Zéro covid en Nouvelle-Calédonie : une stratégie de moins en moins viable

La stratégie actuelle du zéro covid en Nouvelle-Calédonie devient de moins en moins supportable du fait de l’impact socio-économique des mesures restrictives.

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Zéro covid en Nouvelle-Calédonie : une stratégie de moins en moins viable

Publié le 19 mai 2021
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Par Abdelkader Saïdi, Chirurgien, gestion du risque et membre de l’Institut Santé.

Lorsque l’épidémie est apparue à la fin de l’année 2019, nous ne savions rien du coronavirus excepté deux faits marquants : l’effroyable situation italienne et l’efficacité apparente d’un confinement strict en Chine. Dès lors il était logique et sage de mettre le territoire sous cloche et de confiner largement, même si le coût allait être considérable.

Aujourd’hui on en sait beaucoup plus sur le virus, la maladie et les traitements, mais également en termes de politiques publiques sur la manière de l’appréhender. Si elle a été parfaitement adaptée pendant un an, la stratégie actuelle du zéro covid en Nouvelle-Calédonie devient de moins en moins supportable du fait de l’impact socio-économique des mesures restrictives comme la suspension de la continuité territoriale et le régime de la quatorzaine.

De plus on observe un retard à la vaccination dans la plupart des pays adoptant cette stratégie, les rendant toujours vulnérables alors que le virus et ses variants circulent encore activement à travers la planète.

Stratégie zéro covid : un bilan positif « grâce » aux subventions

Alors oui, le bilan sanitaire est excellent, oui l’économie est encore globalement sur pied et peut le rester encore quelques mois si l’État continue à soutenir financièrement le territoire. Mais les subventions ne font pas tout et le maintien d’une rupture de la continuité territoriale avec la métropole aura des conséquences destructrices sur le modèle de protection sociale calédonien.

La situation des étudiants est particulièrement préoccupante et s’est dégradée au point d’entrainer une certaine précarité et un isolement social, scolaire et professionnel. Les séparations familiales sont de plus en plus mal vécues.

De nombreuses compétences clefs, assurées aujourd’hui par des métropolitains faute de ressources locales vont être délaissées au motif des trop fortes restrictions du territoire et les candidatures de l’étranger pour venir exercer en Nouvelle-Calédonie sont rares.

À titre d’exemple 10 % des personnels des blocs opératoires sont partis pour ces raisons et d’autres vont probablement suivre. À ce rythme les soins courants pourraient tout simplement être suspendus. Tous ces éléments, dont on ne mesure pas bien l’impact s’accumulent et risquent de faire émerger un effet domino pervers. Cette perspective ne profitera à aucune cause ni aucune personne.

La Nouvelle-Calédonie n’a ni l’autonomie de l’Australie, ni celle de la Nouvelle-Zélande pour prétendre rester sous cloche jusqu’à fin 2022. C’est pour ces raisons que tous les Calédoniens sans exception sont directement concernés par les mesures qui seront prises.

Le tissu social face à la stratégie zéro covid

Le tissu social fragilisé par l’impact de la stratégie zéro covid doit en plus résister à l’incertitude propre du pays.

Comment envisager sereinement une gestion de crise sans gouvernement officiel depuis plus de 100 jours. De plus, au niveau juridique les mesures prises par l’exécutif se heurtent aux multiples imbrications de compétences, entre celles relevant de l’État et celles relevant de la Nouvelle-Calédonie, le tout dans un contexte de levée progressive de l’État d’urgence sanitaire.

Si rien n’est entrepris, les tribunaux et les jurisprudences sur les mesures actuellement appliquées se chargeront de revoir la copie sur la stratégie à mettre en œuvre.

Pour éviter de se retrouver au pied du mur il faudrait évoluer progressivement du zéro covid vers une stratégie de réouverture maitrisée avec la métropole : le Covid Control selon un calendrier bien défini. Il faudrait également mettre en place rapidement un centre opérationnel de réponse contre les épidémies (COREC) qui serait disponible même en l’absence d’un gouvernement.

Si la vaccination sera sans aucun doute l’arme décisive de la sortie de crise, pour être efficace elle dépendra de deux variables : une large couverture vaccinale (jusqu’à 90 % des adultes de plus de 65 ans) et des variants n’y résistant pas.

Pour appuyer cette arme du vaccin il faut nécéssairement une arme complémentaire robuste qui est le Détecter-Isoler-Protéger. On peut contrôler une maladie contagieuse en isolant rapidement les personnes contaminées et pas forcément tout un pays ; on sait cela depuis plus de mille ans, mais faut-il encore en avoir la volonté et y mettre les moyens. Le Covid Control est une stratégie intégrée basée sur ces deux armes indispensables.

Le « Covid Performance Index » du Lowy Institute australien permet de comparer les performances des stratégies de 93 pays.

Si la France occupe une modeste 73eme place, sans surprise les pays asiatiques sont en tête et les trois critères principaux d’efficacité sont :

  • le contrôle des frontières,
  • la transparence sur les mesures,
  • le niveau élevé de vie démocratique.

Le Covid Control devrait donc répondre à ses trois exigences pour être performant. L’idée est d’ouvrir progressivement le flux avec la métropole, de déployer des outils modernes de contrôle aux frontières et de tracing des entrants, d’assouplir les mesures restrictives pour les vaccinés, de mettre en place un dispositif d’alerte intuitif, d’élargir la stratégie des tests par les tests antigéniques, les sérologies et les auto tests, de promouvoir la vaccination, d’avoir une politique claire pour les enfants  et de développer une culture du risque résiliente.

Soyons réalistes, la reprise complète des liaisons internationales ne se fera pas avant deux ans minimum, mais rien n’empêche d’envisager une rouverture sécurisée du territoire avec Paris. Les Calédoniens ont un besoin impérieux de comprendre le rationnel de ces choix malgré l’incertitude qui les entoure. Ils ont un besoin légitime de visibilité, de transparence et de perspectives.

Le Covid Control devrait être débattu par des assises calédoniennes regroupant tous les acteurs de la crise et de la société civile et il devrait être adopté par le Congrès de la Nouvelle-Calèdonie. Un calendrier clair serait proposé en fonctions des objectifs à atteindre.

Au total, le territoire doit être en capacité de vacciner largement et de détecter le plus rapidement possible une menace, tracer tous les contacts, les isoler, les protéger et délimiter le périmètre sous tension pour y appliquer une réponse anticipée et ciblée. Là encore, c’est une question de volonté et de confiance.

Dans ce contexte d’illisibilité des mesures prises et de retour d’expérience de la crise Covid, la Nouvelle-Calédonie devrait envisager un dispositif de réponses aux épidémies, suffisamment calibré pour dépasser toutes les incertitudes politiques et juridiques.

Le COREC (Centre Opérationnel de Réponse aux Épidémies Calédonien) serait un dispositif intégré de décision et d’organisation de la réponse de la Nouvelle-Calédonie face à une situation épidémique exceptionnelle. En cas de menace le dispositif serait activé et son directeur ou directrice immédiatement nommé par le Congrès de la Nouvelle-Calédonie parmi les élus ou directeurs de secteurs, en fonction de leurs compétences et de leurs expériences.

L’activation du COREC constituerait l’élément-clé du dispositif de réponse de la Nouvelle-Calédonie à une pandémie. Schématiquement son directeur se verrait proposer des scénarios solutions par un groupe d’experts qualifiés, et en discuterait avec le président du gouvernement et le Haut-Commissaire afin de dégager une solution. Celle-ci serait présentée au préalable au congrès et transmise ensuite aux cellules logistique et opérationnelle pour sa mise en œuvre.

Ce cadre global, qui pourrait être mis en place dès à présent, permettrait de répondre aux demandes de planification opérationnelle des acteurs de la crise et de faire face à tous types de pandémies quelles que soient les incertitudes politiques, pour assurer une sécurité sanitaire optimale à la Nouvelle-Calédonie.

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  • le goût du moindre effort y compris intellectuel de ce gouvernement ne prédispose pas à prendre la mesure et les mesures nécessaires pour circonscrire le virus . . . .
    Excellent article plein de sagesse au demeurant !

  • La stratégie Zéro Covid est en effet insoutenable (aux 2 sens du terme) pour contrer l’épidémie.
    D’abord parce que le virus s’est mondialisé. Ensuite parce que c’est une zoonose : l’homme n’est pas son seul réservoir. Il n’y a aucune chance de l’éradiquer comme on a pu le faire pour la variole.
    La vaccination peut être utile, le traitement est necessaire. L’espoir aussi : l’espoir que ce Sars-cov2 finisse comme les 4 autres coronavirus à donner de simples rhumes, ou, au pire, fasse comme la grippe, quelques milliers de morts annuels qui passent sous les radars des institutions politiques et médicales.

  • Encore un article qui évacue les possibilités de traitement précoce et maintient le mythe du « Covid, maladie très grave qui ne se soigne pas et dont seul le vaccin nous sauvera ».
    La stratégie « zéro Covid » n’est rien de plus qu’un isolement complet « en attendant que ça passe ». Son coût est en effet énorme, et surtout: quand et comment en sort on ?

    • La stratégie « zéro covid » marche sur le court terme et avec mis en place de moyen pour traiter et isoler. La Chine l’a très bien appliqué et n’a plus confiné (ou seulement ciblé) depuis l’année dernière. Mais bon, ce sont les méchants citrons qui veulent envahir le monde occidental, donc il ne faut absolument pas les prendre comme exemple… 🙂

  • Excellent article, cher confrère. Une mise au point cependant : aux 2 faits marquants du début de l’épidémie il faut en ajouter un 3ème : la faible létalité du virus, avec une mortalité estimée initialement entre 0,5 et 2% et ne concernant que les sujets âgés et fragiles.

    La Nouvelle-Calédonie n’est pas exempte de virus dangereux. La dengue n’est pas directement contagieuse mais tue proportionnellement davantage (2,5%) et volontiers des jeunes. Le drame de voir partir un vieillard dégradé ou un jeune en parfaite santé n’est pas le même.

    La stratégie initiale n’a donc pas été dictée par une politique rationnelle, sur des critères à la fois épidémiologiques et économiques. La pression des médias puis de la rapide vague de terreur dans la population a été plus forte. C’est la foule qui a fermé nos frontières (vitres de l’aéroport cassées, etc), et non les experts.

    Cette stratégie s’est révélée bonne… parce que c’est la France qui a accepté de payer les dégâts économiques. La mise en place de la quatorzaine et les compensations aux entreprises sont entièrement financées par la métropole…

    Malgré cela l’effondrement financier guette la Nouvelle-Calédonie. Son système de santé de très haut niveau est au bord de la banqueroute. Les compétences pour traiter les autres maladies risquent de disparaître.

    Les morts cachées, ceux qui n’auront pas été correctement traités par défaut de consultation ou de prise en charge, pourraient dépasser très largement les morts évitées de la COVID, et cela à tous les âges.

    Votre article en prend heureusement conscience.

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