Napoléon, le Janus français

Le monstre et le héros dessinent les deux visages antithétiques de l’empereur des Français.

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Napoléon credits Ahmad Alnusif via Flickr ((CC BY-NC-ND 2.0)

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Napoléon, le Janus français

Publié le 5 mai 2021
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Par Gérard-Michel Thermeau.

La comparaison entre Napoléon et Janus a été faite à plusieurs reprises. Janus était, en effet, ce dieu romain aux deux visages. Il est ainsi celui qui ouvre et celui qui clôt. Napoléon a été celui qui a inauguré la France contemporaine en permettant la clôture de la France ancienne. Le moment napoléonien a été d’une certaine façon tourné à la fois vers le passé et le futur.

Janus était aussi « semeur » et par là-même initiateur et créateur. S’il est cette divinité solaire que devinait Georges Dumézil, Janus offre un autre point commun avec Napoléon dont de malicieux ecclésiastiques ont fait un « mythe solaire ». À l’occasion de la paix de Presbourg, après Austerlitz, une médaille ne fut-elle pas frappée qui représentait à l’avers le profil de l’empereur et au revers le temple de Janus ? Et le monarque ne songeait-il pas à édifier un temple de Janus à Montmartre ?

J’ai fait en son temps le portrait du personnage, je n’y reviendrai pas. À l’occasion du 250e anniversaire de sa naissance, je m’étais penché sur quelques-unes de ses multiples incarnations à l’écran. Il est sans doute plus grand mort que vivant puisqu’au silence étourdissant ayant entouré le 250e anniversaire de sa naissance succède une timide commémoration de sa mort. En ces temps de cancel culture, où les plus idiots et les plus ignorants, dignes héritiers des petits gardes rouges de la Révolution culturelle, brandissent l’anathème, quels regards porter sur l’œuvre laissée par Napoléon ?

 

Janus ou l’homme aux deux noms

Napoléon a été l’homme aux deux noms. Il a été Bonaparte puis Napoléon. Au général républicain devenu dictateur à la romaine a succédé l’autocrate dont l’hybris devait provoquer la perte.

Quand on songe à tous ceux qui ont tant de mal à se faire un nom, l’exploit n’est pas mince. Mais d’une certaine façon, cette succession rend aussi compte de la dualité de l’héritage napoléonien. À un premier visage de Napoléon, qui ne se limite pas entièrement à Bonaparte, où les éléments positifs l’emportent sur les éléments négatifs, succède un second visage de Napoléon, où le passif devient très lourd.

Napoléon ne laisse personne indifférent : à l’idolâtrie poussée parfois très loin, que l’on songe au film délirant d’Abel Gance (Napoléon, 1927), s’oppose une haine qui ne recule devant aucun excès, que l’on songe à la démolition en règle entreprise par Henri Guillemin. Le monstre et le héros dessinent ainsi les deux visages antithétiques de l’empereur des Français.

Mais, qu’on le veuille ou non, il est le Français le plus connu dans le monde. Ce génie de la communication, à une époque où cela ne s’apprenait pas dans des écoles, a su créer une silhouette reconnaissable entre toutes. Son destin, qui est tout de même un des plus fabuleux de l’histoire, en a fait un personnage légendaire. Sa spectaculaire ascension et sa chute, auquel Sainte-Hélène apporte la touche tragique finale, ont élevé sa figure au rang d’un mythe.

 

Une conséquence inattendue de la Révolution

La fulgurante ascension de Napoléon s’inscrit dans un mouvement plus général.

En brisant très violemment l’ancien ordre des choses, la Révolution a ouvert la porte aux talents. Qu’un nobliau corse devienne le maître de la France puis de l’Europe était une conséquence inattendue mais logique de la Révolution. Il n’était pas le seul dont l’existence avait été bouleversée et dont les rêves les plus fous avaient été réalisés.

Joachim Murat, fils d’un aubergiste, commis épicier à la veille de la prise de la Bastille, devient roi de Naples. Jean-Baptiste Bernadotte, fils d’un avocat sans le sou, simple sous-officier au moment de la journée des tuiles de Grenoble, va fonder une dynastie qui règne toujours sur la Suède. Et même Louis Nicolas Davout (les cuistres écrivent d’Avout), le plus doué des généraux de l’Empereur, qui appartenait à la noblesse militaire, aurait-il pu donner toute la mesure de son talent au sein de l’armée royale ? On peut en douter et Napoléon lui-même prit ombrage de ce maréchal, pourtant dévoué mais trop doué, au point de ne pas l’utiliser toujours à bon escient. Ah, si Davout avait été présent à Leipzig ou à Waterloo soupirent les amateurs d’histoire parallèle.

En créant une noblesse d’Empire, mais dépourvue de tous privilèges légaux, Napoléon usait du prestige des vieux titres pour récompenser les nouveaux talents. Les titres d’ailleurs étaient fantaisistes : ils n’impliquaient nulle domination territoriale mais reflétaient les victoires européennes de l’armée française. Pour ceux qui ne brillaient pas sur les champs de bataille, les baronnies ou les légions d’honneur, distribuées parcimonieusement, flattaient la vanité des Français dont l’adoration de l’égalité n’avait d’égal que le goût pour les hochets décoratifs de la « distinction ».

 

Janus : réconcilier l’Ancien Régime et la Révolution

En prenant le pouvoir le 18 Brumaire, la mémoire collective ayant préféré cette date au très confus et lamentable 19 brumaire, Napoléon mettait fin à la guerre civile qui ravageait le pays depuis 1791. Le Grand Consulat, pour reprendre le titre de l’ouvrage de Thierry Lentz, le meilleur spécialiste du Napoléon « civil », marque l’époque heureuse de son aventure. L’éclatante victoire de Marengo (14 juin 1800) parait inaugurer une ère de paix. Même les Anglais finissent par signer la Paix d’Amiens (1802). La France n’a jamais été aussi vaste, englobant la Belgique, la Savoie et le Milanais. Avec le Concordat, le pape Pie VII doit passer sous les fourches caudines françaises. C’est un Canossa inversé. Pour un siècle, l’Église de France était soumise, comme elle ne l’avait jamais été, au pouvoir de l’État. Mais elle y gagnait une sécurité matérielle qui allait assurer le recrutement de son clergé.

Napoléon s’est efforcé de réconcilier l’Ancien Régime et la Révolution. Les deux plus fameux ministres de Napoléon, Talleyrand et Fouché, incarnent le double visage du régime. L’ancien évêque d’Autun et l’ancien jacobin régicide sont les deux faces du personnel napoléonien. Janus, encore et toujours. Les nouvelles élites révolutionnaires devaient côtoyer l’ancienne noblesse revenue d’émigration ou sortie de son exil intérieur au service du nouveau régime.

 

La légende napoléonienne

La curieuse monarchie personnelle qu’il met en place marque l’impossibilité de rétablir l’Ancien Régime. Les masses paysannes ne voulaient le retour ni des seigneurs ni des droits féodaux. Il n’était nullement besoin de les endoctriner. Bien peu fréquentaient les bancs de l’école avant le règne de Louis-Philippe, pour leur faire détester le régime qui s’était évanoui en 1789. La Révolution leur avait donné la possibilité d’être seuls maîtres chez eux. Mais aussi le droit de chasse. Ils ne devaient pas l’oublier.

Mais ils ne confondaient pas 1789 et 1793, ni la Révolution avec la République. Ce dernier régime aurait du mal à s’imposer dans le pays : 80 années seraient nécessaires. En revanche, la légende napoléonienne devait prendre son envol dans les années suivant la mort de Napoléon. Entretenue par l’image et la chanson, qui touchaient l’âme populaire en ces temps d’analphabétisme, l’épopée napoléonienne brillait de mille feux sous la Restauration. Par la suite, Louis-Philippe devait conforter cette image idéalisée en obtenant de l’Angleterre le « retour des cendres » (1840). L’Empereur trouvait un tombeau à sa démesure aux Invalides.

Un peu comme les Russes ont la nostalgie, non de la grisaille du socialisme réel, mais de la puissance soviétique au temps de la Guerre froide, les paysans français furent sensibles au souvenir de la gloire impériale. Et cette gloire s’était accomplie sous les trois couleurs et dans le respect des grands principes de la Révolution. Certes, la trinité « liberté, égalité, fraternité » sonnait comme une chimère. En revanche, la liberté du culte rétablie, l’égalité en droits réalisé par le Code civil, la propriété des biens du clergé longtemps convoités assurée, voilà qui parlait très concrètement aux paysans.

 

La guerre inséparable du régime

Ceux qui chantaient les mérites napoléoniens parlaient de gloire et oubliaient les horreurs de la guerre, inséparables du régime impérial.

La reprise de la guerre en 1805, soutiennent les thuriféraires de l’Empereur, est due aux manœuvres anglaises. Ils n’ont pas tort d’ailleurs. Napoléon se défend dans les campagnes qui vont mener la Grande armée à entrer dans Vienne comme à défiler à Berlin. De 1805 à 1807 se succèdent les dernières victoires éclatantes de Napoléon, d’Austerlitz à la double bataille d’Iéna-Auerstaedt. Il réussit à vaincre les trois grandes puissances militaires du continent : l’Autriche, la Prusse et la Russie. Le traité de Tilsit aurait peut-être pu établir une entente franco-russe, un partage d’influence aux dépens de l’Angleterre. Peut-être…

En instaurant un blocus pour empêcher les produits anglais d’entrer en Europe Napoléon rendait caduque cette perspective. En effet, le blocus continental n’asphyxiait pas seulement l’économie britannique mais tout aussi bien l’économie continentale. Les Russes, notamment, étaient tributaires des produits anglais.

 

Une suite de décisions catastrophiques

À partir de 1808, il devient très difficile de justifier la politique impériale. La déposition des ineptes Bourbons espagnols, alors même que l’Espagne était un État totalement soumis aux Français, marque le début des erreurs à répétition. L’Espagne devait être le Vietnam de l’Empire. La péninsule ibérique s’embrase avant que les Anglais, sous l’habile commandement de Wellington, ne parviennent à en chasser les Français.

L’invasion de la Russie en 1812 est tout aussi absurde. Tolstoï dans Guerre et Paix a peint un portrait impitoyable de Napoléon. Bien avant une mode récente, il déboulonnait la statue du grand homme par des pages qui témoignent par ailleurs d’une approche de l’histoire très novatrice.

Aveuglé par la volonté de puissance, Napoléon provoque, par des décisions irréfléchies, la destruction de sa propre puissance militaire. Pour finir, il abandonne à son destin les débris de la Grande armée pour rentrer à Paris. En 1813, il sacrifie de très jeunes soldats, les Marie-Louise, pour faire face à l’Europe dressée contre lui. Pour éviter la conscription, dans toute la France, on se marie en hâte.

À Leipzig (16-19 octobre 1813), pour la première fois, il est nettement et clairement battu sur le champ de bataille. Curieusement cette « bataille des Nations » reste largement oubliée de la mémoire collective. Les Anglais trop soucieux de glorifier Waterloo, tout comme les partisans de Napoléon tout aussi soucieux de démontrer que Napoléon aurait pu gagner à Waterloo, ont conjointement contribué à cet effacement. En réalité, tout est terminé en 1813.
Mais Napoléon se refuse à l’accepter.

 

De la défaite au désastre

Après une très brillante campagne de France (1814), où il paraît retrouver l’éclat de ses débuts, Napoléon se trouve acculé par des ennemis décidément trop nombreux. Et pourtant, ses vainqueurs se montrent bienveillants à son égard. Ils lui attribuent une prison dorée, l’île d’Elbe, où il peut jouer les monarques d’opérette. Surtout, la France s’en tire à très bon compte, conservant des frontières plus étendues qu’avant la Révolution. Le génie diplomatique de Talleyrand y est aussi pour quelque chose. Ajoutons le souci des Anglais de ne pas trop affaiblir une France qui n’est désormais plus une menace.

Mais Napoléon va commettre l’irréparable. Les Cent Jours (mars-juin 1815) seront l’ultime et catastrophique chapitre du premier Empire. Janus encore et toujours. Comment ne pas être partagé entre l’exaspération et l’admiration en voyant cet homme seul, accompagné d’une poignée de soldats, reprendre le pouvoir. Il lui suffit de paraître et les autorités constituées s’évaporent. Les soldats refusent de tirer sur leur Empereur. La nature militaire du régime n’aura jamais été si visible.

Le Vol de l’Aigle, pour légendaire qu’il soit, sera cependant un désastre pour la France. L’enthousiasme populaire est d’ailleurs des plus limités. Plus personne ne croit dans la survie du régime. Les ralliements seront peu nombreux et tièdes. « C’en est fait de la liberté, si Bonaparte triomphe » note Mme de Staël.

Même si Napoléon avait pu vaincre Wellington à Waterloo (18 juin 1815), il n’aurait fait que reculer une échéance inéluctable. Le second Congrès de Vienne sera beaucoup moins indulgent à l’égard de la Grande Nation.

 

Janus ou Robespierre à cheval ?

Pour un libéral, Napoléon est à première vue davantage un repoussoir qu’un modèle.

Mme de Staël l’a vu comme un « Robespierre à cheval ». Benjamin Constant évoquait « servitude et silence » en 1800. Mais il devait se rallier en 1815 et rédiger un Acte additionnel aux constitutions de l’Empire. Il s’imaginait naïvement que Napoléon pouvait se transformer en monarque constitutionnel.

Corvisart, médecin de l’Empereur, disait de Labedoyère qui partageait cette illusion :

« Regardez cet imbécile qui croit qu’on peut agir contre son organisme ! »

Indifférent aux libertés individuelles, soucieux que l’État soit le plus puissant possible, l’Empereur des Français a laissé un héritage redoutable. Il n’est guère étonnant que la France soit devenue le pays le plus antilibéral d’Europe.

La question de l’esclavage occupe le devant de la scène dans les débats actuels. On rappelle que la Convention avait aboli l’esclavage. On le sait, les conventionnels débordaient de bons sentiments. Ils avaient concocté une magnifique Constitution, qui était un chef-d’œuvre démocratique nous assure-t-on. Mais ils l’avaient soigneusement rangée pour la sortir dès la paix établie et la Révolution consolidée. On devait attendre longtemps. Robespierre, autre Janus, était un adversaire sincère de la peine de mort, sauf pour éliminer les ennemis de la Révolution. De même, les conventionnels abolissaient l’esclavage sur des territoires qui échappaient à leur contrôle dans le même temps où ils massacraient impitoyablement Vendéens et Fédéralistes qui étaient à leur portée.

Il est toujours plus aisé de s’attendrir à distance.

 

Un mépris pour le droit des gens

Napoléon a rétabli l’esclavage en reprenant le contrôle des colonies antillaises. En réalité, ce Janus n’était ni pour ni contre, bien au contraire. Seul l’intérêt économique des îles à sucre l’intéressait. Il aurait tout aussi bien conforté l’abolition. De toute façon, l’abolition révolutionnaire n’avait été qu’un écran de fumée. L’esclavage restait la norme de son temps même si le sentiment abolitionniste était en pleine ascension.

On peut s’en indigner ou le regretter mais il faudra attendre 1848 pour voir véritablement disparaître l’esclavage sur les territoires où flottait le drapeau français. L’esclavage cependant était en sursis. Une des décisions les plus méconnues du Congrès de Vienne devait être d’interdire la traite atlantique.

De toute façon, blanc ou noir, Napoléon faisait peu de cas du « droit des individus ». L’enlèvement en territoire étranger du duc d’Enghien et son exécution dans les fossés de Vincennes (21 mars 1804) à l’issue d’une parodie de procès n’était pas seulement un « crime » doublé d’une « faute ». En faisant sciemment couler le sang d’un Bourbon, Napoléon voulait s’assurer du soutien des anciens jacobins. Ceux-ci ne tarderont pas à lui offrir la couronne impériale.
In fine, l’empereur devait en être victime une fois aux mains des Anglais. Ceux-ci allaient le payer de sa propre monnaie. La captivité de Sainte-Hélène était l’expiation du mépris qu’avait témoigné Napoléon à l’égard des droits des individus.

 

Un régime autoritaire

Ce mépris s’était marqué par les internements arbitraires. Après avoir connu les lettres de cachet de l’Ancien Régime, le marquis de Sade retrouvera la prison sans plus de procès : Charenton succédait à Vincennes. Le caractère peu recommandable du personnage n’excuse pas pour autant le procédé. Une simple décision du chef de l’État ou d’un préfet permet ainsi de faire arrêter un « suspect ». Même si la répression est limitée, elle est bien réelle.

Les opinions sont très étroitement surveillées. Un bureau spécial des postes, le Cabinet noir, est chargé de contrôler les correspondances privées. La direction générale de l’imprimerie et de la librairie exerce une censure préalable. Napoléon considère d’ailleurs qu’un seul journal par département est bien suffisant.

Le régime crée aussi l’Université, ce nom désignant ce qu’on appelle aujourd’hui l’éducation nationale. À la différence de l’Ancien régime, tous les établissements scolaires relèvent désormais de l’État. Il est vrai qu’à l’époque cela concerne des lycées peu nombreux et des collèges municipaux dans les autres villes. Pour l’enseignement primaire, ce sont souvent, faute de mieux, des ordres religieux qui s’en chargent mais sous le contrôle de l’Université. Il faudra attendra la Deuxième république pour qu’un enseignement secondaire privé soit autorisé (1850).

 

Un despote éclairé

Enfant des Lumières, Napoléon a été le dernier despote éclairé.

Émule de Frédéric II, Joseph II et Catherine II, il a voulu faire le bonheur des Européens malgré eux. Mais cette Europe devait être une Europe française. Notre Janus était tiraillé entre deux directions incompatibles. L’intervention en Espagne en 1808 se pare des meilleures intentions du monde. D’une certaine façon, une partie de la tragédie espagnole qui s’achèvera plus d’un siècle plus tard dans les tourments de la guerre civile et la dictature franquiste, trouve ses origines dans cette intervention « philosophique ».

En se promenant d’un bout à l’autre de l’Europe les armées impériales sèment par ailleurs les germes du nationalisme. Les Espagnols se sentent d’autant plus Espagnols et les Allemands se découvrent Allemands en luttant contre les Français.

S’il ne comprend pas les sentiments des peuples qu’il domine, Napoléon ne comprend pas davantage le système représentatif. « Elle a fait bien du mal à la France, cette assemblée » disait-il de la Constituante. Il n’aime donc pas les assemblées. La Constitution de l’an VIII en prévoyait pourtant quatre : un Conseil d’État qui prépare les lois, un Tribunat qui les discute, un corps législatif qui les vote et le Sénat veillant sur la Constitution. Mais ces pseudo-assemblées ne sont point élues mais toutes nommées, trois par le consul, la dernière par le Sénat.

 

Dieu créa Bonaparte et se reposa

La dictature jacobine était parait-il l’œuvre des circonstances, ces circonstances si chères aux historiens néo-jacobins d’hier et d’aujourd’hui. La dictature napoléonienne se veut tout autant de « salut public ». Napoléon est un dictateur à la Jules César. Consuls, sénateurs, tribuns et préfets, le vocabulaire du régime est emprunté aux Anciens Romains. Mais l’art de gouvernement de Napoléon consiste surtout à monologuer. Il ne tolère que l’adulation. Et celle-ci ne manque pas. Songeons au préfet Lachaise dont le discours s’achevait par ces mots fameux : « Dieu créa Bonaparte et se reposa ! »

Nous retrouvons Janus. Le régime napoléonien a été « en même temps » un « régime d’expédient » et le fondateur d’une organisation administrative qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours. La centralisation entamée par la monarchie française va être définitivement mise en place par Napoléon. Avec leurs uniformes, nos préfets sont les derniers héritiers de la militarisation de la société française sous l’Empire. Ils sont aussi les héritiers des intendants de la monarchie absolue. Napoléon a donné une assise solide à la centralisation du pouvoir étatique en France. Ses successeurs se garderont bien d’y toucher.

 

Le pouvoir d ‘un seul : Jupiter ou Janus ?

Le Consulat, comme l’Empire, était le pouvoir d’un seul. Et d’un seul qui se mêlait de tout, se perdant trop souvent dans des détails d’intendance. Jupiter se prenait pour Janus.

L’attentat de la rue Saint-Nicaise (24 décembre 1800), le premier attentat terroriste moderne, et ce sont des royalistes qui le commettent, visaient à renverser le régime en tuant son chef.

L’incroyable conspiration du général Malet en 1812, qui, avec deux complices, manque de peu de renverser l’Empire révèle la fragilité de l’édifice. Ce pouvoir d’un seul était tributaire non seulement de la vie de son chef mais aussi des victoires militaires. Il ne pouvait survivre à la défaite.

En cela, le gaullisme montrera une plus grande efficacité : ce bonapartisme moderne se passait du volet militaire. En rabaissant les assemblées au rôle de chambres d’enregistrement et en instaurant le pouvoir d’un seul, oint du suffrage universel, la Constitution de 1958-1962 s’inscrivait dans l’héritage de l’an VIII.

Mais ce type de régime ne vaut que ce que valent ses chefs. La récente crise sanitaire a mis le roi à nu. Textes, droits, garanties, tout cela s’est évanoui. Au nom du « salut public », le pouvoir suprême d’Un Seul s’est révélé à la tête de l’État. De même, les « empereurs au petit pied », que sont restés les préfets en dépit de la fameuse décentralisation, ont repris les rênes du pouvoir dans les collectivités locales. Et au fond, tout cela sans réaction particulière de l’opinion publique. La France de 2021 s’inscrit bien dans l’héritage napoléonien : « administrer est le fait d’un seul ».

Alors, vraiment, pourquoi conspuer Napoléon ?

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  • Merci pour cet article au contenu tout à fait équilibré qui montre la complexité du personnage, ainsi que ses conséquences historiques et contemporaines.

  • De Janus, on a un superbe exemple au pouvoir, avec son « en même temps ».

  • « Il n’était nullement besoin de les endoctriner. Bien peu fréquentaient les bancs de l’école avant le règne de Louis-Philippe, pour leur faire détester le régime qui s’était évanoui en 1789. »

    Il y a une erreur. Il faudrait marquer :

    « Il n’était nullement besoin de les endoctriner – bien peu fréquentaient les bancs de l’école avant le règne de Louis-Philippe – pour leur faire détester le régime qui s’était évanoui en 1789. »

  • Il suffit de mettre en regard l’œuvre de quinze ans du Napoléon « civil » et les œuvres sur une période égale de Sarkozy + Hollande + Macron pour justifier sa place sans égale dans l’histoire de France. Qui parlera seulement de commémorer les deux cents ans de la mort des trois autres

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