour les plus acharnés, de dispositifs plus sophistiqués pour diffuser les ondes. Ils ne souhaiteraient pas non plus de NBT, d’agriculture intelligente et encore moins d’IA. Jean-Paul Oury Greta a tué Einstein – VA éditions – page 179

Cette vision nous parait lunaire.

Force est de constater que, plus que jamais, c’est l’innovation qui martèle le nouvel ordre à suivre. C’est elle qui transforme les mœurs, oriente les discours et façonne les dernières attitudes.

Si un homme public avait décrété que la majorité d’entre nous allait avoir le nez collé sur un petit écran chaque fois que nous empruntons les transports en commun, personne ne l’aurait élu !

Si un autre avait vanté la production d’œuvres d’art virtuelles, vendues plusieurs millions, on l’aurait entarté.

Aujourd’hui, les gens préfèrent écouter un Elon Musk qui manipule les crypto-monnaies pour financer ses voyages vers la Lune, un Bill Gates qui ambitionne de vacciner le monde entier pour le protéger de lui-même, ou une Greta Thunberg qui songe sauver la planète à coups de propos culpabilisants…

Une question se pose : l’innovation ou la nouveauté valent-elles tant d’influence ?

La réussite d’un entrepreneur mérite sans doute notre admiration, mais celle qu’on peut lui accorder ne devrait-elle pas se cantonner à ses talents de créateur ou à ses compétences de gestionnaire ? À partir de quelle autorité, ces hommes ou ces femmes sans mandat légitime, nous prescrivent-ils des modes de fonctionnement ou réduisent-ils nos accès à leur produit ou service ?

À fouiller dans leurs motivations, on s’aperçoit qu’ils sont davantage mus par leurs profits, leurs pouvoirs et leurs phantasmes. Ce n’est pas vraiment la mission d’un élu, qui doit conserver toute son utilité. Que nous déclare le fondateur d’Amazon avec ses lubies sur un monde habité dans l’espace ? « C’est pour l’avenir de mes petits-enfants ! » Ne devrait-il pas prêter attention à la vie sur Terre avant d’aller coloniser les autres planètes à grand frais ? Un homme qui n’a pas su mettre de l’ordre dans sa maison ne le fera pas dans la prochaine. L’attrait d’une « épopée vers l’Ouest » dans l’espace ne garantira en rien la sauvegarde de cette nouvelle Amazon.ie.

Dans toute collectivité, les différents acteurs économiques poursuivent des intérêts distincts, en toute légitimité. Le rôle d’un politique est de s’assurer de la bonne orientation de ces intérêts, de l’égalité des droits et du respect des règles. On comptera encore deux Français sur trois en accord sur de nombreux sujets de société.

Toutefois, le maintien de cette fraction majoritaire ne se fera pas sans une bonne dose de clairvoyance et de courage, de cohérence et d’humilité de la part du politique. Sinon, ce dernier risque de compter ses tiers à la façon d’un Raimu… Le citoyen aussi doit se montrer responsable en allant voter, car comme chacun sait, une démocratie s’use si l’on ne s’en sert pas. Pis, chaque abstention est une atteinte à son bon fonctionnement. Ou, comme le soulignait un jour l’écrivaine québécoise Reine Malouin : « L’abstention est un recul avant de devenir une lâcheté. »

Le droit de vote est précieux, même si les élus ne se montrent pas toujours à la hauteur.

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  • Voter ??
    Lorsque vous avez le choix entre un projet marxiste et un projet gauchiste, lorsque votre vote est battu en brèche par ceux que vous avez élu , une fois, deux fois, trois fois etc comme un bras d’honneur fait aux citoyens qui ont voté pour vous et lorsque le vote blanc ou nul n’est pas comptabilisé , voter prouve son inutilité et l’abstention dans ce cas la bat des records et le citoyens exprime ainsi son dégout. voter est peut etre un devoir mais pas pour n’importe quoi ou pour légitimer une bande d’incompétant

  • Voter pour le type qui va t’interdire de te déplacer, de te réunir, de travailler, pour le gars qui va te mettre des taxes sur tes habitudes alimentaires, bref, pour le personnage qui voudra gèrer ta vie sans ton aval, cela à un nom: collaboration.

    • Et « collaboration » signifie à mon avis, pour l’électeur de ce candidat que toutes les interdictions, taxes et contraintes diverses s’appliqueront AUX AUTRES mais surtout pas à lui! Et si Macron repasse en 2022, c’est qu’une majorité de français auront ce niveau de raisonnement, ce qui, comme le pire en général, est fortement probable!
      On pourrait seulement espérer que LR aient tirés les leçons du passé et proposent un programme qui tienne la route, mais on peut en douter vu le nivellement par le bas de la classe politique.

  • « Je suis contre le droit de vote, de façon générale. Je ne comprends pas qu’on laisse voter les gens, parce qu’ils se trompent tout le temps. La démocratie finalement, c’est la pire des dictatures parce que c’est la dictature du plus grand nombre – quand on connaît le plus grand nombre, on n’a pas envie de le laisser voter. »
    P. Desproges

  • c’est justement parce que les élus ne sont pas à la hauteur que les gens ne vont plus voter ; c’est un peu comme si vous labouriez une terre , année après année , et qu’elle ne vous apporte rien , à la fin vous baissez les bras ….

  • Le pb aujourd’hui c’est que les politiques sont de plus en plus des images médiatique sans substance. Ils peuvent dire n’importe quoi et faire presque n’importe quoi sans conséquence pour eux, et ça se voit de plus en plus. Par ailleurs, ils sont dans une incapacité totale (d’autant que c’est une partie de leur fond de commerce) de reformer l’état et les strates indéboulonnables de fonctionnaires accrochés à leur Cerfa et leurs avantages tels les berniques sur leur rocher !
    Comment se débarrasser de cette couche néfaste de fonctionnaires gratte papiers (et syndicats corporatistes) qui poussent le pays dans l’abime ? Là est la vrai question…

  • « L’abstention est un recul avant de devenir une lâcheté. »
    Lâcheté de la part de qui ?
    On ne va pas nous la faire à l’envers quand même !!!
    Le droit de vote est précieux, c’est ce qu’on oublié nos politiques…
    Et à cette heure encore aucun élus ne se montre à la hauteur… Quand se sont-ils remis en cause ?
    Ils ont tous les éléments pour bouger leurs petits neurones?

  • Oui ;
    – limiter tous les mandats à un seul mandat
    -interdire à tout fonctionnaire quelqu’il soit, et à tous les échelons de se présenter aux élections . Les fonctionnaires sont à notre service… et pas l’inverse ( et ils sont trop nombreux pour ce qu’ils font)
    – élaborer un statut du candidat issu du privé qui lui permette de revenir à la vie civile dans de bonnes conditions après son mandat.
    Souvenez vous de Cincinatus, un modèle !!!!

    • « limiter tous les mandats à un seul mandat »
      Oui, ça pourrait inciter l’élu à  » se défoncer » au cours de ce seul mandat s’il veut laisser une trace positive et honorable dans l’histoire politique de ce pays. Mais nos élus le veulent-ils vraiment? A part faire carrière et vivre sur « la bête », je ne vois pas!

      • a mon avis c est une erreur. Deja un mandat c est court. le temps de comprendre comment ca marche, vous avez deja perdu au moins 1 an
        Ensuite, nombre de projets ont besoin de temps pour etre monté et produire leurs fruits. Si vous avez 5 ans au max, vous allez privilegier le court terme, faire du Jack Lang : des paillettes mais rien derriere (pas un pb car c est le successeur qui aura les ennuis)

        Ensuite, si vous etes sur de ne jamais etre reelu, qu est ce qui vous empeche de vous payer sur la bete ? Offrir des contrats juteux en echange d un emploi fictif une fois votre mandat fini

        • Cd, oui,,,, alors rallongeons la durée de ce mandat unique : 5 ans maxi

        • Cd, se payer sur la bête dites vous ? C’est vrai de tout élu ce risque…. C’est la raison pour laquelle un bon statut du retour à la vie civile bien pensé, doit intégrer l’évaluation de ce critère.
          Un élu ne va tout de même pas retourner au privé plus pauvre qu’avant son mandat ?
          En 5 ans on peut en faire des choses…. Mais le pb c’est qu’on ne voit les conséquences négatives que 30 ans après !!! N’est ce pas M Mitterrand?

      • C2mr, oui hélas……

  • Voter pour un homme qui craignant la defaite s associe avec ses ennemies afin de faire liste commuen contre un ex collegue de parti (Muselier vs Mariani) ?
    Voter pour un homme qui se presente en disant que le poste de l interesse pas, qu il veut devenir president l an prochain, qu ec est juste un strapontin pour l elysee (et si echec un parachute, il faut bien crouter quand meme ;-))

    Pourquoi cautionner un tel spectacle. C est vrai que nos politiciens se moquent d etre elu par 30 ou meme 1 % du corps electoral. Ce qu les interesse est le poste et les prebendes

    Mais ils devraient se mefier, a force de cracher copieusement sur leurs concitoyens, les gens risquent de reagir de facon plus agressive qu en restant chez eux le jour des elections ! les GJ devastant les champs elysee devraient les faire mediter

  • « Democratie, le Dieu qui a échoué » de Hans Herman HOPPE, enfin disponible en Français, le livre le plus profond depuis l’action humaine de Von Mises et « Man, Economy and State » de Rothbard. Pour comprendre que le monde futur souhaitable est un ensemble de petites communautés, hautement intolérantes, discriminantes et homogènes, pour avoir une paix marchande entre tous. A lire !!!

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