Impôt sur la fortune immobilière (IFI) : le choc fiscal n’a pas eu lieu

Le remplacement de l’ISF par l’IFI a-t-il produit les effets escomptés ? Trois ans plus tard, il est temps de se demander si ce « en même temps » fiscal a été une vraie ou une fausse bonne idée.

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Impôt sur la fortune immobilière (IFI) : le choc fiscal n’a pas eu lieu

Publié le 8 mai 2021
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Par Romain Delisle.
Un article de l’Iref-Europe

C’est bien là le débat qui a occupé la société française depuis la création de l’impôt sur les grandes fortunes en 1982 par François Mitterrand, sa suppression en 1987 par Jacques Chirac alors Premier ministre et sa réintroduction par la gauche sous le titre d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en 1989.

Son remplacement par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) en 2017, promesse de campagne d’Emmanuel Macron, s’insère dans cette continuité en se basant sur le postulat suivant : l’argent investi dans l’immobilier n’est pas le plus efficient économiquement parlant, limiter l’assiette de l’impôt sur la fortune à ce seul domaine est donc moins cher, aussi efficace et moins risqué politiquement qu’une suppression pure et simple.

Trois ans plus tard, il est temps de se demander si ce « en même temps » fiscal a été une vraie ou une fausse bonne idée.

L’ISF avant la réforme : un impôt à la pertinence discutable

Le premier et fréquent grief contre l’ISF était son iniquité. Comme nous l’avions évoqué en 2014, l’ISF, taxant le stock et non le flux de capital jusqu’à 1,5 %, un taux en deçà d’un rendement sécurisé de l’argent, prenait de fait un caractère confiscatoire.

Même en passant sur cet argument d’ordre moral, l’ISF incitait bel et bien à la fraude, à l’expatriation et à l’optimisation fiscale. Il drainait l’épargne des plus aisés vers des secteurs de niches peu productifs, comme les œuvres d’art1 ou la forêt.

Selon une étude de l’OCDE publiée en 20172, un allègement de 0,1 point d’ISF fiscalement compensé à due concurrence aurait entraîné 0,07 point de croissance supplémentaire par an, soit 1,5 point en 20 ans.

Sur un plan théorique, les effets des variations de l’impôt sur la fortune étaient difficiles à mesurer ; toutefois, au vu de la complexité du recouvrement de cet impôt et de la fuite des capitaux induite, il a peu à peu été supprimé depuis les années 90 dans les pays de l’OCDE : seules la Norvège, l’Espagne et la Suisse l’ont conservé.

Encore l’Espagne a-t-elle introduit une exonération de 15 à 77 % au titre de l’outil de travail, portant sur la part exonérée de titres d’entreprises non-cotées, possédés par les plus hauts-revenus.

La création de l’IFI a produit des résultats en demi-teinte

À l’issue de l’exercice budgétaire 2018, le coût du remplacement de l’ISF par l’IFI s’élève à 2,9 milliards d’euros, soit le différentiel entre les recettes tirées de l’ISF, 4,2 milliards d’euros, et le rendement effectif de l’IFI en 2018, 1,3 milliard d’euros.

Trois ans après, le bilan de la réforme est plutôt mitigé. D’abord, le nombre de départs des contribuables disposant d’un patrimoine supérieur à 1,3 million d’euros a clairement été freiné et baisse de 41 %, de 632 en 2016 à 376 en 2017. En revanche, le nombre de retours, de 107 en 2016 à 113 en 2017, n’a pas substantiellement augmenté.

Ensuite, l’investissement dans le secteur productif ne semble pas l’option privilégiée par les anciens redevables, comme nous le pressentions l’année dernière : selon un sondage Ipsos3, seuls 29 % de ceux-ci auraient choisi cette voie contre 42 % des dépenses de consommation et 41 % de l’épargne classique. L’assiette de l’IFI n’étant pas fondée sur une distinction entre actifs productifs et actifs improductifs, ceux-là ne sont pas favorisés par rapport à ceux-ci.

La suppression de l’ISF-PME, en outre, si elle a été compensée à 85 % par les sommes investies en provenance des anciens redevables de l’ISF4, n’a pas été mécaniquement reportée sur l’IFI. C’eût pourtant été une belle occasion de dynamiser ce type d’investissement, comme notamment la levée de fonds par capital-risque pour les startups.

Enfin, échec patent de la réforme, du point de vue des redevables, l’IFI constitue une forme plus complexe d’imposition que l’ISF. Aux dires des professionnels du secteur auditionnés par le Sénat, « l’IFI est en réalité assorti de dispositifs souvent complexes, obéissant à des logiques parfois sensiblement éloignées de celles qui régissaient l’ISF »5.

En somme, le « en même temps fiscal » n’a pas produit les effets escomptés. Quand bien même plus des deux tiers de l’effort fiscal ont été accomplis, c’est bien le risque politique qui semble effrayer nos gouvernants, le contexte sanitaire ne les y aidant pas beaucoup, il est vrai.

En s’arrêtant au milieu du gué, le remplacement de l’IFI par l’ISF n’a pas permis de créer un choc fiscal, en grande partie psychologique, apte à engendrer le retour des hauts patrimoines dans notre pays. La France, comme le dormeur du val, a toujours deux trous rouges au côté droit, de là s’échappent ses forces vives.

Sur le web

  1. À ce sujet, il est intéressant de remarquer que le ministre du Budget en 1982, Laurent Fabius, est issu d’une illustre famille d’antiquaires…
  2. Oguzhan Akgun, Boris Cournède et Jean-Marc Fournier, « The Effects of the Tax Mix on Inequality and Growth », OECD Economics Department Working Papers n° 1447, OECD Publishing, décembre 2017.
  3. Ipsos, Baromètre du don « De l’ISF à l’IFI » – vague 6
  4. Précisément, selon une enquête de France invest., les anciens redevables de l’ISF ont continué à dépenser 500 millions d’euros dans des investissements autrefois compris dans l’ISF-PME après sa suppression.
  5. Rapport d’information fait au nom de la commission des finances sur l’évaluation de la transformation de l’impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI) et de la création du prélèvement forfaitaire unique (PFU), 2019, Vincent ÉBLÉ et Albéric de MONTGOLFIER, tome I, p.113.
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  • C’est sûr qu’avec l’endettement additionnel généré par la Covid, l’économie,les finances,la santé de la France ne risquent pas d’être meilleures qu’il y a 3 ans…

  • Il serait intéressant de mettre le nombre de départs et de retours en perspective avec le nombre total d’assujettis et le total du patrimoine concerné. Et de comparer avec, par exemple, l’Allemagne.
    De toute façon, le choc fiscal attendu n’était-il pas la réaction d’un boxeur KO debout auquel on n’assène plus que des droites en lui épargnant les gauches ?

  • J’ai toujours pensé que l’isf et les impôts sur le patrimoine, ainsi que l’héritage étaient des très bons impôts dans le sens où ils ne s’attaquent pas au travail.
    Si on veut ramener des investisseurs, ce n’est pas ce genre d’impôts qu’il faut baisser mais les impôts de production (impôts sur les bénéfices, sur les salaires…)
    Les investisseurs mettent de l’argent s’ils pensent que ce qu’ils vont produire sur place va être rentable sur le marché international, pas s’ils peuvent habiter sur place sans payer trop d’impôts. Sinon personne n’aurait investi en chine

    • Ils ne s’attaquent pas au travail, mais aux fruits du travail !
      Est-ce vraiment une différence ?

    • Héritage, fruit du travail de toute une vie, après impôts, taxes, et contributions citoyennes en tous genres.

    • Certains aiment bien inventer une réalité alternative quand ça sert leurs intérêts.
      Je plussoie, Le résultat est clair et était attendu : La suppression de l’ISF n’a aucun impact positif pour l’économie en général.
      Le seul résultat est d’augmenter la dette et éventuellement de conduire par la suite à des augmentations d’impôts

      • Cela c’est vous qui le décidez. Ce n’est pas ce que l’auteur démontre. Des milliers de français ont fuit à l’étranger, et les investissements en France sont anémiques, ce qui explique la catastrophe économique du pays!

      • Il n’y a pas de très bon impôt, comme vous avez le l’aplomb de le dire. Il y a des impôts strictement nécessaires, à une assiette la plus large et au taux le plus réduit.
        C’est un mal nécessaire et encore je suis pour les impôts volontaires.
        Quant à la notion de travail, cela fleure bon le marxisme et ses conséquences funestes.

      • pour que sa suppression ait un impact, il faut non seulement supprimer l’ISF sous toutes ses formes, mais les droits de succession, alléger considérablement le reste de la fiscalité, le droit du travail, l’ensemble des codes, bref démanteler l’état socialiste.

        Mais que ceux qui aiment payer des impôts, qui considèrent donc que l’Etat dépense mieux leur argent qu’eux-mêmes : qu’ils n’hésitent pas à payer, mais qu’ils laissent leurs concitoyens gérer eux-mêmes ce qui leur appartient.

        • à la limite, la succession n’est pas très grave dans une économie à la méritocratie que le travail. Je préférerais payer 80% sur l’héritage que mes parents me laisseront car je n’ai rien fait pour mériter cet argent si ça me permet de baisser ma fiscalité actuelle de 20 points

          • vous n’avez rien fait pour mériter cet argent, mais l’Etat encore moins : il a déjà ponctionné cet argent !!!

      • Proportionnellement si la Suisse avait 67 millions d’habitant, son état dépenserait 600 milliards d’euros de moins que l’état français.

        Aucun impôt au monde ne peut remplir le tonneau des danaïdes socialiste.

        • et inversement si tous les pays avaient la même fiscalité que la Suisse, plus grand n’investirait là bas étant un tout petit marché

    • ces impôts s’attaquent au capital. Or sans capital, pas de travail.

      ce sont donc des impôts parfaitement idiots et profondément injustes car ils s’attaquent au droit de propriété et donc à la liberté.

      Il faut donc supprimer cette IFI et supprimer les impôts de production.

    • C’était il y a longtemps, mais lors de mon premier voyage en Chine, nous avions calculé que nous y aurions, avec notre niveau de revenus, payé nettement moins d’impôt qu’en France malgré la différence de valeur de la monnaie. Je serais surpris que ça ne soit pas toujours le cas. Le patrimoine, c’est ce qu’on accumule avec les fruits de son travail. taxer le patrimoine revient à imposer de dépenser ce qu’on a gagné avec son travail avant qu’on ait le temps d’en profiter.
      Quand on investit, c’est comme quand on plante un arbre fruitier, l’impôt sur l’arbre et celui sur ses fruits sont décourageants l’un comme l’autre.

  • Redevable à l’ISF et maintenant à L’IFI qui prend en compte l’immobilier physique plus les SCPI, les SCI, etc. plus celles détenues dans des contrats d’assurance vie, je trouve cette réforme intelligente. Il était absurde de prendre en compte les valeurs mobilières dont les cours peuvent varier très fortement de plus elles sont liées à l’économie, les meubles meublants etc. La déclaration des biens immobiliers est plus précise que dans le passé et la déclaration plus facile à remplir. Le fisc dont la tâche est simplifiée peut contrôler facilement ceux qui devraient déclarer et ceux qui sous estiment la valeur de leur biens immobiliers non cotés.
    Néanmoins une erreur monumentale de MACRON changer ISF par IFI ce qui a pour conséquence le fait que nombreux sont ceux qui pensent que l’ISF a disparu alors que c’est seulement un changement d’assiette d’imposition.
    Une anomalie les biens immobiliers inférieurs à 1 300 000 € ne sont pas imposables. Mais un contribuable qui a des biens pour 1.350 000 € sera imposé de 800 000 à 1.300 000 € à 0.25 % et sur 50 000 € à 0.50 %.
    Pour revenir à ISF il serait logique d’imposer l’or physique en lingot et pièces d’or. Lequel n’a aucune influence sur l’activité économique.

    • imposer le capital n’est pas intelligent. La seule chose intelligente est de supprimer cet impôt, tout simplement, ainsi que les droits de succession.

      Par ailleurs, cet impôt permet à l’Etat de contrôler votre patrimoine ; c’est une atteinte à la liberté.

    • L’impôt est un paiement pour des services rendus par l’Etat. Le patrimoine, paraisse-t-il improductif, ne correspond à nul service rendu par l’Etat et n’a donc pas à être racketté.

    • La réforme Macron, c’est mieux que rien. Mais elle est totalement absurde.
      On a laissé dans l’impôt sur la fortune tous les biens immobiliers au prétexte qu’ils ne participaient pas à l’économie du pays, contrairement aux actions par exemple…
      Qu’un gouvernement puisse sortir que l’immobilier (donc le BTP) est un domaine improductif est une belle ânerie !

  • La suppression de l’ISF sera vraiment efficace si tous les éventuels contributeurs deviennent persuadés qu’il ne reviendra pas.
    Non seulement ça va être très difficile, mais en plus la conservation de l’IFI maintient clairement la porte entrouverte.
    Franchement, pourquoi se faire chier à revenir si c’est pour que ça recommence l’année prochaine.
    Inscrivez l’interdiction de tout impôt sur le capital dans la constitution, et on en reparle.

  • Tout ça est tellement absurde…

    • Même les.redevables de ces impôts s’en foutent

      • @ Avorton
        Pas du tout. Quelqu’un qui a un bien ne se fout jamais de rien. Il sait le travail que cela représente, depuis plusieurs générations parfois, pour le créer, le maintenir et le transmettre. Quelles que soient les circonstances, il persévère. Car il sait que c’est cette persévérance qui bâtit les civilisations dont celle qui lui a donné une humanité. Par gratitude pour ce qu’il a reçu.

        Pour avoir cette foi là, il faut avoir le sens de la transmission, et pas nécessairement rivée au biologique. Il faut voir loin, très au-delà de soi-même. D’où un certain détachement qui n’a rien à voir avec un « j’men foutisme » que vous évoquez.

        L’immoralité de l’IFI, c’est qu’il exprime le mépris pour ceux qui s’emploient à créer de la richesse durable. Le « j’men foutisme » est du côté d’un Macron qui a repris cette forme de racket.

        Il en va de même pour les droits de succession qui privent de la liberté de transmettre. D’autant plus quand l’héritier le mieux à même d’assumer cette charge n’a pas le lien biologique qui conditionnerait une fiscalité moins confiscatoire.

        Un bien transmissible, ce n’est pas de l’argent, c’est une valeur immatérielle, toujours. Son propriétaire se prive de le vendre pour le garder de son vivant et le transmettre comme tel. De même que l’humain n’est pas un tas de viande à dépecer, la propriété privée n’est pas un agglomérat de matériaux à imposer. Si l’homme, et son bien, tiennent debout, c’est parce qu’ils ont un sens qui leur donnent une valeur inestimable parfaitement subjective et, comme telle, non imposable.

        En d’autres termes, l’IR, comme l’ISF, comme l’IFI ont ceci de monstrueux qu’ils sont de l’ordre du sacrilège. L’homme est généreux par nature. Qu’on le laisse faire. Aucune imposition ne doit être extorquée par la contrainte. Soyez certain que chacun saura apporter volontairement sa part de contributions nécessaires. Et il y retrouvera une fierté oubliée et qui lui manque. Il y a des pays où les gens parviennent très bien à s’entendre pour partager les dépenses et les investissements communs. Il n’y a pas écrit « mépris », comme chez nous, en lettres de feu au fronton de leurs institutions.

  • L’ISF a toujours été l’impôt des millionnaires, mais pas des milliardaires. Autrement dit, l’impôt des petits riches.
    il paraît qu’on en riait beaucoup dans les couloirs de la rue de Solférino.
    D’ailleurs, c’est tellement vrai qu’en maintenant un IFI, on taxe uniquement ces mêmes petits riches.
    Le résulat est dramatique : Rentabilité quasi nul, mécontentement des classes moyennes supérieures et pour couronner le tout, le grand public retient la suppression de l’ISF en ignorant jusqu’à l’existence de l’IFI.
    Le bon impôt a toujours été celui que paie les autres.
    Mais je tiens à rassurer ceux qui regrettent l’ISF, il reviendra cela ne fait aucun doute, il suffira de suivre la campagne présidentielle qui s’annonce, on aura à nouveau droit à un Concours Lépine de la fiscalité.

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