Justice : projet de loi Dupond-Moretti, un texte pour rien

« Renforcer la confiance en l’institution judiciaire » est un objectif louable. Encore faudrait-il s’accorder sur le constat de la défiance vis-à-vis de la justice française pour espérer y remédier.

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Eric_Dupond_Moretti BY Joachim Bertrand Wikimedia commons

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Justice : projet de loi Dupond-Moretti, un texte pour rien

Publié le 19 avril 2021
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Par Pierre-Marie Meeringen.

« Renforcer la confiance en l’institution judiciaire », comme se propose le projet de loi porté par le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti est un objectif louable. Encore faudrait-il s’accorder sur le constat de la défiance vis-à-vis de la justice française pour espérer y remédier.

À lire le texte présenté en Conseil des ministres, pour restaurer cette confiance on croirait que l’urgence consisterait à filmer les audiences, supprimer progressivement les cours d’assises, proclamer la fin des crédits de réduction de peine en détention.

Étrange réponse, à vrai dire, à la question posée. Étrange volonté, surtout, d’écarter les évidences les plus massives sur ce sujet.

Lenteur et inefficacité

Première évidence : la défiance ne résulte pas de l’absence de caméras dans les prétoires, mais de la lenteur et de l’inefficacité de la justice française dans la totalité de ses champs d’intervention. Quelle confiance dans la justice si les suspects ne sont pas poursuivis faute de moyens, si les mineurs délinquants sont jugés à l’âge de 22 ans, si les victimes d’accidents de voiture sont indemnisées plus de 15 ans après les faits ?

À cet égard, il faudra rappeler une fois de plus la réalité, connue et reconnue en France et partout en Europe, de la sous-dotation budgétaire de la justice française.

Selon le Conseil de l’Europe :

La France affiche le plus petit nombre de procureurs en Europe ou presque (3 pour 100 000 habitants), ces derniers devant, malgré tout, gérer un nombre très élevé d’affaires (6,6 pour 100 habitants) et exercer un nombre record de fonctions (Rapport de la CEPEJ 2020).

Les faits sont têtus : une justice clochardisée ne peut pas, faute d’efficacité, inspirer confiance.

Un manque d’indépendance

Deuxième évidence. La défiance naît du manque d’indépendance de la justice, du fait de la subordination hiérarchique du ministère public au pouvoir exécutif. Tant que ce lien sera maintenu, les choix de la justice dans les affaires impliquant les notables du monde politique, économique et médiatique resteront entachés de soupçon et objet de défiance.

Il n’est plus admissible que la justice puisse être soupçonnée de se livrer à des procès politiques émanant de cabinets noirs, dès lors qu’un politique est impliqué (François Fillon, Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy, Jean-Luc Mélenchon…). Ces critiques récurrentes – si grotesques ou opportunistes soient-elles – portent régulièrement atteinte au crédit de la justice.

La justice empêchée de lutter contre la corruption

Troisième évidence. La défiance naît de la volonté de l’exécutif de porter atteinte au crédit de la justice lorsqu’elle s’emploie à lutter trop activement contre la corruption. À cet égard, l’acharnement du gouvernement et de l’avocat des Balkany, devenu garde des Sceaux, à compromettre la réputation du parquet national financier (PNF) fait figure de cas d’école.

Se gardant de tout soutien, politique, matériel ou financier au PNF, le gouvernement préfère s’associer au discours victimaire des politiques condamnés (comme Gérald Darmanin vis-à-vis de Nicolas Sarkozy) et s’employer prioritairement à nourrir le soupçon, en lançant des enquêtes contre ses membres qui ne donnent quasiment rien ou en engageant des poursuites disciplinaires sur des fondements fumeux ou inexistants.

Des marottes inapplicables

Une chose est certaine : le projet de loi d’Éric Dupond-Moretti ne se confronte à aucune de ces trois évidences. On n’y trouve qu’un bric-à-brac de marottes du ministre (audiences filmées, mesures vexatoires pour les magistrats), de mesures techniques visant à limiter les coûts des procès en assises, de dispositions prétendument fermes (suppression des crédits de réduction de peine à compter du 1er janvier 2023 – après l’élection présidentielle) mais d’application en réalité impossible.

Pour le reste, aux yeux de l’exécutif, l’essentiel est sauf. Donner le sentiment que l’on travaille en amusant la galerie par des mesures sans impact réel. Ne rien lâcher sur la dépendance du ministère public vis-à-vis de l’exécutif, pour préserver les moyens de tenir la justice et ce en dépit des promesses faites et du projet de loi déposé en août 2019 par Nicole Belloubet.

Ne jamais chercher à donner à la justice les moyens réels de son action – lui octroyer une trop grande marge de manœuvre, ne serait-ce pas s’exposer à une justice potentiellement intrusive ?

Restaurer la confiance en la justice, ce ne sera pas pour cette fois…

L’observateur des institutions françaises ne s’étonnera pas de cette volonté du pouvoir exécutif de maintenir l’autorité judiciaire sous tutelle : la tendance étant constante sous la Cinquième République, la majorité actuelle – particulièrement fidèle à l’idéologie technocratique – ne fait pas exception sur ce point.

Il regrettera peut-être que, par intérêt, vanité et inconsistance, l’un des avocats les plus brillants de France se soit fourvoyé au point d’apporter son concours actif à cette entreprise. Et il se désolera sans doute de conclure que, une fois de plus, le renforcement de la confiance en l’institution judiciaire doive attendre des jours meilleurs.

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  • Acquittator a toujours eu plus de compassion pour les accusés que pour les victimes, ce n’est pas un poste au gouvernement qui allait le changer radicalement.

    Au final, une belle opération de poudre aux yeux, une réforme qui ne servira personne (sauf peut-être Paul Bismuth), et un ministre qui traite de « populistes extrêmistes » les citoyens choqués par le laxisme de notre appareil judiciaire.

    En tant que citoyen, j’ai d’ailleurs fort peu apprécié de me faire insulter de la sorte, tout ça parce que je trouve que Balkany, Quesada et les terroristes devraient toujours être en prison à l’heure actuelle. Et que les personnes qui mettent le plus en danger la vie d’autrui dans ce pays, ce ne sont pas les teufeurs ou les restaurateurs clandestins, mais plutôt les membres du gouvernement.

  • Les acquittement et réduction de peines récents pour les CPF qui ont brûlé vies des policiers vont fortement renforcer la confiance vis – à – vis de l’institution judiciaire.

  • Ce ministre n’est qu’à l’image de tout ce gouvernement et de ces députés. Une présidence jacassière, des projets bavards et creux, une pensée de télé-réalité et une collection de minus habens dont on n’aurait même pas voulu comme sous-chefs du contentieux à la sous-direction de l’administration des commerces non essentiels.

  • La confiance envers les politiques comme envers la Justice, ça se mérite. Et les Gaulois voient chaque jour que leurs impôts sont gaspillés pour d’autres qu’eux et que les voyous comme les squatteurs les pilleurs et dealers p.ex. se baladent librement en rue après une remontrance verbale ou la désertion de nos flics sur ordre venant des politiques…..

  • Quand les flics arrêtent des délinquants pour la 30e fois et qui sont toujours en liberté, qu’un violeur est relaxé car il n’a pas les codes, qu’un assassin d’une grand mère juive n’est pas jugé car drogué, que des brûleurs de policiers sont graciés, Monsieur Moretti se fout de notre tête!

  • EDM, c’est comme EELV. C’est quand on les voit au pouvoir qu’on a des regrets….sinon, ils sont sympas….

  • La justice ne peut être réformée tant qu’il n’y a pas assez de place en prison. Encore un problème lié à l’immobilier. En France pays le plus criminogene du monde, 200000 places sont tout juste susuffisantes, dans certaines villes, toutes, le délinquant devient majoritaire.

  • Condamner les criminels, ne pas leur trouver d’excuses pour les relâcher : ce serait bien que les juges commencent par faire le travail pour lequel les contribuables les paient.

  • On a eu un exemple avec la mort de Victorine près de Grenoble. Victime a ses obsèques, elle est devenue en une semaine la s***** de service. Fallait voir les commentaires sur les réseaux sociaux. A vomir.

  • « Renforcer la confiance en l’institution judiciaire »
    Le premier mot de cette phrase est à côté de la plaque, voire faux.
    Ce n’est pas de renfort de confiance que l’Institution judiciaire a besoin : c’est de la regagner.

    Le plus grave dans ce que j’ai lu dans l’article, à mon sens, est la suppression des Cours d’Assises, soit la suppression pure et simple d’un fondement citoyen : celui de pouvoir être jugé par ses pairs (nous sommes tous égaux en droits et devant la loi paraît-il). La Cour d’Assises se prononce sur les crimes, plus haut degré d’infraction. Du coup, exit les citoyens, bye bye la citoyenneté, ciao les droits fondamentaux, dasvidania liberté.
    Sortir les citoyens des cours de justice était déjà dans les bacs il y a deux ou trois ans, ce qui avait fait bondir quelques professionnels de la justice.

  • la France, un pays pauvre : merci 50 ans de socialisme/étatisme.

  • Tu fais un doigt d’honneur au président, garde à vue.

    Tu brûles des flics dans leur voiture, tu es acquitté.

    Cherchez l’erreur.

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