WallStreetBets : game over pour la finance 

L’affaire GameStop pourrait bien déboucher sur un game over pour un système qui n’a eu de cesse de repousser les limites du raisonnable en mettant systématiquement sous le tapis tous les problèmes économiques et financiers.

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Wall Street BY Thomas Hawk(CC BY-NC 2.0)

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WallStreetBets : game over pour la finance 

Publié le 1 février 2021
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Par Franky Bee.

Alors que nos médias franco-centrés avaient le regard tourné vers l’Élysée et Matignon, guettant les éventuels signaux avant-coureurs d’un troisième reconfinement, la planète finance était frappée par un évènement d’une ampleur exceptionnelle.

En quelques jours, des groupes de milliers, voire millions, d’internautes, regroupés sous la bannière « WallStreetBets » – ou tout simplement « WSB » – ont mis la bourse américaine en ébullition. Et le symbole de cette action initiée à travers des groupes de discussion sur des plateformes telles que Reddit ou Discord, a été l’explosion à la hausse du cours de l’action GameStop.

GameStop est une société bien connue outre-Atlantique, exploitant depuis les années 1980 une chaîne de magasins spécialisés dans les jeux-vidéo. Une activité de moins en moins rentable du fait de la montée en puissance du commerce en ligne et du streaming, ayant lentement conduit l’entreprise aux portes de la faillite, et avec pour couronner le tout une crise du Covid-19 qui est venue frapper de plein fouet l’ensemble des commerces physiques dits « non essentiels ».

En clair, l’action GameStop est devenue une cible privilégiée pour des fonds d’investissement spécialisés dans la vente à découvert (les fameux hedge funds), tels que Point72 ou Melvin Capital.

Mais l’environnement boursier a quelque peu changé depuis mars 2020, avec l’arrivée massive de particuliers sur les marchés, fortement encouragés à investir par certains gouvernements et banques centrales prêts à tout pour faire remonter les indices. Jusque-là plutôt dociles, certains de ces particuliers ont subitement pris le parti de s’attaquer aux positions vendeuses des fonds spéculatifs, en faisant remonter violemment les cours d’actions comme GameStop via un effet de meute, afin de forcer les fonds à racheter en catastrophe leurs positions.

De manière inédite, les courtiers en ligne sont intervenus (de leur propre gré ou non), limitant les achats sur certaines valeurs, voire liquidant carrément les positions de certains particuliers à leur insu. C’est notamment le cas du plus célèbre d’entre eux, l’américain Robinhood, dont les mesures à l’encontre de ses propres clients ont mis le feu aux poudres.

Robin des Bois ou Shérif de Nottingham ?

Fondée en 2013, la start-up Robinhood a longtemps été perçue comme l’emblème de cette ruée vers la bourse des apprentis traders américains. Il faut dire que les fondateurs de l’application ont toujours tout fait pour apparaître comme une évidence auprès des néophytes des générations Z et Y : un service simple et moderne aux allures de Robin des Bois, offrant à chacun la possibilité d’avoir sa part du gâteau, et bien sûr totalement gratuit.

Mais vous connaissez sûrement ce vieil adage du monde de l’internet : « si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit ». Et le pot aux roses a vite été découvert, puisqu’en juin dernier le célèbre blog Zero Hedge révélait que le modèle économique de Robinhood consistait à revendre toutes les données des ordres de bourse de ses clients au géant Citadel.

Concrètement, à chaque fois qu’un particulier achète ou vend via Robinhood, Citadel aurait connaissance de son ordre avant tout le monde et pourrait donc passer devant lui (en jargon technique on parle de frontrunning). Tout cela s’opère à haute fréquence, et reste donc totalement invisible du commun des mortels, mais la conséquence pour le petit porteur est que quelqu’un pourrait s’être discrètement servi sur son prix d’achat ou de vente.

Si cette controverse n’avait visiblement pas refroidi les utilisateurs de Robinhood, la volte-face sur l’affaire GameStop a été perçue comme une trahison par la communauté des néo-traders. Pire, ceux-ci ont désormais le sentiment que tout est fait pour protéger les fonds d’investissement, et qu’il serait donc impossible de battre Wall Street à son propre jeu.

Cela étant, non seulement les mesures prises par les courtiers n’ont pas arrêté l’action des WallStreetBets – avec des achats en meute qui continuent à s’opérer sur un grand nombre de titres financiers, mais aussi sur les cryptomonnaies et les métaux précieux – mais en plus un mouvement de fronde assez inédit a émergé sur les réseaux sociaux, en opposition au système financier et à ses dirigeants.

On y retrouve évidemment ceux que l’on surnomme désormais les « Redditeurs », mais aussi une grande partie de la communauté de cryptos, des grandes figures de la Silicon Valley telles qu’Elon Musk ou Chamath Palihapitiya (qui n’ont jamais vraiment eu de sympathie vis-à-vis de Wall Street), des politiciens désireux de récupérer l’affaire avec d’un côté des partisans de l’ex-président Trump et de l’autre des membres de l’aile radicale du parti démocrate emmenés par Alexandria Ocasio-Cortez, et enfin tous les sceptiques vis-à-vis de l’action menée par les banques centrales depuis deux décennies.

« Il n’y a pas d’alternative »

Pour les autorités politiques et monétaires américaines, l’ironie est cruelle, car c’est via ces mêmes fonds spéculatifs que tout a commencé. En effet, la défaillance de LTCM en 1998 fut le premier d’une longue série de plans de sauvetage d’institutions financières en déroute, avec toujours l’impression donnée aux citoyens que l’on distribue gratuitement de l’argent public à ceux qui ont contribué à créer les problèmes, tout en évitant soigneusement de sanctionner les personnes responsables et d’imposer des réformes de fond.

Mais le problème ne s’arrête pas là pour les gouvernements et banquiers centraux. En effet, tout semble avoir été fait depuis des années – et encore plus depuis mars dernier – pour inciter les ménages à investir massivement, au son de la rhétorique du « il n’y a pas d’alternative », corollaire du désormais célèbre « quoi qu’il en coûte ».

« Pas d’alternative » aux actifs risqués comme les actions et l’immobilier. De quoi justifier n’importe quel niveau de prix au motif que de toute façon les taux d’intérêt n’ont jamais été aussi bas, et que de toute manière on ne les remontera jamais.

« Pas d’alternative » non plus à l’explosion de l’endettement public et de la planche à billets. Ce qui constitue une victoire par KO de la pensée post-keynésienne, sans véritable débat démocratique, et jetant aux oubliettes le concept de destruction créatrice.

Le problème de cette pensée est qu’elle a conduit les pays occidentaux à agir avec facilité, se satisfaisant de plans de sauvegardes massifs et non-sélectifs à répétition, au détriment de toute réforme sérieuse.

Dans la durée, ce type de politiques annule tout espoir de reprise durable de la croissance, avec pour uniques perspectives l’hyperinflation des actifs et un problème de perte de compétitivité qui ne cesse d’aggraver. Et alors même que la raison aurait dû conduire à utiliser de manière temporaire les facilités d’emprunt à taux bas pour engager une vraie restructuration de fond, tout en assumant la disparition d’agents économiques sans avenir.

Toutefois, l’illusion monétaire n’est pas un gadget sans conséquence. Si certains ont pu se gargariser de la hausse des prix des actifs, qu’ils soient financiers ou immobiliers, le souci est qu’une partie de plus en plus grande de la population se voit contrainte de participer à ce jeu absurde de la spéculation par crainte de tomber dans la pauvreté (en économie, on appelle ça la « peur de manquer »). D’où des comportements extrêmes comme ceux des WallStreetBets.

Frankenstein ou le Prométhée moderne

Pour résumer ce joyeux bazar fait de tweets et d’émoticônes, les autorités se retrouvent aujourd’hui dans la position de Victor Frankenstein, ayant créé un monstre qui menace de leur échapper et de tout détruire.

Dans son célèbre roman, Mary Shelley faisait dire à sa créature : « Si je suis méchant, c’est que je suis malheureux. Ne suis-je pas repoussé et haï par tous les hommes ? Toi, mon créateur, tu voudrais me lacérer et triompher de moi ; souviens-t’en et dis-moi pourquoi il me faudrait avoir davantage pitié de l’homme qu’il n’a pitié de moi ? »

C’est là le fond du problème. En se montrant méprisant vis-à-vis des boursicoteurs, le système économique et financier contribue à catalyser davantage les haines et l’envie d’en finir une bonne fois pour toutes avec Wall Street.

À ce stade, il ne semble plus y avoir de bonne solution pour les autorités de régulation, au premier rang desquelles se trouve la Réserve Fédérale américaine. Soit elles s’attaquent à ce problème de spéculation incontrôlée, et se voient alors contraintes de redonner une vraie valeur à la monnaie, entraînant de facto l’ensemble des prix des actifs à la baisse. Soit au contraire, elles continuent de laisser faire, et les phénomènes tels que WSB continueront inexorablement à prendre de l’ampleur ; jusqu’au chaos ?

Comme certains observateurs l’ont répété depuis plusieurs années, au point d’être accusés de complotisme, il est difficile voire impossible de faire marche arrière une fois que la boîte de pandore a été ouverte.

Autrement dit, l’affaire GameStop pourrait bien déboucher sur un game over pour un système qui n’a eu de cesse de repousser les limites du raisonnable en mettant systématiquement sous le tapis tous les problèmes économiques et financiers.

 

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  • Je ne m’en fais pas pour wall street. Ils ont le pouvoir, ce qui leur permet de changer les règles quand ils le veulent.
    Par contre les particuliers risquent beaucoup dans cette affaire, et le coup de gamestop semble leur avoir donné confiance. Ça va mal finir

  • « arrivée massive de particuliers sur les marchés, fortement encouragés à investir par certains gouvernements et banques centrales » : mais… non… l’état n’a strictement rien à voir dans ces décisions individuelles d’investir de manière risquée via des plates-formes numériques et applications. Les individus font un calcul « rationnel » : comment gagner le plus en en faisant le moins (c’est la base de tout calcul économique). Perso, je le fais aussi et en 3 secondes je place un ordre, en 1 journée et quelques clics, je ramasse 200 euro. Pourquoi aller bosser quand il « suffit » de faire ça ? Ce n’est même pas un échange de bien ou de service, il n’y a rien de concret derrière cet argent pour le boursicoteur. Il y a de l’offre et de la demande de « rien ». Je me contrefous de l’entreprise, de sa stratégie, de ses perspectives ou quoi… (sauf que je refuse certains secteurs) c’est comme si je trouvais 200 euro par terre quasi.
    C’est du pur capitalisme libéral, rien à voir avec l’Etat. Inutile d’aller l’accuser encore de tous les maux.

  • Ce qui est curieux dans cette affaire, c’est que des professionnels de la finance jouent à la baisse alors que les indices boursiers sont structurellement à la hausse (le creux covid est presque comblé). Il est bien évident que la création monétaire débridée fait que la monnaie doit absolument servir à acheter des biens réels (des actions ou de l’immobilier) plutôt que d’attendre tranquillement sa dépréciation. Il est faux de penser que l’inflation est quasi nulle. Elle est simplement mal mesurée en sur-représentant certains biens ordinaires de consommation et en sous-représentant des biens durables que tout le monde recherche.
    Ceci n’est vrai bien sur qu’en moyenne, il y a bien évidemment des secteurs qui seront durablement en baisse et peuvent donner l’occasion de jouer à la baisse pour ceux qui sont plus clairvoyant que les autres. Mais est-ce bien le cas des professionnels de la spéculation ? Sont ils vraiment si malins ?

  • Il y a plus que de la finance la dessous.
    Tout d’abord il y a l’envie de pas mal de gens d’en découdre avec les hedge funds et de faire rendre gorge au « loup de Wall Street ». Qu’est-ce que perdre quelques dollars face au plaisir procuré par cette victoire ?
    Et pluis il y a l’enfance, les boites de jeu achetés chez Micromania qui sont encore sur les étagères …
    L’homo economicus rationnel n’existe pas, ce n’est pas une découverte sauf pour les incultes en économie.

  • Les HF et les 4 grandes banques de Wall Street manipulent les marchés d’actions depuis des années grâce à la monnaie fictive de la Fed auxquels seuls ils ont accès.
    Leur force de frappe financière leur assure des profits grâce aux effets de leviers des options et à l’émiettement de petits porteurs qui constituent la contrepartie en tant que perdants.
    Cette asymétrie de moyens et d’informations leur donnaient un sentiment de puissance et d’impunité qui va se transformer maintenant en crainte proportionnellement à la prise de conscience chez les petits porteurs que la discipline et l’organisation peuvent renverser le rapport de force.
    Cela fait longtemps qu’il n’y a plus de marché libre : comment peut on autoriser la vente à découvert pour les HF et bloquer en même temps les achats et vendre de force des positions des petits porteurs?
    Ceci pose un grave problème juridique et constitutionnel, mais qui s’en soucie , la cour suprême a fermé les yeux sur la fraude électorale elle ne va pas pleurer pour les petits porteurs.

  • Et en quoi le sujet est-il important ? Il flatte l’ego des « rézosocioteurs », mais à part ça, c’est de l’aléa chaotique et classique des marchés.

    • Liberte du Peuple a raison c’est un problème fondamental de droit qui semble complètement vous échapper .
      Trouvez vous normal qu’on autorise sans limites les HF à spéculer avec l’argent de la Fed alors qu’en même temps on vend de force vos positions et qu’on a vendu au préalable toutes les infos des trades à CITADEL qui va aussitôt les revendre aux mêmes HF ?

      • Exactement, merci JIM. Le problème est le droit, un peu comme la constitution européenne votée après le rejet dans les urnes. Combien de personnes en France ont arrêté de croire aux résultats des référendums après cet épisode ?

  • Les commentaires sont fermés.

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