Nord stream 2 : l’Union européenne droguée aux hydrocarbures russes

La Russie est le principal fournisseur des pays de l’UE en hydrocarbures. Cette position dominante explique le soutien de nombreux Européens au gazoduc Nord Stream 2, projet contrôlé par Gazprom.

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Gazprom by Maxence on Flickr (CC BY 2.0)

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Nord stream 2 : l’Union européenne droguée aux hydrocarbures russes

Publié le 30 juin 2021
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Par Alexandre Massaux.
Un article de l’Iref-Europe

Le 19 mai 2021, l’administration Biden a annoncé la levée des sanctions contre la société du gazoduc Nord Stream 2. Cette décision, prise lors de la réunion du Conseil de l’Arctique et qui préfigure un possible rapprochement russo-américain, a des conséquences en Europe.

Nord Stream 2 a pour ambition d’assurer l’approvisionnement de l’Allemagne, et par extension de l’Union européenne, en gaz russe par la mer Baltique. Le gazoduc, construit à 95 %, devrait pouvoir être achevé d’ici la fin de l’année. Ce projet n’est pas mineur, compte tenu de l’importance des hydrocarbures russes dans le mix énergétique européen.

De quoi susciter l’inquiétude d’un certain nombre de pays, et particulièrement ceux de l’ancien bloc soviétique, qui y voient un moyen de les contourner géographiquement et politiquement. Toutefois des solutions existent pour réduire cette dépendance.

L’UE dépendante des hydrocarbures russes

Entre 2008 et 2018, le gaz naturel et le pétrole brut importés par l’UE provenaient respectivement à 40 % et 30 % de la Russie. Cette dernière dépassait largement les autres fournisseurs en hydrocarbures, ce qui lui donne une position dominante. Un rapport des services du Congrès américain de 2014 mettait en lumière le poids du gaz russe dans la consommation énergétique de nombreux pays européens et particulièrement ceux d’Europe centrale.

En Estonie, Lettonie, Finlande et Slovénie, 100 % du gaz consommé était originaire de Russie. Pour la Lituanie et la Bulgarie, c’était 94 %. Pour les pays du groupe de Visegrad : Slovaquie 97%, Hongrie et Pologne 57 %, République tchèque 55 %. Quant à l’Allemagne, le chiffre s’élevait à 45%. Ces chiffres sont toujours plus ou moins les mêmes.

Si l’on ajoute que ce gaz représentait chez eux entre 10 % (pour la Finlande et l’Allemagne) et 40% (pour la Lituanie et la Lettonie) de la consommation totale d’énergie, on comprend l’influence de Moscou sur l’approvisionnement énergétique de très vastes zones. Il convient également de rappeler que l’exportation de gaz est un monopole de l’entreprise d’État Gazprom, véritable outil de puissance du gouvernement russe.

Pour ne rien arranger, l’abandon progressif du nucléaire dans certains pays, comme l’Allemagne, les a obligés à renforcer le recours au gaz, les rendant encore plus dépendants de la Russie. Le développement de Nord Stream 2 n’a donc rien de surprenant.

Nord Stream 2 : un projet visant à contourner les pays d’Europe centrale et orientale

Nord Stream 2 vise à doubler les capacités du premier Nord Stream. Ce dernier, achevé en 2011, est un gazoduc de 1200 kilomètres offshore à travers la mer Baltique. Il relie Portovaya sur la côte russe (proche de Saint-Pétersbourg) à Greifswald en Allemagne. Son grand avantage pour les deux pays est qu’il ne transite par aucun autre territoire, alors qu’avant sa création, 80 % du gaz russe à destination de l’UE passait par l’Ukraine. De ce fait, Nord Stream 1 et 2 placent cette dernière dans une situation désavantageuse : Moscou peut priver Kiev de gaz sans mettre en péril l’approvisionnement européen.

À un degré moindre, cela inquiète aussi les pays d’Europe centrale. La Pologne, notamment, craint d’être mise sous pression : Gazprom pourrait augmenter les prix pour les Polonais sans avoir à redouter beaucoup de représailles. En 2020, l’autorité de la concurrence polonaise a d’ailleurs infligé une amende de 6,5 milliards d’euros à Gazprom, estimant que ce projet met en danger la concurrence énergétique en renforçant sa position dominante.

Le projet Nord Stream 2 est dirigé par Gazprom et cinq groupes européens : le Français Engie, les Allemands Uniper et Wintershall, l’Autrichien OMV et l’Anglo-néerlandais Shell. Mais la seule société qui compte, c’est Gazprom. Non seulement elle apporte 50 % du financement mais elle est aussi le seul actionnaire chargé de la mise en œuvre de Nord Stream 2 AG. Le rapport de force est en faveur de Moscou.

Le nucléaire et le GNL comme des alternatives

Critiquer le projet Nord Stream 2 est vain si des solutions alternatives ne sont pas trouvées. Et elles existent. Comme par exemple le développement du nucléaire, qui en France assure 70 % de production électrique et la rend moins prisonnière des hydrocarbures. Les pays d’Europe centrale comme la Pologne, la République tchèque et la Hongrie en sont partisans pour eux-mêmes. La France a là une carte à jouer, si elle ne veut pas voir ces pays aller se fournir auprès du nucléaire américain ou russe.

L’autre solution consiste à diversifier l’approvisionnement en hydrocarbures, avec le gaz naturel liquéfié. À cet effet, la Pologne et la majorité des pays d’Europe centrale ont lancé « l’initiative des trois mers ». Il s’agit de développer un axe énergétique indépendant de la Russie en privilégiant les sources de gaz liquéfié provenant de l’Afrique du Nord, des États-Unis, du Canada, du Moyen-Orient et de la Norvège.

C’est une réponse officieuse des pays d’Europe centrale à Nord Stream 2. Le soutien des États-Unis (venant du président Trump puis de l’actuel secrétaire d’État démocrate Antony Blinken) accroît ses chances de succès.

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  • «Moscou peut priver Kiev de gaz sans mettre en péril l’approvisionnement européen…»
    Le gazoduc passant par l’Ukraine doit rester actif pour alimenter Tchéquie, Slovaquie, Hongrie, Sud de la Pologne, et certainement l’Autriche. Il y aura sûrement une réduction de quantité passant par l’Ukraine donc moins «d’évaporations» dans le transit.
    Il restera l’alimentation de la Roumanie, de la Bulgarie et de la Grèce passant par la Turquie, intermédiaire pas beaucoup plus fiable que l’Ukraine.
    En France, en ce qui concerne le gaz, nous sommes à 50-50 entre la Russie et le Maghreb.
    Ce que Trump voulait c’était une autre dépendance de l’UE envers les États-Unis avec leur gaz de schistes sachant qu’outre les pollution à la production, il nécessiterait un gazoduc chez eux pour l’amener à un port de leur côte est, le transfert par méthaniers polluants jusqu’à des ports européens pour nous vendre un gaz de piètre qualité mais plus onéreux et globalement plus pourri pour la planète.

    • Entre le choix de la Russie ou celui des US pour notre approvisionnement en gaz, je choisis la Russie car les US nous traitent comme des vassaux et nous obligent à nous astreindre à toutes leurs exigences dans tous les domaines. Ils ont d’ailleurs mis au pouvoir de l’UE des affidés pour les servir et non pour servir l’Europe.

      • Faudrait cesser de délirer! En quoi sommes nous des vassaux? Citez nous donc un seul exemple concret? Alors que la France et l’UE veulent taxer les GAFA! Au contraire nous sommes en guerre permanente car les droits de douanes et taxes de L’Europe sont plus élevés que ceux des ricains, bloquant leurs exportations vers l’Europe.

        • nous sommes des vassaux de ceux qui achètent notre dette parce que nous sommes incapables d’équilibrer nos comptes

  • Autant se tirer tout de suite une balle dans la tête si on veut supprimer toutes nos dépendances. Si le gaz russe est moins cher, on achète, si on préfère payer plus cher on s’adresse au Canada et aux us.

    • S’il n’y a pas de gazoduc, le gaz d’untel ou untel peut bien être moins cher, il ne parviendra pas au consommateur avant que le conduit ne soit posé…

  • Tout ça ne vaut pas le Gaz du Qatar !
    Daesch les égorgements et décapitations, comme symboles et images de communication.
    C’est quand même plus sympa !

  • North Stream 2 change le pipe du gaz russe. Rien à voir avec la diversification des fournisseurs qui existe déjà. Ce qui fait celle-ci, c’est (1) le fait que les pays de l’UE sont des acheteurs, et que dans la situation actuelle de démonisation des hydrocarbures, ce n’est pas une mauvaise situation (2) il y a d’ores et déjà une relative diversité (3) le réseau européen est très interconnecté, avec pipes et stockages du fait des historiques gazières européennes [Hollande, UK, Norvège, France]. La France est typique, avec comme fournisseurs l’Algérie, un peu des Pays-Bas (le reliquat de Groningue), la Norvège, sans doute un peu de UK et de Russie [une molécule de méthane n’a pas de drapeau] et le GNL, (Qatar, Nigéria, Algérie etc…) qui est un marché très liquide même si aujourd’hui relativement restreint, mais il y a eu beaucoup de progrès, et il y en aura encore avec les projets récents et futurs (Qatar, Australie, US, Arctic 1 & 2 en Russie, Méditerranée orientale, [Egypte, peu-être Chypre], Sénégal et Mozambique un jour).
    La meilleure solution est d’avoir suffisamment de terminaux de re-gazéification pour le GNL. C’est dur avec les écologistes, et le refus des gens (NIMBY – pas dans mon jardin), mais il y a des solutions, comme mises en œuvre en Italie, des terminaux construits sur PF et posés au fond.
    Derrière ce type d’article, il y a le lobbying des US pour des raisons politiques (Ukraine et OTAN) et un peu économiques (le LNG US est lui aussi sur le marché, même si fondamentalement il est moins économique que les autres car basé sur le gaz de schiste qui est intrinsèquement cher comparé aux gisements classiques internationaux à très forte productivité qu’on trouve encore. internationaux, mais il reste rentable pour les sociétés américaines qui ont des tas d’usines terminées et en cours, au même niveau que des exportateurs comme le Qatar et l’Australie.
    Le North Stream 2 augmente la diversité d’approvisionnement, et c’est positif pour l’Europe, même si ça reste des importations qui pèsent et pèseront sur les balances commerciales.

  • Et pour compléter l’aspect diversité, il y a déjà deux pipes entre Algérie et UE (via Italie et Espagne), et les velléités de pipes depuis Azerbaïdjan et Kazakhstan qui ont de grosses réserves de gaz.

  • Tout le monde a intérêt à la mise en place d’un grand marché mondial du gaz aussi diversifié que possible, ça ne peut que profiter aux consommateurs en faisant baisser le prix.
    Concernant la Russie qui est le plus grand fournisseur de l’Europe, il ne faut pas oublier que réciproquement l’Europe est son plus gros client, et que si nous dépendons d’eux, eux dépendent de nous, donc intérêt commun et facteur de stabilisation politique.

  • Les commentaires sont fermés.

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