Langues régionales : la Constitution contre la diversité française

La France dans une situation paradoxale : elle est une nation hétérogène construite sur une synthèse de cultures et d’apports parfois antagonistes pourtant chapeautée par un des États les plus centralisés d’Europe.

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Bagad Pouldergat détail de broderies by Etienne Valois (creative commons) (CC BY-NC-ND 2.0)

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Langues régionales : la Constitution contre la diversité française

Publié le 25 mai 2021
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Par Jonathan Frickert.

« Le dialecte, c’est le sang d’une région qui n’est pas normalisée et conditionnée par Paris. »

Ces mots sont ceux de Georges Holderith, germaniste et auteur de la méthode d’enseignement de l’allemand du même nom. Difficile de ne pas penser à ce haut fonctionnaire décédé à la fin des années 1970 en voyant l’état des langues régionales en 2021.

Fin 2019, le député régionaliste Paul Molac déposait une proposition de loi relative à la protection et à la promotion des langues régionales afin de donner aux acteurs publics de nouveaux moyens pour les conserver et à les promouvoir. Le texte déposé par l’ex-écologiste puis macroniste devrait donner de nouveaux leviers de financement à l’État comme aux collectivités locales en matière de patrimoine et d’éducation.

La proposition vise également à permettre la généralisation des signalétiques bilingues ou plurilingues. L’exposé des motifs, c’est-à-dire le résumé de la proposition, mentionne par exemple l’usage du tilde (~) notamment utilisé en breton.

Mais derrière ce nouveau texte permettant toujours plus de dépenses et d’intervention sous couvert de noble dessein, la véritable révolution proposée par l’ancien macroniste tient dans le concept d’enseignement immersif, que le texte vient renforcer. Sous cette expression se trouvent les écoles bilingues visant généralement à permettre aux élèves d’atteindre un niveau A2 dit « intermédiaire ou de survie » dès la fin de l’école primaire contre la fin du lycée dans l’enseignement général.

Une révolution qui n’est pas au goût de tout le monde, puisque le texte vient d’être partiellement censuré par le Conseil constitutionnel.

Une loi saisie par la majorité qui l’a voté

Adoptée le 8 avril dernier par 247 voix, parmi lesquelles 100 députés macronistes, la proposition a rapidement fait l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel. Fait exceptionnel depuis l’ouverture de la saisine aux parlementaires en 1974 : ce sont bien 60 députés issus quasi exclusivement de la majorité qui ont saisi le 22 avril les Sages contre un texte voté par leurs rangs.

De façon particulièrement évidente, la liste des signataires de la saisine ne comprend aucun élu d’un territoire à forte identité régionale.

Les éléments interventionnistes validés

Ce 21 mai le Conseil constitutionnel a partiellement validé le texte, et notamment la partie relative à la promotion et au financement des langues et du patrimoine linguistique régional. Sans surprise, les Sages ont ainsi validé la partie interventionniste du texte…

Tel ne fut par le cas des deux mesures phares de la loi, à savoir l’usage des caractères diacritiques et l’enseignement immersif, deux censures fondées sur un même article 2 de notre loi fondamentale.

Langue privée, langue publique

Symbole de l’absurdité de cette censure, le refus de l’usage des signes diacritiques provoque aujourd’hui une intense bataille judiciaire qui occupe les colonnes de la presse bretonne depuis bientôt quatre ans. Un couple quimpérois se bat en effet depuis plusieurs années pour permettre l’inscription d’un tilde sur l’état civil de leur fils, prénommé Fañch – diminutif de François en breton.

Au cœur de cette ineptie toute administrative : l’article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 établissant les principaux symboles nationaux et reprenant peu ou prou le texte de la Constitution précédente. Seule différence : le texte s’est vu adjoindre en 1992 la mention de la langue française comme langue de la République. Ainsi, toute personne morale de droit public, c’est-à-dire essentiellement l’État, les collectivités, les hôpitaux et les établissements d’enseignements ne peuvent utiliser d’autre langue que le français. On peut aisément voir dans ce cadre quelque chose d’analogue à la manière dont fonctionne une laïcité française qui ne s’applique qu’aux personnes publiques.

Depuis, cette mention a notamment conduit le Conseil constitutionnel à censurer partiellement la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires en 1999 en vertu de la séparation entre la langue pratiquée dans un cadre privé et une langue pratiquée dans un cadre public.

Si les Sages notent que cet article n’interdit en rien l’État et les collectivités de « concourir à la protection et à la promotion des langues régionales », il rappelle que « les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d’un droit à l’usage d’une langue autre que le français », justifiant ainsi l’interdiction du tilde.

Pour censurer l’enseignement immersif, le Conseil constitutionnel estime que cette méthode d’enseignement vise à utiliser comme langue principale d’un établissement scolaire une langue qui n’est pas le français, et donc de méconnaître la langue officielle de la République.

Des difficultés qui n’ont semble-t-il pas été anticipées par les signataires de la proposition de loi, laquelle mentionne, toujours dans l’exposé des motifs, que « l’insertion des langues régionales dans le patrimoine constitutionnel s’inscrit dans une complémentarité avec l’article 2 de la Constitution », sans mentionner les deux points censurés ce vendredi.

L’État contre la culture

Depuis la volonté des monarques français de s’opposer au pouvoir de l’Église en proscrivant le latin du royaume, la politique linguistique française s’est toujours faite dans un souci de renforcement du pouvoir de l’État sur les autres composantes de la société.

De l’ordonnance de Villers-Cotterêts, qui n’est rien d’autre que l’ancêtre direct de ce fameux article 2, jusqu’à la loi Toubon sur l’emploi de la langue française, l’État s’est toujours construit contre la nation qu’elle prétend encore aujourd’hui incarner.

La France est une nation synthèse : Celtes, Latins puis Germains ont colonisé cette terre et l’ont unifiée par le christianisme et la culture gréco-latine.

Paradoxalement, cette synthèse n’a cessé d’être étouffée à mesure que le centralisme gagnait du terrain.

La France vit depuis des siècles une situation paradoxale en étant une nation hétérogène construite sur une synthèse de cultures et d’apports parfois antagonistes pourtant chapeautée par un des États les plus centralisés et les plus craintifs à l’égard des corps intermédiaires d’Europe.

Absurdité et interventionnisme, deux causes du mal français

La censure de la proposition de loi sur la protection des langues régionales en apporte une preuve supplémentaire et comprend de nombreux éléments du problème français.

Nous y retrouvons l’absurdité, avec le refus d’insertion d’un caractère sur un prénom, mais également de l’interventionnisme, avec des éléments non censurés qui ne consistent qu’en de la dépense et de l’intervention supplémentaire des pouvoirs publics. Ces deux causes du problème français sont deux raisons pour les défenseurs de la diversité culturelle et linguistique de ce pays de sortir du logiciel étatiste.

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  • On s’ imagine que en descentralisant tout va s’ arranger, mais tôt ou tard les mêmes vices apparaitront au niveau local( corruption, clientelisme, démagogie, sectarisme). Les routes de l’ enfer sont toujours pavés de bonnes intentions.

    • L’intérêt de la vraie décentralisation, c’est à dire une autonomie budgétaire et fiscale, c’est de mettre les régions en concurrence et de faire apparaitre les effets des mauvaises politiques. comme aux USA où il n’est pas rare de voir des villes en cessation de paiement.
      Bien entendu, cela ne sera pas fait en France.

  •  » Hoppla Tschonny, ìn dana hàsch’es gsait !

    àwer bringt’s ebbis ?  »

    Merci pour le soutien…

  • Le conseil régional socialiste de bretagne a dépensé 450 000 € pour soutenir le patois Gallo. Est-ce raisonnable ? La région Ille de France ne soutient pas l’argot… Le Breton on pourrait comprendre mais c’est une langue sans avenir, l’anglais malheureusement est plus utile. Quant au français la priorité et l’urgence c’est de renforcer son apprentissage. Il n’est pas admissible que l’on puisse obtenir le bac sans maîtriser l’orthographe.

  • Autant la défense de particularités régionales ou locales me paraît importante pour lutter contre le centralisme étatico-gouvernemental, autant la manière et les symboles choisis, notamment les histoires de tilde, me semblent peu appropriés.
    Le prochain pas serait-il de faire accepter le tilde dans les intitulés de virements SEPA ?

  • La diversité…. Y en a marre. Le CC, à bien raison, les langues régionales, rien de telle pour nous diviser.

  • Chacun est libre d’utiliser la langue qu’il veut, non ? Qu’il faille légiférer pour « protéger » (lisez financer avec l’argent gratuit des autres) les langues régionales me fait bondir. Comme si cela allait changer quoi que ce soit à la centralisation de la France.

    Et si c’est juste pour introduire des caractères imprononçables dans les fiches d’état civil, ce n’est vraiment pas la peine : que les parents du petit Fanch-avec-tilde se contentent de l’alphabet qui est mis à leur disposition, ce n’est déjà pas mal.

    • Ou alors que ces parens lui donnent un vrai prénom français, comme Abdul, Mohammed ou Mustapha.

    • Oscar Ollo, depuis des décennies nous subissons des coups de butoirs de l’état contre les langues régionales. L’état n’exemptant tout simplement pas la différence culturelle. D’autres pays y parviennent parfaitement.
      Ne rabaissez pas les langues régionales à une question d’argent. C’est dégradant.

    • Mohammed, c’est imprononçable (en tout cas correctement), ce n’est pas français non plus. Donc l’administration devrait refuser ce nom là…
      Le tilde est un caractère latin, il s’avère qu’il n’apparait pas en langue française. Mais le w n’y apparait pas (originellement) non plus…

  • Avorton, en quoi les langues régionales diviseraient-elles les français ?
    Je ne comprends pas le commentaire. Pourriez-vous m’expliquer ?

    • Trouvez-vous normal que dans certaines régions ON demande au employés de parler la langue (ancienne) du coin ?…
      (le «ON», c’est le Centre Hospitalier Régional)
      Dans un futur proche, il sera demandé pour être employé au guichet de la mairie d’un bled d’avoir un bac+5 en Ch’timi ou en Berrichon. Ce qui serait bien c’est que les réunions des conseils municipaux se déroulent en Limougeaud, avec l’énorme avantage d’éviter les parachutages !

      • Que l’hôpital demande aux employés de parler le patois local est totalement anormal, mais, si ça doit être dénoncé et combattu, il ne faut pas en faire une généralité. Je ne pense pas que les langues régionales divisent, elles sont certainement un plus pour les personnes qui les parlent, au même titre que les danses régionales ou les férias attirent des vacanciers, à condition de rester ce qu’elles sont, un héritage du passé et à condition qu’elles n’amènent pas à réclamer une indépendance !

  • Il faut arrêter un peu, quelle est l’utilité d’étudier les mathématiques, les sciences, etc en haut-picard ou en bas-savoyard ? Que les langues régionales soient proposée par l’Éducation Nationale est sûrement acceptable voir souhaitable, mais en dehors du programme normal (ex. le samedi et le mercredi). Par contre ce qui devrait être obligatoire c’est l’enseignement de la langue d’un pays limitrophe et là y compris pour les cours scientifiques. Qu’un petit Niçois parle couramment l’Italien plutôt que le provençal ou qu’une jeune Toulousaine s’exprime en espagnole plutôt qu’en occitan, semble un peu plus logique et surtout utile pour éventuellement pour leurs futures activités. À moins que le seul objectif ne soit que de faire le beau sur les marchés régionaux devant des parigots qui ne comprendraient rien !

    • Je pense comme vous, les langues régionales doivent rester régionales, les familles transmettent la langue à leurs enfants comme elles transmettent les spécialités culinaires ou les traditions. Pas besoin de l’Ed Nat, des associations peuvent le faire pour les familles qui souhaitent faire renaître la langue régionale dans leur foyer.
      Mais ça doit rester à l’échelle régionale, et ne pas oublier que les langues étrangères sont bien plus importantes car étant à un autre échelon (professionnel celui-là).
      Le petit niçois a tout intérêt à parler l’italien mais également l’allemand, vous n’avez pas idée comme c’est un plus dans cette région (la mienne) avec les tombereaux de touristes allemands ou hollandais, tellement étonnés et contents que quelqu’un parle leur langue qu’ils signent direct le devis ?

      • Visiblement vous vivez dans des régions où il n’existe pas de langues régionales. Comment sinon avoir des commentaires aussi stupides sur l’utilisation des langues régionales.
        Vous souhaitez tout lisser et réduire les langues régionales à du folklore, la encore vous êtes à côté de la plaque !

  • cf les indiens navajos « code talkers » ce (dé)conseil desconstitutionel ferait bien de la fermer !

  • Le patois, le dialecte, la langue d’origine relève de la sphère privée, l’état après avoir consciencieusement cassé tout le reste n’a pas à mettre ses sales pattes là-dedans surtout qu’il reste beaucoup moins de locuteurs bretons que musulmans.

  • Les commentaires sont fermés.

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