Apple protège-t-il vraiment votre vie privée comme il le dit ?

Décryptage de la mise en application de l’App Tracking Transparency dans iOs 14.5, au nom de la vie privée.

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Apple protège-t-il vraiment votre vie privée comme il le dit ?

Publié le 3 mai 2021
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Par Alexis Vintray.

Dans le monde impitoyable des GAFAM, Apple aime se présenter comme le chevalier blanc de la protection de la vie privée. Cette présentation est-elle justifiée ? Apple protège-t-il vraiment votre vie privée ?

Deuxième partie d’une série commencée avec l’analyse de la décision de Google d’arrêter les cookies tiers, pour votre bien, et qui continue aujourd’hui avec les annonces récentes d’Apple sur App Tracking Transparency.

App Tracking Transparency, kesako ?

Depuis ce lundi, les iPhone ayant fait la mise à jour vers iOs 14.5 demandent à leurs propriétaires d’autoriser (ou non) le tracking publicitaire de leurs actions. Voici par exemple ce que vous avez pu recevoir sur votre écran :

Exemple de pop-up qui apparaîtra désormais sur votre iPhone avec App Tracking TransparencyUne nouvelle fonctionnalité qui est surtout une obligation, pour toute application faisant de la publicité ciblée en fonction de l’internaute, d’obtenir cet accord pour continuer à faire de la publicité ciblée. Tout cela n’est pas nouveau, annoncé par Apple depuis 2020, mais la mise en œuvre vient de commencer.

Dans le monde impitoyable des GAFAM, l’annonce avait suscité l’ire de Facebook (chantre de la publicité ultra ciblée). Le réseau social a du avertir sur l’impact probable sur ses résultats. Beaucoup craignent en effet que la majorité des internautes répondent « non » à cette demande, privant Facebook d’une bonne partie de la manne publicitaire.

Même si Apple ne représente qu’une part limitée et décroissante du trafic internet, ses utilisateurs sont généralement plus fortunés. Les annonceurs paient en moyenne plusieurs dizaines de pourcent de plus le trafic sur iPhone que sur Android. L’impact pourrait dès lors être sensible et Facebook s’est répandu en tribunes et campagnes de publicité pour dénoncer les « pratiques déloyales » d’Apple.

Les premiers impacts sont très significatifs : dans un post sur le réseau social LinkedIn, Tim Koschella, CEO d’une solution publicitaire mobile, notait un taux de 80-85% de refus sur le trafic Apple de ses clients.

App Tracking Transparency va chambouler le écosystème applicatif iOs

Mais l’impact risque bien de ne pas concerner seulement Facebook. Aujourd’hui la grande majorité des applications fonctionne sur un modèle de gratuité, permis par des revenus provenant de la publicité ciblée. Un modèle où les utilisateurs paient en data plutôt qu’en paiements sonnants et trébuchants.

Outre le réseau social, très vocal contre Apple, ce sont les petits acteurs qui ont tout à perdre à ne plus pouvoir proposer de publicité personnalisée dans leurs applications. Surtout qu’aucun ne dispose des moyens financiers de Facebook pour développer des solutions alternatives de monétisation publicitaire.

Vie privée : les ambiguïtés d’Apple au-delà des beaux discours

Comme l’a si bien dit Adam Smith en son temps, « Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais plutôt du soin qu’ils apportent à la recherche de leur propre intérêt. Nous ne nous en remettons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme. »

Rien de plus vrai avec Apple, dont le discours officiel de protection de la vie privée doit beaucoup au fait que la société de Cupertino vend du matériel, et non de la publicité ciblée.

Tout cela n’a rien de condamnable, bien au contraire, même dans un journal comme Contrepoints. Mais les pratiques récentes de la firme à la pomme soulèvent énormément de questions sur la réalité de son engagement au profit de la protection de la vie privée.

Le très sérieux Wall Street Journal a ainsi dévoilé qu’Apple en avait profité pour restreindre les statistiques disponibles aux annonceurs… sauf pour la publicité achetée directement chez Apple :

Les changements de confidentialité d’Apple vont booster ses revenus publicitaires : selon les nouvelles règles du fabricant d’iPhone, les annonceurs obtiendront plus de données sur les performances des annonces achetées via Apple que par des tiers.

Une manière pas franchement discrète d’orienter les revenus publicitaires vers soi pourrait-on conclure…

En outre, Apple a par contre activé par défaut la publicité personnalisée… pour ses services. Sans autorisation formelle des internautes donc, contrairement à ce que la société demande aux développeurs d’applications. Ou à ce que le RGPD impose.

Faites ce que je dis, pas ce que je fais ? C’est en tout cas ce que soutient le président de l’IAB France, qui représente les principaux acteurs de la publicité en ligne en France :

Apple viole de façon flagrante la réglementation européenne en activant par défaut, et donc sans le consentement éclairé des utilisateurs, les publicités personnalisées pour ses services. Cela a d’ailleurs donné lieu récemment au dépôt d’une plainte à la CNIL.

On peut aussi franchement regretter d’un point de vue libéral qu’Apple ne semble pas laisser la possibilité aux propriétaires d’applications de refuser de fournir leurs services à quelqu’un refusant la publicité ciblée. De même qu’il n’y a pas de droit à un iPhone gratuit, il n’y a pas plus de droit à avoir gratuitement et sans contreparties publicitaires une application gratuite.

C’est l’avenir de la publicité en ligne qui se joue

Au delà des contradictions d’un Apple sur la protection de la vie privée, c’est aussi le devenir de la publicité en ligne qui se joue à travers cette annonce technique majeure qu’est l’App Tracking Transparency ; pas son existence, pour une industrie habituée aux changements fréquents, mais plutôt une évolution de la façon dont elle fonctionne.

Les acteurs qui sortiront leur épingle du jeu seront probablement ceux à même de passer d’un ciblage publicitaire direct de l’internaute à un ciblage sémantique efficace et respectueux de la vie privée des internautes : « je vois un match de foot donc on me propose de la publicité pour de la bière ».

Si l’efficacité de ces solutions est assez bonne (c’est tout bonnement le fonctionnement de la publicité TV !), il est probablement inférieur à celui de la publicité ciblée. Pour préserver les revenus publicitaires dans un univers d’efficacité probablement moindre, il y a tout lieu de penser que la pression publicitaire va augmenter en quantité au fur et à mesure qu’elle diminue en efficacité.

Une bonne nouvelle ? On peut en douter…

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  • La cause ultime est qu’on a trop attendu pour mettre ce problème sur la table : c’est tout un modèle économique qui est menacé dès lors qu’on dit au public ce qui se pratique.

    Dans le monde de la « cancel culture », du modèle économique « Piketty » ou de l’écologie turbo-active, il n’y a plus de vue d’ensemble réaliste des problèmes.

    Je le redis : ce n’est pas le ciblage publicitaire qui est un problème mais l’abus et l’impunité des collecteurs de données. Cet abus n’a pas à être décrit de façon formelle mais simplement à être précisé légalement. Google ou FB peuvent savoir mon nom, mon adresse, ce que je fais et qui je fréquente, mais s’il laissent « fuiter » ce genre d’information quelqu’un doit aller en prison.

    • La question n’est pas de savoir s’ils laissent fuiter ces informations. La question c’est quand ! La plupart des fuites de données de FaceBook proviennent de négligences graves.

      Je laisse le lecteur prendre connaissance du récit (heureusement fictionnel) détaillant comment un ingénieur suffisament haut placé chez Google pourrait avoir la capacité de s’attribuer au fil du temps des droits lui permettant de mettre en production des choses malicieuses sur un composant critique comme celui d’authentification à son compte.
      voir: Tom Scott dans une vidéo YouTube intitulée « Single Point of Failure: The (Fictional) Day Google Forgot To Check Passwords ».

      A titre personnel, je considère que chacun devrait pouvoir être maître de ses données et la centralisation de ces dernières est contraire à l’essence même de ce qui a permis à l’informatique personnelle et à Internet de prospérer. Actuellement, nous somme dans une phase décrite par Benjamin Bayard comme étant celle du « Minitel 2.0 », avec une poignée d’acteur (Amazon, FaceBook, Google, Microsoft) détenant les clés de l’accès à 90% du contenu et des données produites. Il y a également fort à parier que cette ère de centralisation ne durera pas et que d’ici un maximum de 10 ans, l’intégralité de l’hébergement web sera décentralisé…un peu comme ce qui s’est passé dans les années 80 dans deux pays voisins séparés par une manche (anglaise)…

      Dans les années 80, pendant que la France développait le Minitel sur un modèle jacobin, les anglais lançaient via la BBC le « Computer Litteracy Program » pour lequel ils avaient lancé un appel d’offre auprès de diverses société d’éléctronique du pays (Sinclair, Amstrad, Acorn, et quelques autres) un programme télévisé accompagné d’une machine facile à prendre en main afin de permettre aux petits anglais de se faire la main sur l’ordinateur personnel. Résultat des courses: une explosion du nombre de jeux vidéos développés par des jeunes passionnés dans leur garage, une culture intégrant totalement la technologie au business existant, de nombreuses vocations d’ingénieurs…et accessoirement, Acorn, devenu Acorn Risc Machine, puis Advanced Risc Machine dessine les puces présentes dans tous nos smartphones…

      • « Il y a également fort à parier que cette ère de centralisation ne durera pas »

        Aujourd’hui, ce n’est plus seulement les données qui sont « centralisées ». Les applications le sont avec car les entreprises ou les particuliers n’ont pas la compétence pour faire autrement. Un centre OVH flambe et des milliers d’entreprises perdent leur système d’information.

        Pour moi, les progrès de la « technique » depuis 50 ans sont : Internet, linux, le WEB, arm. A chaque fois, cela démarre de façon anecdotique, ça faire rigoler les cadors du secteur, et ça finit par tout avaler. Il faut au départ une idée de génie – c’est pourquoi elle passe inaperçue.

        – Internet, c’est la décentralisation
        – Linux c’est la collaboration (également décentralisée)
        – Le WEB c’est la fusion des données et de la procédure appliquée aux télécommunications
        – ARM, c’est la séparation entre la conception et la production

        Il reste à trouver un génie pour mettre la gestion et la maintenance de l’informatique à la portée de tout le monde, afin que chacun puisse utiliser les applications dont il a réellement besoin et de façon indépendante, et pas seulement celles qui sont mises en avant par les géants du secteur et contraintes par leur écosystème. Un assistant vocal, des réseaux de neurones, des robots ont des possibilités d’application infinies. Leur centralisation est un non sens. Ca bouge dans tous les sens dans ce domaine, mais je pense qu’il manque une (ou plusieurs) idée géniale pour que ça se répande et casse le centralisme.

        • Je parle de solutions émergentes du style « edge everything » ou IPFS 😉

          • Je ne connais pas.

            J’ai cherché sur notre ami G.
            – IPFS me semble une évidence (mais Linux aurait pu être une évidence avec GNU et ne s’est développé qu’avec Torwalds).
            – edge everything pointe sur un roman ?

            • Notez que le modèle « bazar » à quand même ses défauts, et c’est justement ce que j’essayais de pointer plus haut.

  • Y-a-t-il un seul benêt sur terre pour croire ce qu’une Gafa raconte ???

  • Les commentaires sont fermés.

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