Comment la pandémie aggrave le mal-être des étudiants

La crise montre que le modèle français du logement étudiant de taille réduite pour des étudiants seuls comme symbole de l’autonomie acquise pendant la jeunesse doit être repensé.

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etudiants amphi ordinateur - 2019 - USMB By: Sophie Pardoën - CC BY 2.0

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Comment la pandémie aggrave le mal-être des étudiants

Publié le 11 mars 2021
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Par Sandra Gaviria1.
Un article de The Conversation

Préoccupante depuis un certain nombre d’années, la souffrance étudiante est actuellement sous les feux de l’actualité, la crise sanitaire accentuant l’isolement des jeunes et les problèmes de précarité mis à jour depuis l’immolation par le feu d’un étudiant à Lyon, en novembre 2019.

Y a-t-il des éléments qui contribuent au mal-être de la jeunesse, et qui sont spécifiques à l’Hexagone ?

Dans le modèle français valorisé du devenir adulte, on considère que l’indépendance économique de l’étudiant ne devrait pas relever de la responsabilité de la famille. Mais les aides de l’État envers les étudiants ne leur permettent pas de les prendre complètement en charge si les familles ne sont pas au rendez-vous.

Dans les pays nordiques, l’État finance l’autonomie des étudiants et dans des pays comme l’Espagne le modèle familialiste prédomine.

La pression du logement sur les étudiants

Pendant la période de la jeunesse, en France, il est admis que pour s’autonomiser deux conditions doivent être réunies : la séparation physique de la famille et la vie en solo, au moins pendant une période. Nous estimons à près de 40 % le nombre des étudiants qui habitent seuls (dans leur logement, en résidence universitaire ou dans un logement de la famille).

Depuis les années 1960 la construction des logements des étudiants du CROUS (Centre régional des œuvres universitaires et scolaires) a été pensée en adéquation avec ce modèle et la majorité des logements, soit plus de 90 % sont de petites surfaces conçues pour des étudiants en solo, principalement des chambres individuelles. Le parc privé suit la même tendance.

En temps de pandémie, où apparaît plus que jamais l’importance de l’autre et du lien social dans la vie, la crise met en lumière les limites de ce modèle d’autonomisation de soi qui établit un lien entre bonheur individuel et vie en solo. Or nous assistons à une vie en solo H24.

Dans d’autres pays, par exemple en Espagne, il n’y a pas un lien établi et socialement valorisé entre devenir adulte et vivre seul, être seul physiquement – ni pendant l’enfance, ni pendant la jeunesse, ni au moment de la maladie ou du vieillissement.

Les étudiants choisissent les résidences étudiantes où les repas ont lieu collectivement, ou les appartements en colocation, sur le mode de l’auberge espagnole. En France, cela ne concerne que 11 % des étudiants, selon l’enquête OVE 2016. Ceci a comme conséquence qu’en temps de pandémie, bien qu’affrontant aussi les difficultés de l’enseignement à distance, les jeunes se sentent moins seuls.

Conditions d’études plus complexes

Un deuxième aspect central de la vie étudiante est la pression qu’ils subissent compte tenu de la valeur accordée au diplôme, garant et déterminant de la position qu’ils occuperont dans leur future vie professionnelle, comme l’a montré Cécile Van de Velde dans son ouvrage Devenir adulte, ce qui ajoute une couche de stress à cette période de la vie où il faut subir pour grandir. Et la question se pose aujourd’hui de la valeur des diplômes de la génération Covid.

La France accueille de nombreux étudiants étrangers. Ceci est possible pour certains, compte tenu des tarifs d’inscription dans les universités, du prix des résidences du CROUS et de leur job étudiant. La plupart d’entre eux ont perdu ce travail et se retrouvent dans des chambres et des résidences pas toujours agréables.

À ceci s’ajoute qu’ils n’ont pas toujours le matériel informatique adéquat et se trouvent contraints de continuer l’année universitaire avec pour seul outil leur téléphone portable, comme nous l’avons observé dans notre université avant le prêt d’ordinateurs. Les données nationales sont inexistantes à ce jour.

S’y ajoutent une problématique plus globale de la jeunesse : trouver sa voie. C’est une période où de nombreux jeunes s’interrogent sur le choix de leurs études, leur avenir et où ils découvrent que finalement ils voudraient changer, d’où la création de nombreuses possibilités de bifurcation, par exemple à la fin du premier semestre et tout au long de certains parcours universitaires.

Le distanciel ajoute une difficulté supplémentaire pour échanger et rencontrer les interlocuteurs chargés de la réorientation. Puis il y a la peur et l’insécurité pour affronter le marché du travail, après des années à entendre recommander l’importance des stages et à faire des projets tous en en stand-by.

Injonction à l’autonomie

L’injonction à l’autonomie est très importante au sein de la jeunesse. Certains ressentent aujourd’hui un sentiment d’échec étant donné qu’ils ont préféré, ou ont été contraints, de retourner chez leurs parents, privés d’une autonomie censée s’apprendre progressivement, comme nous l’avons observé lors d’entretiens auprès d’étudiants retournés chez leurs parents pendant le premier et le deuxième confinement.

Leur image d’eux-mêmes se détériore à l’idée de ne pas voir le moyen, ni le moment de s’éloigner de la famille. Sans compter que le départ pour les études avait permis à certains de quitter des environnements toxiques. Ces jeunes ne trouvent pas toujours dans le distanciel la force de volonté nécessaire pour s’organiser, préparer des travaux à présenter parfois six semaines plus tard, des textes à lire, etc.

Pour les autres, restés dans leur chambre ou dans leur studio, l’échec est celui de voir qu’ils vivent mal, que la vie en solo et sans lien avec les autres, à la faculté ou dans les soirées, est dure, voire déprimante. Même les étudiants en master trouvent ceci difficile. Leurs seules sorties se limitent à faire les courses ; ils n’ont pas la volonté de s’habiller pour les cours par visio et ils éprouvent le sentiment d’être les seuls confinés avec les personnes âgées.

La société continue à fonctionner et eux sont mis à l’écart. Le poids de la solitude s’accentue lorsque des difficultés se cumulent, notamment financières. Avant la pandémie, les jeunes avaient des stratégies pour y remédier, parmi lesquelles la fréquentation des amis était centrale. Aujourd’hui, elles ne peuvent plus être déployées comme le témoignent les étudiants interviewés.

Le jeune doit apprendre à être seul avec lui-même et à se sentir bien : il serait ainsi mieux armé pour affronter le monde des adultes et la société dans laquelle il vit. La souffrance pendant la jeunesse est souvent associée à la trop forte dépendance familiale, conjugale, professionnelle, et le bonheur à la liberté.

La crise montre que le modèle français du logement étudiant de taille réduite pour des étudiants seuls comme symbole de l’autonomie acquise pendant la jeunesse doit être repensé. Nous assistons à l’expérimentation réelle et collective de la limite de la vie en solo pendant la jeunesse en temps de pandémie.

Sur le web

The Conversation

  1. Sandra Gaviria est professeure de sociologie, Université Le Havre Normandie
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  • Je trouve absolument incroyable de constater au travers d’ une double crise qui exacerbe tous les maux dont souffre le pays, dont les problèmes déjà bien connus et bien installés de notre jeunesse étudiante, et notre jeunesse tout court, que personne ne se demande ce que fichent réellement les 3/4 de ces étudiants, en Fac notamment pour l’ obtention de diplômes qui n’ ont pas attendu le Covid pour valoir peau de … à part s’ agglutiner massivement dans des voies de garages ou faire perdre du temps aux meilleurs les premières années en encombrant inutilement les amphis et le parc de logement étudiant.
    Au lieu de se lamenter sur le sort de ce petit monde qui commence à occuper des lieux de culture pour perpétrer la becquée en se gardant bien de réclamer l’ ouverture de tout pour tout le monde, ne faudrait-il pas simplement remettre ce pays au travail, au sens propre, physique, en n’ aidant pas à se relever tout ce qui nous plombe?

    • La solution est connu.. faire une sélection à l’entrée des études supérieures.
      Mais aucun gouvernement ne le fera, ce serait suicidaire.

    • Trop d’étudiants, notamment dans des filières de  » sciences humaines  » (psychologie, sociologie, etc.) et pas assez d’importance donnée à l’apprentissage.

      Il faudrait étudier sérieusement ce qui se fait en Allemagne et en Suisse (qui est en partie francophone : nous n’avons aucune excuse d’ignorer ce qui se pratique dans ce pays voisin) et en transposer des idées.

      • Mon frère ainé est enseignant en Allemagne, et c’ est très simple: les sciences humaines sont réservées aux meilleurs des meilleurs, la sélection est super élitiste, très peu de places justement parce qu’ il y a très peu de débouchés.

  • Ceci étant, je pense que les logements individuels sont biens pensés pour le point de vue logistique lorsqu’il s’agit des conquêtes amoureuses en étant étudiant. L’auberge espagnole a une réputation plus… sulfureuse de ce point de vue là dans le sens où c’est open bar.

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