Renaissance libérale et changement de civilisation

OPINION : les libertés se zombifient au point de ne plus être que les ombres décharnées de ce qu’elles furent initialement. Il est temps de réagir.

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Statue de la liberté (Crédits : benonrtherun, licence Creative Commons)

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Renaissance libérale et changement de civilisation

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 16 juin 2021
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Par Yannick Harrel.

Depuis les années 1970 et la fin des Trente glorieuses s’opère un changement continu dans le modèle civilisationnel occidental : les libertés de s’exprimer, de circuler, d’entreprendre, de commercer, de s’associer, de cultiver et de se cultiver, d’acquérir et de vendre se racornissent et se vident de leur contenu.

Qu’est-ce que la liberté ? C’est avoir le libre choix de nos actes et assumer la responsabilité de ceux-ci en contrepartie. L’impunité ne saurait être liée à la liberté.

Seulement, depuis mai 1968 et la crise de 1973, avec une accélération croissante depuis l’effondrement de l’Union soviétique, nous observons la fin de cette philosophie libérale. Nous plongeons désormais dans un maelström sécuritaire où la seule compensation octroyée sont les loisirs comme palliatifs : comme s’il s’agissait de troquer les libertés pour les loisirs qui ont, signe révélateur, de plus en plus tendance à se confondre sémantiquement.

Ce basculement s’opère dans un contexte où la violence fait l’objet de mesures toujours plus coercitives pour des résultats toujours plus médiocres. La faute à une approche erronée qui ne peut aboutir qu’à un diagnostic erroné et en corollaire, à une médication erronée.

Du conflit naît le progrès

Ainsi, comme le relatait si bien Olivier Babeau récemment dans un entretien au journal Le Figaro du 26 janvier 2021 (mis à jour suite au souffletage d’Emmanuel Macron) :

La violence est omniprésente parce que, précisément, nous la nions. En voulant faire disparaître les conflits, en brisant leurs mécanismes d’expression, ils s’exacerbent et jaillissent finalement en éruptions destructrices… Notre répugnance à reconnaître les conflits a aussi eu pour conséquence une trop longue acceptation silencieuse de dérives inacceptables.

Et c’est en cela que, par crainte du conflit et amour de la lâche sérénité d’esprit, nous devons faire face à une nouvelle forme de religion laïque où les consensus fabriqués s’enfilent comme des perles et réduisent d’autant la fenêtre d’Overton (le champ des sujets acceptables dans le débat public, plus ou moins réduite selon la nature du régime).

Le milieu journalistique, transformé en nouvelle classe de prêtres (avec son haut et son bas clergé), relaie avec zèle les certitudes du moment, n’hésitant pas à recourir à l’inquisition sous la forme du fact-checking (vérification de post-vérité), c’est-à-dire chargé de l’apposition du poinçon d’honorabilité sur les propos, les images ou les écrits de tout acteur public.

Dans ce paradigme, les faits importent moins que la sanctuarisation d’une illusion masquant la rente de quelques satrapes.

Comment expliquer autrement que les images violentes publiées sur les réseaux sociaux suscitent l’ire des personnalités publiques davantage que l’acte filmé lui-même ? Comme si montrer la réalité dans sa nature la plus crue c’était justement réfuter l’illusion d’une société irénique matelassée de concorde partagée ?

Le fait n’est pas nouveau puisque durant les guerres du Golfe, il était strictement prohibé de filmer et diffuser des images de corps de soldats décédés : la guerre devenait ainsi plus propre, ne laissant filtrer que les chiffres des combattants ennemis tombés sur le champ de bataille (mais jamais ceux des civils) : le concept de zéro mort avait gagné les écrans… et les esprits.

Et malgré toute cette débauche d’inhibition, le conflit demeure consubstantiel au progrès philosophique, économique, technologique et anthropologique : la violence est induite par le conflit mais doit trouver un canal pour endiguer tout débordement et offrir un débouché assurant aux parties prenantes une solution de sortie de crise acceptable pour être acceptée.

La guerre par ses traités en est un parfait exemple : il ne peut y avoir de guerre victorieuse menée anarchiquement. La violence doit s’établir par une chaîne de commandement, donc de responsabilités, et une stratégie globale avec une gestion avisée des ressources.

La sortie de conflit nécessite tout autant un encadrement puisque les mauvais traités aboutissent à de mauvaises paix, et inévitablement, à la reprise du conflit à courte ou moyenne échéance.

Autre exemple : pour s’éloigner de l’hécatombe effroyable des pilotes de courses des années 1950-1970, les promoteurs de compétitions automobiles décidèrent de sécuriser à l’extrême circuits et véhicules, au point de rendre les sports mécaniques horriblement fades tout en introduisant à grande échelle la gestion automatisée.

Ce qui fit dire à Niki Lauda, pourtant rescapé d’un terrible accident de Formule 1 en 1976 au Nürburgring, qu’il devenait nécessaire de revenir à un sport plus risqué (juin 2015, entretien pour Bild am Sonntag) : plus risqué mais pas plus dangereux, la nuance sémantique était de rigueur.

Dans ces deux derniers exemples, la violence est canalisée plus que réprimée. Elle sert des objectifs précis dans un cadre défini (moyens, temps, espace).

La violence ou les violences ?

Or, les membres de la classe dirigeante réprouvent tout type de violence… physique. Et physique uniquement. En effet, pour les citoyens ordinaires agressés, il ne peut s’agir que d’un sentiment d’insécurité. Pourquoi ?

Parce que les autres violences (sociales, économiques, psychologiques, normatives) sont tolérables et même recevables puisque non visibles et verticales descendantes (top-down) tandis que la violence physique est visible et verticale ascendante (bottom-up) : lorsqu’un geste physique est opéré envers un membre de la classe dirigeante, celui-ci est qualifié de crime de lèse-majesté dans une unanimité politique et médiatique qui adoube pourtant toutes les autres formes de violences.

Dans un système libéral, la violence est induite dans les échanges mais l’intérêt supérieur est de trouver un rapport d’équilibre profitable à toutes les parties. Bref, le libéralisme apprend le compromis et chercher à éviter la situation dite d’aporie (situation de contradiction indépassable).

Or, comme exposé en début d’article, nous sommes sortis progressivement de toute société libérale, le compromis est devenu suspect et en toute logique systémique, la violence a repris le dessus en raison de l’anomie (délitement social) provoquée par un État faible et tyrannique (les mesures tyranniques compensant la faiblesse de l’adhésion légitime à ses politiques), empressé de faire taire toute voix dissidente et de laisser libre cours au capitalisme de connivence ainsi qu’au sectarisme communautaire.

Autre démonstration de ce changement de paradigme civilisationnel : les observations sur la mobilité démontrent qu’il ne s’agit plus de détecter et d’appréhender les chauffards indélicats et inconscients par une approche ciblée individuelle mais de procéder par une surveillance automatisée généralisée tout en multipliant les contraintes pour le plus grand nombre.

Une fois encore, la santé ou la sécurité sont les justificatifs d’un hygiénisme croissant striant la société entre ceux qui ont le privilège de ralentir et de vivre du labeur d’autrui et ceux qui sont contraints d’être mobiles et véloces pour le profit d’autrui.

Cela est d’autant plus visible dans les zones pavillonnaires où les obstacles se sont multipliés, incitant les usagers de la route non-résidents à ralentir au risque d’endommager leur moyen de locomotion personnel (payé par leurs propres deniers) sur un ouvrage d’art communal (payé par les deniers des contribuables).

En somme, pour lutter contre la violence de quelques-uns, l’on exerce une pression toute aussi violente (source de stress permanent) sur l’ensemble des usagers et l’on y oppose une violence insidieuse : l’impossibilité de réclamation ou de rédemption, le couperet tombe, implacable et anonyme.

Tout esprit éclairé sait comment se termine pareille situation : l’hypertrophie de l’État le pousse à des retranchements dommageables pour les individus et, en prolongement, pour le corps social ; les libertés se zombifient au point de ne plus être que les ombres décharnées de ce qu’elles furent initialement.

Renaissance libérale : toute une stratégie

Comment éviter cet effondrement qui engloutira toute une partie de la société ?

Par l’éducation et la formation aux valeurs patriotiques et libérales, en France comme ailleurs. Comme l’énonçait avec verve Rafik Smati dans son entretien au Figaro du 5 juin :

Cette lâcheté n’a eu de cesse de vouloir effacer l’histoire de France pour la réécrire ; elle a fait de la France un pays multiculturel alors que la force de notre nation réside dans l’unité de sa communauté nationale ; elle a renoncé à faire appliquer l’ordre, jusqu’à abandonner des quartiers entiers de la République à des mafias et à des ennemis de la France ; elle a cassé le génie français en bridant les initiatives et l’esprit d’entreprise.

Par le soutien ou la création de mouvements au sein de cités et des campagnes afin que la visibilité du mouvement libéral soit clairement attestée et démultipliée ;

Par le ralliement de catégories généralement hostiles au libéralisme, comme les fonctionnaires, en intégrant bien que la lutte ne s’opère pas contre l’État (outil neutre par nature) et ses fonctionnaires mais envers les travers bureaucratiques et l’esprit dévoyé (tyrannique) des dirigeants ;

Par l’information et, si besoin est, la pression sur des élus locaux, nationaux et européens afin de valider une vision libérale de la gestion des problématiques de notre temps ;

Par l’emploi ou la présence sur des médias généralistes (pour l’influence) et des réseaux sociaux (pour l’audience) afin d’offrir au mouvement une force de pénétration dans les esprits ;

Par la recherche et l’application de stratégies propres dans les différents secteurs d’activité à assurer le bien-fondé du mouvement comme par exemple l’entreprise libérée, stratégies aux résultats visibles par tous et de ce fait applicables.

Prospérité, sécurité, équité et libertés sont le plus à même d’être garanties par un tel mouvement que par tout autre. Cela implique en revanche d’affronter le changement de paradigme civilisationnel auquel nous faisons face et qui nous tire vers les abysses. Pour assurer cette renaissance libérale, il faudra aller au contact.

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  • Oui. La réponse à l’internationale socialiste est bien le national libéralisme.

    (Pour les sans-frontiéristes de tous bords : quand vous détruisez les Etats-Nations vous renforcez un État mondial… qui concentre un pouvoir incontestable)

  • alors je n ‘y crois pas trop sans crise majeure ‘ » plus de sous »…
    rallier les fonctionnaires exigerait qu’ils acceptent de perdre leur rente de situation… pour un gain non pas individuel mais de justice..et donc sociétal…

    ça signifierait qu’il est « simple » de lutter contre la bureaucratisation.

    la majeure partie des profs défend l’ed nat..

    de nombreux médecins défendent la sécu..

    les chercheurs du public épaulent la recherche publique ..

    distribution électrique, trains…

    ils ne manifestent contre l’état mais ses représentants… qui de TOUTES façons ne consacrent jamais assez de moyens à l’education la santé ou la recherche..

    ça s’arrete quand EUX aussi doivent payer..par faute d’argent à pomper ailleurs. enseigner le ventre vide est moins sexy..

  • Dans l’ensemble c’est pas mal comme article. Il y a cependant trois points qui m’étonnent.

    1. Ainsi l’auteur est contre le fact checking. Je trouve au contraire qu’il s’agit d’une saine pratique qui évite d’avaler n’importe quelle propagande, pour autant que ce checking lui-même ne soit pas non plus une autre infâme propagande, ce qui est parfois le cas mais n’est pas une généralité.

    2. Je serais curieux de savoir ce que l’auteur entend par violence sociale. Ceci fleure bon le programme du PTB (Parti des Travailleurs de Belgique)…

    3. Le troisième ne m’étonne pas sur un site libéral mais il est un point de désaccord. L’échange libre au sens où les libéraux l’entendent n’est pas forcément une situation où chacun trouve son compte. Les libéraux évacuent trop facilement les rapports de forces et le fait que certains ne recherchent pas forcément le profit maximum mais la nuisance maximum vis-à-vis de leur co-contractant. Exemple : les mésaventures de Trump avec les réseaux sociaux qui l’ont blacklisté. Alors dans la plupart des cas, effectivement, l’échange libre est le plus profitable pour chaque partie mais il arrive, et ce n’est pas rare, qu’une des parties se trouve lésée.

    • « L’échange libre au sens où les libéraux l’entendent n’est pas forcément une situation où chacun trouve son compte.  »
      Oui, mais cette réflexion est bien d’essence socialiste.
      Le libéralisme ne promet pas le paradis, il demande que l’état respecte les droits individuels. Il y a une incompréhension entre socialistes et libéraux. Les socialistes promettent une société idéale, qui n’est pas de ce monde. Comme on dit; on a vu des œufs cassés, mais jamais l’omelette.

  • optique interessante qui change des diatribes habituelles sur les millions de fonctionnaire en trop (mais sans jamais preciser en detail lesquels il faudrait virer ou en oubliant que le paiement des fonctionnaires c est qu une partie infime des depenses de l etat (le premier poste c est le paiement des pensions de retraite, apres c est la secu))

    Pour le delitement social, j ai quand meme un doute. Si la France etait a une certaine epoque homogene c etait quand meme qu il y avait une grosse pression sociale (disons jusqu aux annees 70)
    Si vous supprimez cette pression sociale ne risquez vous pas d avoir les delires qu on observent actuellement (par ex faire dire a des enfants de 10 ans qu il ne sont pas de sexe masculin/feminin et qu il faut leur donner des hormones pour qu ils puissent changer de sexe ?)

    • Pour les dépenses de retraite, le Chili nous a donné depuis longtemps des pistes pour la transition vers la capitalisation (qui a également des risques de part la démographie/productivité et les manipulation des taux d’intérêt).

      Pour le reste des dépenses, mis à part en politique, j’ai bien plus souvent entendu sur ce site une réflexion sur les vraies missions de l’État et des collectivités territoriales qu’une bête suppression comptable des fonctionnaires.

      Pour la pression sociale, je ne comprend même pas comment des parents peuvent transformer, au calme, leurs enfants en cobayes de leur folie.

  • Bel article, je préfère ce genre d’analyse aux divagations des « philosophes. »

  • Contrairement à l’auteur, je pense qu’ils ont largement ouvert la fenêtre d’Overton.
    En un an, concernant nos libertés, ils ont réussi à transformer l’impensable en acceptable, voire populaire.
    Chapeau bas aux manipulateurs.. et pouce en bas pour les moutons.

  • Bonjour, il y a des points intéressants dans cet article, mais je ne suis pas vraiment d’accord avec votre définition de liberté.

    Le choix n’est jamais réellement libre, et ne peut l’être; nous sommes toujours contraints par tout une série de limitations réelles ou imaginaires.
    Il faut donc ramener la la liberté à un anti-étatisme, à la Rothbard. Cela change une grande partie de vos conclusions dans l’article.

    Attention de louer la période avant 68, qui était une période bien plus infestée par les idées socialistes, que celle d’aujourd’hui surtout en Europe. A l’époque, le planning centralisé et la nationalisation des moyens de production étaient encore à l’ordre du jour pour beaucoup de personne.

  • Les commentaires sont fermés.

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