4 modèles mentaux qui bloquent votre entité innovation de rupture

Il n’y a pas de solution miracle, mais il y a néanmoins quatre modèles mentaux bloquants que l’on retrouve assez systématiquement et qui peuvent être changés assez facilement.

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4 modèles mentaux qui bloquent votre entité innovation de rupture

Publié le 26 mai 2021
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Par Philippe Silberzahn.

La création de services « d’innovation de rupture » au sein des grandes entreprises n’est pas nouvelle. Mais malgré le temps et l’expérience, ils restent souvent bloqués dans leur action et finissent par être dilués dans l’organisation après quelques années, voire quelques mois.

Si la direction générale en attend parfois un peu trop, il est en effet illusoire de penser que l’innovation de rupture sera réglée par un service, si performant soit-il, cet échec est problématique. Il n’y a pas de solution miracle, mais il y a néanmoins quatre modèles mentaux bloquants que l’on retrouve assez systématiquement dans ces entités et qui peuvent être changés assez facilement.

Les noms des entités d’innovation de rupture varient, du plus banal au plus poétique-geek, mais leur objectif est le même : face à la prise de conscience des dangers des ruptures actuelles, permettre à l’entreprise de lancer des innovations de ruptures censées prendre le relais des marchés actuels.

En raison même de la façon dont elles sont initiées et lancées, c’est-à-dire par la direction générale et rattachées à la direction de la stratégie ou de la R&D, pour faire simple, ces entités sont cependant marquées par quatre modèles mentaux forts qui expliquent en grande partie le blocage de leur action.

Premier modèle mental bloquant : l’intérêt du projet suffit à convaincre les décideurs

J’ai moi-même longtemps partagé ce modèle.

Lorsque j’étais entrepreneur, nous avions développé une technologie remarquable qui permettait à nos clients de réduire de 50 % leur temps de développement logiciel, ce qui était considérable. Je pensais que cela suffirait à ce que les bons de commandes affluent sur mon fax (à l’époque c’était un fax) mais il n’en fut rien.

De même, je ne compte plus les équipes d’innovation qui pensent que par la vertu magique d’une présentation, elles pourront convaincre le Comex d’investir dans leur projet magnifique.

C’est oublier que l’innovation est un processus social bien plus qu’intellectuel. Le Comex se méfie des innovateurs qui utilisent un vocabulaire abscons et veulent faire prendre des risques insensés à l’organisation en criant au loup « de la rupture qui va nous tuer si nous ne faisons rien ».

De leur côté les innovateurs accusent celui-ci d’être composé de managers hostiles à l’innovation et avec pour seul horizon de pensée les six prochains mois. Comment convaincre le Comex est la mauvaise question. La bonne, c’est de savoir comment mieux connaître les membres du Comex pour faire tomber ces a priori. Autrement dit, tant qu’un lien social n’aura pas été créé entre les deux parties et entre les individus qui les composent, la relation sera marquée par la méfiance et restera improductive.

Deuxième modèle mental bloquant : l’innovation de rupture est forcément ambitieuse

Un responsable en innovation de rupture partageait récemment avec moi sa frustration : son équipe avait assez bien réussi à lancer des projets mais ceux-ci étaient relativement peu radicaux et certainement pas de rupture. Nous sommes bons pour l’incrémental, où nos clients internes voient le résultat qu’ils peuvent en tirer à relativement court terme, mais nous ne progressons pas sur les projets vraiment disruptifs, où nous n’arrivons pas à convaincre.

Or comme souligné plus haut, le principal obstacle d’un service d’innovation de rupture, c’est son manque de légitimité interne. Il subit un paradoxe qui est que la direction générale en attend beaucoup (on veut trois licornes l’année prochaine !) mais de façon assez abstraite, tandis que le reste de l’organisation le voit au mieux comme une dépense inutile et au pire comme un risque pour l’activité actuelle.

Et donc loin de constituer une perte de temps aux dépens des projets de rupture, les projets incrémentaux sont au contraire le meilleur moyen pour le service de développer sa légitimité en interne et de nouer des relations de confiance aux niveaux de l’organisation qui comptent vraiment pour lui, c’est-à-dire les niveaux intermédiaires du management.

C’est en effet là que se trouvent les blocages concrets, mais aussi les opportunités de projets. Les petits projets offrent des occasions de petites victoires sur lesquelles on peut construire de grandes choses.

Troisième modèle mental bloquant : incrémental ou rupture, il faut choisir d’emblée

La plupart des innovations de rupture naissent non pas d’un éclair de génie ou d’un processus d’idéation de type « océan bleu » mais de la vie courante.

Autrement dit, bien souvent, dans les premiers temps d’un projet innovant, on ne peut pas savoir si celui-ci débouchera sur une rupture. Celle-ci ne se décrète en effet pas. Rappelons que l’éclair de génie des deux fondateurs d’AirBnB fut de gonfler un matelas pneumatique dans un salon pour accueillir un hôte pour la nuit. Comment imaginer que trois ans après, l’industrie hôtelière serait disruptée à la suite de ce banal gonflage, que nous avons tous fait un jour ou l’autre dans notre vie ?

C’est pour cela que la séparation entre un service d’innovation incrémentale, concentré sur les améliorations à courte échéance, et un service d’innovation de rupture consacrée au long terme est une erreur. L’un peut déboucher sur l’autre. C’est une raison supplémentaire pour l’entité innovation de nouer des liens de confiance avec les niveaux intermédiaires du management : un banal projet d’amélioration incrémentale peut évoluer en un projet de rupture. On conçoit alors l’intérêt pour l’innovation, au moment où cette opportunité émerge, d’avoir investi depuis longtemps dans la relation.

Quatrième modèle mental bloquant : l’innovation de rupture, ça va de l’idée au marché

Alors que nous discutions de sa difficulté à diffuser ses idées disruptives au sein de son organisation, ce responsable d’un lab prenait conscience de l’importance de nouer des liens au sein de l’organisation, et reconnaissait qu’il devait certainement passer plus de temps à vendre ses projets qu’à les concevoir.

C’est vrai qu’il y a là un travers assez français, une culture d’ingénieur exacerbée sans doute qui met l’accent sur la sophistication de la technologie et dédaigne les efforts de vente. Mais là encore, le modèle mental est bloquant. L’innovation de rupture suit rarement un processus linéaire bien sérié, partant d’une idée qui est développée et ensuite vendue, un modèle dit de technology push dans lequel l’idée est poussée vers le client qu’il faut convaincre.

Un autre modèle basé sur la co-création est préférable. Cette co-création est d’autant plus facile que la relation sociale et les liens de confiance ont été développés antérieurement. En ce sens, la vente sert aussi bien à pousser ses idées qu’à les susciter, l’échange va dans les deux sens. Les clients internes ne sont pas que des consommateurs passifs des bonnes idées de l’entité innovation mais des partenaires.

L’innovation est un processus social

Il y a presque 200 ans, l’obstétricien hongrois Ignace Semmelweis, en poste à Vienne, avait eu l’intuition que si ses collègues se lavaient les mains avant de procéder à un accouchement, la mortalité des femmes, effroyable à l’époque, serait réduite.

Il s’est heurté à un mur d’incompréhension et personne ne s’est lavé les mains. Semmelweis pensait qu’il suffisait d’avoir raison pour que les autres soient d’accord avec vous, et il a refusé d’essayer de convaincre ses collègues. En outre, il était Hongrois, et souffrait donc d’une certaine condescendance de la part de ses collègues autrichiens qui le voyaient comme un provincial excentrique. Mal considéré et mal intégré au groupe qu’il essayait de convaincre, il a fini dans un asile psychiatrique, abandonné de tous.

Fort heureusement, tous les innovateurs n’ont pas une fin aussi tragique mais il est essentiel qu’ils comprennent que l’innovation est fondamentalement un processus social. C’est le lien social qui rend possible l’écart à la normale que constitue l’innovation, parce que la confiance a été créée préalablement. Il existe naturellement de nombreux moyens de créer des liens, comme des activités sociales notamment, ou de petits projets incrémentaux qui nous semblent parfois triviaux mais qui pourtant sont essentiels.

Le fait que l’action de l’entité soit bloquée par ces quatre modèles est une bonne nouvelle : cela signifie que le déblocage est entièrement à sa portée.

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  • Un frein à l’innovation que j’ai constaté est celui du supérieur hiérarchique qui tient à s’approprier le mérite du découvreur subalterne: mésentente aboutissant à l’obstruction.
    Voir l’affaire Tesla vs Edison.

  • « Les petits projets offrent des occasions de petites victoires sur lesquelles on peut construire de grandes choses ».
    Je suis globalement d’accord avec le fond de cet article et plus particulièrement avec l’énoncée ci-dessus.
    J’ai au sein de mon entreprise toujours privilégié la politique des petits pas parce que cela permettait:
    1/à mes équipes de s’approprier les projets et ainsi soit de les mettre en œuvre « confortablement »soit de les critiquer positivement ou de les adapter aux besoins de notre clientèle et ainsi d’obtenir à bon compte des succès partagés.
    2/ nos clients étaient en mesure de recevoir nos propositions comme une saine évolution et ainsi de les acheter car intégrable facilement dans leurs propres programmes.
    3/ éviter des conflits internes ou externes insolubles entraînant de toutes part des insatisfactions ou des incompréhensions ravageuses.

  • Planifier la rupture ?

    Il y a 2 types de recherche :
    – celle où on chercher à obtenir, vérifier un résultat, développer des idées dans « l’ère du temps »,
    – celle où on observe pour détecter des anomalies et où on remet en cause ce que l’on pense savoir afin de proposer une explication et/ou une nouvelle vision des choses.

    Je crains que la planification s’applique plus à la première et la rupture à la seconde. Ce second mode de recherche débouche au mieux sur un objectif pour le premier, sans garantie de résultat mais avec les plus fortes résistances au changement, et une incompatibilité avec un processus incrémental.

  • Biais du survivant.
    On peut trouver beaucoup plus d’exemples « d’innovation » qui ont coulé leur boite, les perdants n’ont pas d’histoire. Pareil pour les innovations médicales, il y a eu de sérieuses régressions et ratés au cours des siècles, on en trouve encore à notre époque (nutrition, médicament etc.).
    .
    L’innovation est forcément un risque et une incertitude, les résistances sont normales et les innovations ne sont pas toutes bonnes, dans ce cas les résistance sont salvatrices.

    • Certes mais il n’y a d’entreprise que de prise de risque.
      On a deux façons de créer de la valeur: -l’optimisation du système existant qui atteint une limite asymptotique (la logique de l’expert-comptable),
      -l’innovation et là, sky’s the limit.
      S’interdire l’innovation au motif que c’est introduire plus de risque est statistiquement suicidaire.

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