Industrie pharmaceutique : les causes du retard français

Le sous-investissement de l’État dans le secteur est chronique et ce malgré la crue continue de la dépense publique dans notre pays.

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Industrie pharmaceutique : les causes du retard français

Publié le 10 avril 2021
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Par Romain Delisle.
Un article de l’Iref-Europe

Hébété par l’avancée du Covid-19 comme 81 ans plus tôt par la percée des troupes allemandes dans les Ardennes, le pays de Pasteur contemple son armée sanitaire en déroute. Une fois de plus, la ligne Maginot n’a pas tenu ses promesses, une fois de plus c’est la débâcle.

Hôpitaux au bord de la rupture, vaccin français reporté aux calendes grecques, série de confinements-reconfinements jouant avec les nerfs de nos compatriotes : notre pays est le seul membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU à ne pas avoir de vaccin national, avec les conséquences en termes de souveraineté sanitaire que cela entraîne.

Il n’est pas opportun de faire le point ici sur les responsabilités de l’impréparation de notre système de santé, l’histoire s’en chargera. En revanche, le retard accumulé par notre pays dans le domaine de l’innovation pharmaceutique, la défaillance des financements publics de notre recherche et les faiblesses structurelles de la filière demeurent des éléments saillants que, comme souvent, la crise ne fait que révéler.

La défaillance de l’État dans le financement de la recherche

Le processus d’innovation pharmaceutique se décompose en plusieurs phases : la découverte fondamentale, une nouvelle molécule par exemple, aboutit à un produit commercial, un médicament ou un vaccin. La première phase de recherche fondamentale ne dispose pas de résultats commercialisables et doit recevoir des financements publics, tandis que la recherche appliquée a vocation à voir ses coûts supportés par le secteur privé.

Contrairement à sa voisine d’outre-Rhin qui y consacre 3 % de son PIB, la France dépasse tout juste les 2 % en ce qui concerne les financements publics de la recherche, dont seulement 18 % sont consacrés à la biologie-santé.
Seules 117 start-ups françaises du secteur ont été financées en 2018 pour un montant moyen de 9 millions d’euros, contre 135 au Royaume-Uni pour un montant moyen de 12 millions d’euros.

En 2020, aucune université française n’intègre le top 50 du classement de Shangaï en santé publique, seulement deux en pharmacie et une en biologie. Clochardisés, les chercheurs français gagnent en début de carrière 63 % de la moyenne des salaires de leur profession par rapport au niveau de l’OCDE, avec pour conséquence une fuite des cerveaux, vers les États-Unis notamment.

Un deuxième constat apparaît alarmant : le financement public de la recherche n’est pas aussi efficient qu’il devrait l’être. Si la France accueille un grand nombre d’essais cliniques des médicaments, ceux-ci se concentrent plus largement sur des essais non aléatoires avec des normes scientifiques plus faibles, majoritairement financés par les pouvoirs publics.

Les faiblesses structurelles du secteur pharmaceutique français

Ces dernières années, l’industrie pharmaceutique a dû faire face à un important virage technologique, passant d’une industrie de fabrication de médicaments par synthèse de produits chimiques à la production de biomédicaments, c’est-à-dire fabriqués (ou extraits) à partir d’organismes vivants. Concrètement, les médicaments conçus en masse pour un large public (les blockbuster) sont supplantés par des médicaments complexes, ayant des coûts de production élevés et destinés à des marchés réduits (les niches-buster). L’European Medicines Agency (EMA) a, par exemple, autorisé en 2000 deux médicaments traitant des maladies orphelines, contre 113 en 2019.

La filière se structure autour de grandes multinationales qui gèrent la commercialisation et le développement du produit fini, s’appuyant sur un écosystème de PME financés par des fonds de capital-risque.

Le besoin de financement de ces sociétés a explosé à mesure que le coût moyen de développement d’un médicament augmentait. Avec une croissance de 8,5 % par an, le coût moyen de développement d’un médicament est passé de 802 millions de dollars en 2003 à 2,5 milliards de dollars en 2016. Financer un médicament est donc un processus cher et long, 10 à 15 ans en moyenne, le temps de développement du produit ayant lui aussi augmenté.

Or, notre pays a mal négocié ce virage. De 1995 à 2008, il était le premier producteur européen de médicaments en valeur, en 2017 il se retrouve à la quatrième place. En cause, la délocalisation de la production des produits à faible valeur ajoutée dans les pays à bas coûts, comme la Chine ou l’Inde, et l’atonie du développement de médicaments innovants. La production nationale concerne actuellement, à 80 %, des médicaments d’origine chimique dont 49 % possèdent un brevet expiré. Dans le même temps, l’investissement en faveur des biomédicaments baissait de 183 à 148 millions d’euros de 2010 à 2015.

Le tableau de la situation du secteur pharmaceutique français peut sembler assez sombre et inquiétant : en effet, le sous-investissement de l’État dans le secteur est chronique et ce malgré la crue continue de la dépense publique dans notre pays. Comment ne pas imaginer que de l’argent investi, c’est-à-dire de l’argent qui doit créer de l’argent, ne soit pas un élément considéré comme prioritaire par nos gouvernants ?

A minima, nous sommes en droit à rêver à un effort de recherche comparable à celui de l’Allemagne ou mieux, à un véritable choc de compétitivité sanitaire, puisque désormais le cruel besoin de souveraineté dans ce domaine se fait sentir. Ne faut-il pas à cet effet faciliter la vie des entreprises pharmaceutiques, alléger les procédures, réduire les règlementations, libérer les prix…

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  • Dans les causes du retard français, je m’attendais à lire dans ce texte l’adoption des médicaments génériques par la CQ, avec en 1998 la possibilité (l’obligation de fait) de remplacement par les pharmaciens. Déjà à l’époque je me souviens m’être dit qu’avec cela ils allaient tuer l’industrie française du médicament, et je suis étonné de ne le retrouver nulle part.

    • Je suis d’accord. De multiples raisons, le bas prix imposé par l’état entre autres.
      Mais l’article ne parle que d’un niveau insuffisant des dépenses publiques, l’état ne dépense pas assez!

    • La recherche du moindre coût est un critère d’évaluation qui ne devrait intervenir que deuxième ou troisième position. Les conséquences d’une loi devrait être évaluée par une étude d’impact avant leur application plutôt que par l’application immédiate dans un seul but de montrer que l’on est un vrai réformateur

  • Il est dommage de ne pas nous expliquer pourquoi la recherche dite fondamentale devrait être financée par l’État et si c’est le cas pourquoi pas confiée par appels d’offres à des universités ou établissements de recherche privés.

  • 32.970 personnes et 3,7 Millard payés par les contribuables pour le CNRS et ce n’est pas assez ? Un partenariat public / privé serait certainement plus productif, que toujours plus d’état.

  • L’article laisse entendre que si la gestion du Covid est un désastre, c’est parce qu’il n’y a pas d’investissement dans de la recherche, que la France est en retard dans le développement de nouveaux médicaments.
    Il passe opportunément sous silence le fait que l’Etat, à l’évidence sous l’influence de l’industrie, a tout fait pour que des médicaments anciens et peu coûteux ne soient jamais utilisés pendant cette crise – même si leur efficacité est largement établie.
    L’Etat a donc fait un « cadeau » de plusieurs milliards à l’industrie pharmaceutique, que ce soit en achetant des molécules inutiles (remdesivir, etc.) ou en maintenant la voie ouverte à l’écoulement massif des vaccins, en refusant d’avaliser l’utilisation de l’HCQ, de l’ivermectine, etc.

    • Et ce d’autant plus que les reproches faits aux traitements précoces (en dehors du fait que ce soit des molécules anciennes peu coûteuses) à savoir le manque d’études cliniques en double aveugle randomisées peut-être fait aux vaccins ou au coûteux remdesivir.
      Sans oublier le fait qu’il ne faut aucun traitement existant pour imposer la vaccination de fait.
      Remdesivir acheté pour des centaines de millions et validé par l’EMA 2 jours avant que son inutilité ne soit finalement reconnue.
      Même EMA qui a propos des vaccins dit circulez y a rien à voir,et pédale dans la semoule depuis 10 jours en disant tout et son contraire.

      • Le manque d’études est normale cela coûte du pognon, seul un état ou un grand groupe peut se le permettre, très efficace pour contrer la concurrence.. Et comme l’état est corrompu..

        • Je ne sais pas si c’est si cher que cela. Chaque CHU a un laboratoire de biostatistique et les urgences sont plein de COVID. Un petit protocole aux urgences en double aveugle, ce n’est pas bien compliqué. En fait devant le binz de l’HCQ tout le monde s’est bien gardé d’y laisser des plumes. Comme le RCA, un chercheur ne peut, pour sa carrière, ne pas être dans les clous.

  • Avec la mondialisation et l’abandon par la France de sa souverainete il n’y a plus de place pour l’industrie française en général, la pharmacie n’y échappe pas.

  • Thème complexe…
    Travaillant dans la recherche clinique, je m’aperçois que la France a choisi une drôle de voie pour le covid. Aucun essai bien monté sur les thérapeutiques (innovantes ou existantes) mais une multitude de protocoles écrits avec les pieds, avec pour seul but de justifier la gravité du virus et la justesse de la politique sanitaire française.
    En lisant ceux que je reçois, je me rends compte que la plupart ne devraient même pas passer le « cut » (autorisation ANSM et CPP). Pourquoi est-ce le cas alors ?
    Pourquoi aucune n’équipe n’arrive à présenter un vrai essai sur les traitements potentiels ? Je ne parle même pas de Discovery qui me ferait rire si ce n’était aussi grave… A la lecture du protocole complet, on ne peut que s’interroger sur le degré de corruption atteint pour valider une telle étude.

  • Le mal est plus profond que ça, quelques extraits d’un Webinaire donné par Loïk Le Floch-Prigent à la SEII (Société Européenne des Ingénieurs et Industriels) sur « La désindustrialisation de l’Europe … » :
    « … lorsque l’orateur était président d’une société pharmaceutique dans les années 1980/1990, on fabriquait 80% des produits de base dans l’UE. Aujourd’hui on se réveille avec 90% des principes actifs qui sont produits en Inde. En effet, les règles environnementales en France et en Europe étaient telles qu’il a fallu envoyer ces principes actifs en Inde, de manière à ne pas payer deux fois plus cher. … » « …Sanofi est en échec sur les vaccins, alors que AstraZeneca a réussi (ce n’était pas agréable pour l’UE à l’heure du Brexit), mais les chercheurs qui ont travaillé sur les nouveaux vaccins viennent de chez nous. Stéphane Bancel qui a fait le 2e vaccin à ARN avec Moderna a été directeur général de Biomérieux pendant 8 ans ; quand il a voulu produire de l’ARN messager en France, il n’a pas pu le faire, pas plus que dans l’UE, et il est donc parti aux Etats-Unis.
    Les turcs-allemands de BioNtech ont d’abord approché Sanofi mais ils n’ont pas pu travailler avec eux, du coup ils ont été chez Pfizer… »

  • On exporte nos chercheurs et ingénieurs pourtant formés en France mais curieusement pas nos Énarques qui font des carrières confortables pantouflardes sur l’argent public et sans prise de risques ni responsabilités en cas de problèmes
    Juridiques …

  • Les montant versés par les corrupteurs et les noms des corrompus n’étant pas connu, « Les causes du retard » elles sont peut-être chez Servier et nos anciens ministres… Va savoir ….

  • Qui parle de retard ?
    Servier avait plutôt de l’avance.
    Toutes ces sommes avancées ne créent pas de retard , mais de la décomposition.

  • vous avez une des causes du mal …
    « la recherche sert l’interet collectif »..

  • La France n’a jamais encouragé et reconnu l’innovation de ses chercheurs.
    Déjà dans les années 1980, Martine Kempf avait inventé un fauteuil à fréquence vocale qui aurait permis aux personnes handicapées de pouvoir se mouvoir et faire certaines choses avec leur voix.
    Devant l’empressement (et le manque d’aide et de reconnaissance) du gouvernement elle a décidé de s’exiler aux USA.
    Ce qui est arrivé à cette époque-là dans ce domaine n’a jamais cessé et c’est seulement maintenant qu’il semble que les gens se réveillent et réalisent que les entreprises françaises et le gouvernement sont peu enclins à investir dans la R&D.
    Comme toujours, la réalité est découverte quand le couperet est tombé.

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