Délégation de service public : le joker de l’État-stratège

Une certaine forme de délégation de service public permet à l’État de réaliser ou de moderniser les grandes infrastructures sur lesquelles reposent les services publics, tout en préservant les finances publiques.

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Délégation de service public : le joker de l’État-stratège

Publié le 1 mai 2021
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Par Arthur Lemercier.

Les délégations de services publics permettent à l’État et aux collectivités de confier, pour une durée limitée, l’exploitation d’un service public à une entreprise privée. Une solution qui permet également de transférer les investissements et les risques.

L’expression service public désigne d’abord une mission d’intérêt général, mais elle renvoie également à un mode d’organisation. L’État et les collectivités territoriales ont en effet le choix entre plusieurs modes de gestion pour mener à bien leurs missions et exploiter les services publics : ils peuvent décider soit de gérer directement le service (en régie), soit d’en confier la gestion à un tiers par le biais d’une délégation de service public.

Mais même lorsque la collectivité délègue l’exploitation d’un service public à une société privée, les trois grands principes du régime juridique du service public demeurent :

  1. La continuité (nécessité de répondre aux besoins d’intérêt général sans interruption)
  2. L’égalité (droit d’accès, traitement et tarif)
  3. L’adaptabilité (face aux évolutions de la société)

 

L’État, ou la collectivité territoriale, conserve également la maîtrise du service public. Elle garde en effet la faculté d’infléchir, dans l’intérêt du service public délégué, les orientations prises par l’entreprise délégataire, laquelle est également tenue de rendre compte de sa gestion sur les plans technique et financier.

La collectivité publique dispose aussi des moyens juridiques pour assurer, quoi qu’il arrive, le fonctionnement du service public ou modifier son organisation : pouvoir d’infliger des sanctions à l’entreprise, de modifier unilatéralement le contrat ou même de le résilier pour des motifs tenant à l’organisation du service ou liés à l’intérêt général. Le cadre légal de la délégation de service public est donc bien défini et offre de nombreuses garanties aux pouvoirs publics.

 

La concession : la forme de délégation de service public la plus utilisée

 Selon la loi et le droit français, la délégation de service public est ainsi

Un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée au résultat de l’exploitation du service.

La délégation de service public se distingue ainsi du marché public par le mode de rémunération : pour le marché public, le paiement est intégral, immédiat et effectué par l’acheteur public, alors que pour la délégation de service public, la rémunération est tirée de l’exploitation du service.

L’entreprise chargée de l’exécution du service l’assure avec son propre personnel, selon les méthodes de la gestion privée, et à ses risques et périls. La collectivité lui octroie en contrepartie un monopole d’exploitation du service. Le risque financier lié à l’exploitation ne pèse plus sur la collectivité, mais sur l’entreprise, qui se rémunère par le prix payé par les usagers du service.

Il existe trois formes de délégation de services publics :

  1. La concession
  2. L’affermage
  3. La régie intéressée

 

La concession est le mode de gestion le plus utilisé par les collectivités, notamment pour la distribution d’électricité et de gaz, la gestion de l’eau potable et de l’assainissement, la collecte et le traitement des déchets, mais également pour l’exploitation de réseaux de communications électroniques, les parcs de stationnement, les pompes funèbres ou les abattoirs. De son côté, l’État a retenu le modèle de la concession pour les centrales hydroélectriques, la grande majorité des autoroutes, certains aéroports et quelques infrastructures ferroviaires.

Les contrats de concession permettent à une collectivité publique, dite autorité concédante, de confier l’exploitation de travaux ou la gestion d’un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, les concessionnaires, en leur transférant à la fois le droit d’exploiter l’ouvrage ou le service, et le risque lié à cette exploitation.

Dans le cadre d’un contrat de concession, la rémunération du concessionnaire est obligatoirement liée aux résultats de l’exploitation. Selon la loi, la part de risque transférée au concessionnaire doit même impliquer une réelle exposition aux aléas du marché et une perte potentielle significative supportée par le concessionnaire.

 

Transfert des investissements et services performants

La concession se distingue ainsi des autres modes de délégation de service public par un transfert de risques maximal, une rémunération liée au résultat d’exploitation et un contrat de longue durée. Et si ce modèle est souvent privilégié, c’est qu’il cumule de nombreux avantages pour les collectivités publiques lesquelles, grâce à cette solution, sont dégagées de toute charge d’investissement et de tout risque financier lié à l’exploitation. Tout en conservant la propriété des infrastructures, qui doivent lui être restituées en bon état, et sans contrepartie financière à l’issue du contrat.

Ce type de contrat tend en particulier à s’imposer dans les industries de réseau – énergie, eau, transports, télécommunications – où les investissements sont lourds et le niveau de technicité élevé. Pour ne pas creuser la dette publique, l’État et les collectivités font appel à la concession pour déléguer à des opérateurs spécialisés le financement, la construction, l’entretien et l’exploitation de grandes infrastructures. Ils profitent également de l’expertise de ces industriels, ainsi que des gains d’efficacité et de qualité de service qu’ils peuvent apporter.

C’est ce modèle de concession qui a, par exemple, été retenu pour les autoroutes : il permet à l’État de transférer l’ensemble des risques liés à la construction, à l’exploitation et au trafic de ces infrastructures de transport, tout en gardant la maîtrise des politiques publiques, en s’assurant des revenus fiscaux réguliers (plus de 40 % du prix du ticket de péage en taxes et impôts divers), et en récupérant le réseau en bon état en fin de contrat.

C’est ce système qui a permis de développer en France un réseau autoroutier de premier plan sans grever les finances publiques. Au contraire, l’État a réalisé une excellente opération, en 2006, lorsqu’il a concédé des milliers de kilomètres d’autoroutes, car la dette de 30 milliards d’euros a été reprise par les entreprises privées, qui ont également déboursé 22,5 milliards d’euros au profit de ce même État.

La concession permet de stimuler la concurrence, les compétences, et contribue au développement d’un tissu d’entreprises nationales et locales, créatrices d’emplois. La gestion privée favorise également la rationalité économique des investissements, le concessionnaire ayant intérêt à développer des projets susceptibles de lui offrir un retour sur investissement satisfaisant au regard des capitaux qu’il investit. Les délais de réalisation des travaux et de mise en service sont également plus courts quand la société chargée de la construction est aussi rémunérée par l’exploitation.

Cette forme de délégation de service public, dont la singularité est liée aux engagements contractuels de long terme entre les parties (40 à 90 ans pour les autoroutes, par exemple) et à l’encadrement juridique et financier du contrat, permet à l’État et aux collectivités de réaliser ou de moderniser les grandes infrastructures sur lesquelles reposent les services publics, tout en préservant les finances publiques.

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  • La concession est également très mal vue des politiciens : suspicion de corruption à l’attribution, suspicion de profits indus, mise en évidence de l’incapacité de l’état à négocier des contrats, indemnités de rupture quand le vent politique change, tout cela n’existe pas quand on laisse faire l’administration ; seul un commentaire désabusé, et sans conséquence, du Conseil d’Etat pouvant éventuellement souligner une hénaurme gabegie sans pointer quiconque du doigt.

    Alors, pourquoi vouloir être efficace ?

    • plutôt de la cour des comptes…
      et puis cela fait mes mandats de conseil d’administration en moins…

  • La concession pour les autoroutes s’est fait au temps où l’état surveillait son déficit et traquait les solutions permettant d’emprunter sans que cela n’apparaisse au bilan : le prix de la concession était un énorme pas-de-porte qui soulageait le budget de l’état, à court terme.

    Quant à l’augmentation des tarifs, en particulier sous Hollande, elle résulte de trois facteurs : l’augmentation des redevances domaniales, l’incorporation dans les tarifs de la construction d’accès supplémentaires ( et d’autres modification au réseau ) et enfin d’un contrat mal branlé, permettant aux concessionnaires de jouer sur la notion d’augmentation moyenne des tarifs calculé par sortie et non par flux de véhicules.

    Pour les autoroutes belges, c’est la densité des sorties qui a rendu les péages inéconomiques : la lecture optique des immatriculations devrait bientôt introduire la facturation au km ( ce sera déjà le cas pour l’accès à Bruxelles d’ici moins de cinq ans )

    Pour leur éclairage, c’est un héritage du nucléaire mal pilotable des années ’60 – il est maintenant déjà fort réduit au-delà de 23 h

  • Là où il ne peut y avoir de compétition (autoroute, barrage…) le privé n’est pas moins cher au contraire la situation de monopole entraine des prix plus élevés. C’est juste que les utilisateurs sont les payeurs au lieu du contribuable.

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