Carrefour/Couche-Tard : Bruno Le Maire s’empêtre dans ses contradictions

En repoussant les avances d’un groupe québécois prêt à investir dans une entreprise française, Bruno Le Maire rappelle au reste de la planète que la France est un pays qui pratique le capitalisme à sens unique.

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Bruno Le Maire by UMP Photos on Flickr (CC BY-NC-ND 2.0)

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Carrefour/Couche-Tard : Bruno Le Maire s’empêtre dans ses contradictions

Publié le 18 janvier 2021
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Par Michel Albouy.

Suite à l’annonce le 13 janvier 2021 du groupe canadien Couche-Tard de son intérêt pour prendre le contrôle de Carrefour, le microcosme politico-économique français s’est enflammé. Notre ministre de l’Économie s’est même étranglé d’horreur et a vaillamment déclaré, comme un vrai résistant courageux face à l’envahisseur, lors de l’émission C à Vous : « A priori, je ne suis pas favorable à cette opération ».

Pour lui, Carrefour est un « chaînon essentiel dans la sécurité alimentaire des Français, dans la souveraineté alimentaire ». « Le jour où vous allez chez Carrefour et qu’il n’y a plus de pâtes, plus de riz, plus de biens essentiels, vous faites comment ? », a-t-il expliqué dans une belle envolée lyrique.

Le jeudi matin suivant, l’action Carrefour, qui avait fortement progressé avec l’annonce de l’offre, refluait de plus de 5 % à l’ouverture de la Bourse. Chacun pourra apprécier la rigueur économique de notre ministre de l’Économie dont la formation littéraire ne l’a jamais préparé à de tels évènements.

Carrefour : une entreprise encore française ?

Qu’est-ce qu’une entreprise française ? La question hante les débats académiques en sciences de gestion. Mais deux indicateurs semblent s’imposer : le lieu de l’activité (chiffre d’affaires) et la composition du capital de la société.

Selon les statistiques connues, Carrefour réalise moins de 50 % de son chiffre d’affaires en France (46,9 %) comme le tableau ci-dessous le montre. Au passage on note la forte présence du groupe au Brésil et en Espagne, deux pays qui n’ont jamais eu à se plaindre de la distribution de pâtes et de riz par Carrefour.

La répartition très dispersée du capital de la société Carrefour ne témoigne pas également d’une prépondérance française. Certes, la famille Moulin1 possède 9,74 % du capital de la société et associée aux familles Diniz et Arnault elles ne totalisent que 22,64 % du capital. Le reste est dispersé chez des investisseurs institutionnels étrangers et ou privés. Bref, pas de quoi considérer Carrefour comme un champion national.

Clairement, au vu de ces chiffres (origine du chiffre d’affaires et répartition du capital), on peut légitimement s’interroger sur la nationalité du groupe Carrefour et sur la légitimité du ministre de l’Économie français Bruno Le Maire à s’opposer à la démarche du groupe canadien Couche-tard.

Carrefour : un chaînon essentiel de la souveraineté nationale ?

La question porterait à la dérision si ce n’était l’avis d’un ministre de la République française. On sait depuis longtemps qu’en France le patriotisme économique et la souveraineté économique sont des concepts à géométrie variable, sans véritable assise scientifique autre que celle du protectionnisme économique.

D’une façon générale, nos dirigeants applaudissent lorsque nos entreprises prennent le contrôle d’entreprises étrangères mais sont farouchement opposés aux opérations inverses. C’est le « libéralisme » à sens unique. Une version édulcorée de celle de Lénine : « ce qui est à vous et à moi et ce qui est à moi est à moi ». Or, tous ceux qui connaissent le monde des affaires savent qu’il n’est pas possible de faire longtemps des affaires à sens unique.

À supposer que Couche-Tard prenne le contrôle de Carrefour, qui peut raisonnablement penser (sauf Bruno Le Maire) que ses dirigeants voudraient priver les Français et les autres pays de pâtes, de riz et de yaourts ? Leur objectif sera sûrement, bien au contraire, de développer le chiffre d’affaires et peut-être d’améliorer la gestion de ce groupe de distribution.

En réalité, Bruno Le Maire se trompe encore une fois de combat, comme dans le cas des dividendes. En prenant connaissances de ces déclarations, on ne peut que lui recommander de prendre un bon cours de gestion financière d’entreprise. En fait, le problème n’est pas le contrôle capitalistique d’un groupe de distribution, mais bel et bien la question des filières de production agricoles françaises. Mieux vaudrait s’intéresser, de façon intelligente, aux conditions de survie de nos producteurs agricoles, pour le coup bien français, eux.

Carrefour : une entreprise responsable ?

La mode est à la responsabilité sociale des entreprises. Dans le contexte exceptionnel de pandémie et dans une démarche d’entreprise responsable, Alexandre Bompard, le PDG, a fait part au Conseil d’administration de sa décision de renoncer à 25 % de sa rémunération fixe pour une période de deux mois (vous avez bien lu : deux mois sur douze que compte une année !).

Et dans un souci de responsabilité sociale et sociétale, le Conseil d’administration a également décidé de réduire de 50 % le dividende proposé au titre de l’exercice 2019, qui s’élève ainsi à 0,23 euro par action. Chacun appréciera ce green washing à sa juste mesure qui est dans l’air du temps et qui devrait sanctuariser nos dirigeants bien-aimés, mais dont fâcheusement Couche-Tard, qui poursuit ses objectifs de croissance, avait l’air d’en avoir rien à faire de cette responsabilité sociale chère à Bruno Le Maire.

Carrefour : épilogue trois jours après

Est-ce la pression de nos autorités bien aimées, mais le 16 janvier 2021 Carrefour et le groupe canadien Alimentation Couche-Tard ont annoncé avoir interrompu leurs discussions préliminaires en vue d’un rapprochement entre les deux groupes. Dans un communiqué conjoint, Carrefour et Couche-Tard disent en revanche prolonger leurs discussions pour « examiner des opportunités de partenariats opérationnels ». Quand on connait le chevauchement géographique pratiquement inexistant entre les deux groupes, on devine ce qu’une telle déclaration signifie.

Les dirigeants de la France, qui chaque année, accueillent à grands frais, à Versailles, de grands groupes internationaux pour les inciter à miser sur notre territoire et qui cherchent à attirer les investisseurs étrangers, ont un double discours.

Dans la pratique, en repoussant les avances préliminaires d’un groupe québécois prêt à investir dans une entreprise française (sur le papier), Bruno Le Maire rappelle au reste de la planète que la France est un pays qui pratique le capitalisme à sens unique. Or, une telle pratique est incompatible avec les règles du jeu de l’économie de marché. Mais est-ce que Bruno Le Maire le sait ?

  1. Ginette Moulin est l’actionnaire majoritaire du groupe Galeries Lafayette. La fortune de la famille Moulin est estimée en 2018 à 3,9 milliard d’euros selon Wikipédia.
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  • Je reprends un commentaire fait hier, sur le même sujet : L’article n’aborde pas le point essentiel de l’affaire , à savoir la prise de contrôle des entreprises par l’état, d’abord par l’extension à presque tous les secteurs de la notion d’entreprise sensible ( ou stratégique ), ensuite par la réduction de 25 % à 10 % du droit de vote la part qu’un investisseur hors EU peut prendre dans ces entreprises, initialement jusqu’au 31.12.2020, ( https://www.august-debouzy.com/fr/blog/1577-renforcements-temporaires-et-durables-du-controle-des-investissements-directs-etrangers-en-france-afin-de-proteger-les-entreprises-strategiques ), maintenant jusqu’après le COVID, sans autorisation préalable du minsitre de l’économie.

    J’ajoute que cette réduction est la conséquence directe de la prise de participation à hauteur de 14 % des Pays-Bas au capital d’Air France-KLM, ce qui avait généré les cris d’orfraie de Bercy : KLM pouvait faire les bénefices et Air France les pertes, l’état néérlandais n’avait pas à s’en mêler. Etat qui le regrette, d’ailleurs, puisqu’ils ont acheté à 13 € il y a deux ans ce qui ne vaut plus que 5.8 €/ action.

    Et, pour situer à quel point l’avenir de Carrefour paraît radieux, le titre valait, à son apogée, il ya vingt ans, plus de 90 €, il en valait un peu moins de 14 juste avant l’annonce d’une offre de couche-tard à 20 €

    A titre de comparaison, Delhaize, qui a fusionné avec Ahold en 2015, a vu le titre consolidé passer, en cinq ans, de 20 à 24 €.

    • Coïncidence : Het Financiele Dagblad, quotidien financier hollandais, publie un article concernant des subsides à KLM : « le cabinet veut injecter de l’argent frais dans la filiale ( KLM ) et non dans le holding ( Air France-KLM ). La crainte est que, autrement, l’argent disparaîtrait dans un trou sans fond » ( traduction et parenthèses par moi )

  • Beaucoup d’agriculteurs, en citoyens responsables, ont renoncé par sens du devoir et de l’éthique, à 10 mois sur 12 de leur rémunération ( en fait c’est parce qu’il ne peuvent pas se rémunérer) . M. le Maire vient il a leur secours?
    S il y a un jour un problème d’approvisionnement, ce ne sera pas parce que Carrefour a été racheté par Couche-Toila mais parce qu’ il n’y aura plus d’agriculteurs.
    Peut être aussi qu’,ils seront mort de froid parce qu’il leur aura été interdit de remplacer leur vieille chaudière au fuel?

  • La mainmise de nos technocrates sur les entreprises est une catastrophe, ils étendent ainsi l’incompétence dont ils font preuve dans la gestion des administrations à l’ensemble de l’activité du pays…

    • exact et ce n’est pas d’aujourd’hui !!! de plus l’argument de la famine à venir est d’une puérilité à faire pleurer ; qui peut imaginer qu’un groupe achète une entreprise pour la couler et se priver des bénéfices qu’elle génère ??? seul un énarque peut se l’imaginer !!!!

  • L’épargne de Bruno Le Maire est de 230.000 euros répartie sur différents livrets bancaires et aucune action d’après la Haute Autorité sur la Transparence de la Vie Publique. En pleine crise, car nous sommes en crise, il publie son 3e livre depuis qu’il est ministre de l’économie. L’ouvrage se titre « l’Ange et la Bête » parution le 14/01/2021.
    Il n’a toujours pas annoncé de solidarité personnelle avec les français exposés au désastre économique qu’il a causé, pas plus qu’aucun autre élu où fonctionnaire. Vous avez dit bizarre

    • Bah, un énarque ou haut fonctionnaire n’a pas besoin d’épargner, ces gens n’ont pas peur pour leur avenir.. D’où leur assurance et le peu de cas qu’ils font de l’argent public. Gageons malgré tout que celui là à
      quelques comptes bien cachés ou une famille dépensière.

    • Seulement 230.000 ? C’est un pauvre…

    • Comment un ministre trouve t-il le temps d’écrire un bouquin? Cela prouve qu’il ne fout pas grand chose. On s’en doutait de la part de cet inutile incompétent.

  • Peut-être que le ministre du fisc a peur que le siège de carrefour parte, en cas de fusion, au Canada, voyant ainsi les impôts sur les bénéfices s’enfuir vers un ‘paradis fiscal’.
    Mais entre machiavélisme et la bêtise, en général, nos politiques sont plutôt de la seconde explication.

    • Rassurez vous, le Québec étant peuplé de francophones possède les mêmes travers que le pays d’origine. De tous les états canadiens c’est celui qui a les plus lourds impôts et taxes et l’administration la moins efficace et emmerdante. C’est atavique!

  • Ce gouvernement est nul.
    Le Maire qui apparaissait comme raisonnable et plutôt à plaindre face aux partisans du tout sécuritaire sanitaire, vient de gacher son image et surtout celle de la France, pays crypto collectiviste, géré en dépit du bon sens par des apparatchiks!
    A moins qu’il ait été la voix de son petit maître!
    Si tel est le cas, son devoir est de démissonner.

    • Pas d’accord pour ma part, Le Maire est un des pires et ce, depuis un bon bout de temps. Et je ne parlerai pas de sa vanité, de sa condescendance, pire que Veran.

  • L’État a déjà pris le contrôle de la vie des français, des horaires de sortie du matin et du soir, alors qu’un groupe estranger rachète un « fleuron de la grande distribution française en s’appelant Couche-Tard, c’est provoquer l’ire du bon berger, monsieur Castex promoteur du couvre feu généralisé à 18h pour ses moutons. Et quand on agite le risque de famine pour les ménages français, on atteint les sommets de la connerie de l’énarchie française. CPEF

  • Comment un homme aussi analphabète en économie peut-il devenir ministre de l’économie? Il a été choisi par Macron et Castex. Sur quels critères, puisque manifestement ce n’est pas celui de la compétence?

    • @Jacques-Charles Gave disait récemment dans une interview qu’Emmanuel Macron était un idiot car un idiot s’entoure toujours de plus idiot que lui

  • – Que faites vous dans le civil ? je fait de la littérature !
    – Parfait ! vous serez ministre de l’économie et des finances !
    – Mais je . . . .
    – c’est ça ou rien !
    – Bon, bon, d’accord

  • en pratique notre Bruno national est un bon socialiste réagissant selon les mêmes critères qui ne sont pas l’intérêt national !!! il se mêle d’affaires privées qui ne le regardent pas tout comme il se mêle en permanence de tout ce qui touche au gouvernement comme s’il était vice premier ministre voire chef de l’état !!! Qu’il fasse son boulot correctement avant de déborder sur les autres ministères !!!!

  • quand est un nul de la droite endosse l uniforme d en marche ca reste un nul….

  • « Souveraineté », c’est le mot-clé. Les bons français de droite, bien ancrés dans les traditions et dans le souvenir d’une France puissante, sont contents de voir défendre une entreprise française. Les gauchistes qui rejettent tout ce qui se rapproche du mondialisme sont contents de voir repousser une offre de l’étranger.

    Tout ça fait beaucoup d’électeurs potentiels en 2022. Son bouquin sorti le mois dernier, sa volonté de se faire passer pour le défenseur de la grande nation France, tout n’est que calcul électoral, ne vous y trompez pas.

    L’ami Bruno, jusqu’ici, n’y connaissait rien en économie, alors qu’aujourd’hui… il n’en a plus rien à secouer !
    L’ami Bruno rêve juste de devenir calife à la place du roitelet.

  • On ne voit quand même pas comment la France peut accepter de vendre Carrefour à Couche Tard alors que le couvre feu est généralisé sur tout le pays à 18 heures.

  • Je cite : « Mieux vaudrait s’intéresser, de façon intelligente, aux conditions de survie de nos producteurs agricoles, pour le coup bien français, eux. »
    Argument repris par deux fois dans les commentaires à la faveur, de la difficulté d’être agriculteur de nos jours, en france.
    Aussi, la notion de souveraineté est ici, étrange.
    En effet imaginons que le pays soit en guerre. Contre le Canada…rire sic…
    Je doute, que le Canada détruise les magasins Carrefour, de France, avant la réquisition par l’Etat.
    Aussi quelle est cette fameuse souveraineté?
    Ne devrions-nous pas plutôt parler d’autonomie alimentaire?
    Ici, il s’agit donc bien du monde paysan. De choix politiques d’être autosuffisant et d’avoir la capacité à redevenir le « grenier à grain » historique, qu’un pays comme la France a de tous temps été.
    Sauf depuis une petite décennie, voire deux…

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