Air France : l’avenir incertain de la compagnie aérienne

Il y a à présent une opportunité rare pour les compagnies aériennes de remettre à plat les accords d’entreprise, les conventions collectives et les accords salariaux.

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Air France A380-861 by Christian Juncker (CC BY-NC-ND 2.0)

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Air France : l’avenir incertain de la compagnie aérienne

Publié le 5 janvier 2021
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Par Pierre-Joseph d’Haraucourt.

En 2018, suite à plusieurs mois de grève des pilotes d’Air France et à la démission de Jean Marc Janaillac, PDG de l’époque, consécutive à un referendum perdu, l’actuel ministre des Finances Bruno Le Maire déclarait sur BFM :

Air France disparaitra si elle ne fait pas les efforts de compétitivité.

Dans une autre interview, il ajoutait :

Ceux qui pensent que quoiqu’il arrive, l’État viendra à la rescousse et épongera les pertes se trompent.

Deux ans plus tard et alors que le transport aérien fait face à une crise majeure, le même ministre affirme que l’État fera « ce qui est nécessaire » pour garantir la survie d’Air France.

Certes, les situations sont très différentes mais il aurait pu ajouter sous réserve qu’elle fasse les efforts de compétitivité nécessaires.

En effet, après avoir déclaré que « la survie d’Air France-KLM n’était pas acquise » et en contrepartie d’un plan de soutien du gouvernement de la compagnie sœur KLM de 3,4 milliards d’euros de prêts, son homologue néerlandais, Wopke Hoekstra a exigé et obtenu que l’accord en cours de diminution des salaires des pilotes devant se terminer en 2022 soit prolongé jusqu’à 2025 et cela après des discussions serrées et un ultimatum du jour pour le lendemain. Il faut savoir que selon les médias néerlandais ce plan de baisse des salaires pouvait aller jusqu’à 20 %.

Toucher aux salaires n’est pas d’actualité chez Air France

Mais du côté d’Air France, selon le journal La Tribune, « toucher aux salaires n’est pas d’actualité ». Alors que les prêts directs et les prêts garantis par l’État s’élèvent à 7 milliards d’euros, une recapitalisation de 6 milliards se profile à l’horizon, recapitalisation à laquelle l’État souscrira seul, probablement.

Par ailleurs, alors que ses grands concurrents annoncent des réductions massives de postes, 45 % pour United Airlines (de l’ordre de 40 000 employés), 30 % pour British Airways, la compagnie nationale prévoit de supprimer 6500 postes, soit 16 % de ses effectifs.

Cette retenue pourrait s’expliquer par le fait que la compagnie était déjà très compétitive avant la crise et qu’il n’y avait qu’un moment difficile à passer pour mieux rebondir ensuite. Mais ce n’est pas ce que les dirigeants passés et actuels ont laissé entendre. Jean Marc Janaillac expliquait en 2018 que « avec les charges et les taxes, un pilote d’Air France coûte 30 % plus cher que celui de KLM ». Il aurait pu ajouter que les Français volent 650 heures par an alors que les Allemands et les Britanniques atteignent 850 heures et sont proches du plafond légal de 900 heures.

En 2019, l’actuelle direction montrait au personnel et aux journalistes un tableau indiquant que KLM n’était pas rentable dans un secteur d’activité sur huit alors qu’Air France était dans le rouge dans cinq sur onze.

Et pourtant, cette même direction rappelle qu’elle veut sortir de la crise actuelle avec un bon niveau de compétitivité par rapport à ses concurrents Lufhansa et IAG (British Airways, Iberia, etc.).

Air France veut sortir de la crise. Comment ?

Avec quelle martingale ? Surtout quand on se rappelle que le précédent PDG était tombé pour avoir refusé une augmentation de 5,1 % des salaires pour l’année 2018 ? La subtilité des accords salariaux étant difficilement transposable dans les articles de journaux, il n’est pas aisé de savoir quel a été le coût économique de la pacification des relations sociales suite à l’arrivée de la nouvelle direction.

La rapidité et le calme avec lesquels les organisations syndicales, guère réputées pour leur sens du consensus, ont signé ces accords peut laisser penser que ce qui fût accordé n’était pas très éloigné de ce qui avait été refusé auparavant. Mais, bons princes, les syndicats de pilotes ont accepté que la compagnie achète des avions pour la filiale Transavia afin de lui permettre de se développer.

Ce geste est d’ailleurs le signe inquiétant d’un renversement de la hiérarchie des pouvoirs entre la direction et les partenaires sociaux de l’entreprise.

À titre de comparaison, il faut rappeler qu’en 1994, le PDG de l’époque, Christian Blanc avait négocié avec l’État une recapitalisation en contrepartie de milliers de suppressions de postes, d’un élagage du réseau, et évidemment de concessions salariales en échange d’actions. Et pourtant, cette recapitalisation, qualifiée à l’époque de massive n’était que de 20 milliards de francs, soit trois milliards d’euros.

En deux ans, du fait de la pandémie, le marché du transport aérien a changé et probablement pas seulement à court terme. À titre d’exemple, en 2017, les experts estimaient que les compagnies allaient devoir recruter près de 35 000 pilotes par an, soit une centaine à former par jour, le double de la capacité des écoles de formation. C’est fort de cette rareté de leur expertise que les syndicats de pilotes ont négocié aussi durement à l’époque.

Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Par exemple, des pilotes de ligne suisses, cloués au sol, devraient bientôt prendre les commandes de locomotives des sociétés de chemins de fer en mal de conducteurs.

Une crise conjoncturelle ? Pas seulement

Dans l’introduction du Plan de soutien à l’aéronautique présenté par le gouvernement, il est écrit :

la reprise devrait être longue : les prévisions actuelles pour le transport aérien n’anticipent pas de retour au niveau pré-crise avant 2023.

Ce scénario est peut-être optimiste. Au-delà, personne ne sait si les voyages d’affaires, à haute contribution, repartiront comme avant. Les visioconférences, maintenant techniquement au point, ce qui n’était pas encore le cas après la crise financière de 2008, ont montré leur efficacité durant la pandémie et malgré leurs limites ont fait économiser du temps et de l’argent. Bill Gates prédit d’ailleurs que la moitié des voyages d’affaires n’auront plus lieu une fois l’épidémie terminée.

Quant aux voyages de loisir, entre les quarantaines à l’arrivée dans de nombreux pays qui risquent de se prolonger, les exhortations des écologistes à voyager moins et moins, écoutés par les jeunes générations et les éventuelles taxes anti CO2 sur l’aérien, nul ne sait si la croissance envisagée encore il y a deux ans sera au rendez- vous.

Il y a donc une opportunité rare pour les compagnies aériennes de remettre à plat les accords d’entreprise, les conventions collectives et les accords salariaux. C’est exactement ce qu’a fait le gouvernement néerlandais et la direction de KLM.

L’avenir des compagnies qui ne se sont pas adaptées suffisamment avant la crise pour faire face à la concurrence des low cost et des compagnies du golfe, concurrence qui ne risque pas de faiblir, et qui n’ont pas tiré parti de ces circonstances pour accélérer leur transformation et donc pouvoir se relancer et se développer une fois la pandémie surmontée, apparait incertain.

Une fois de plus, les Français seront mis à contribution pour financer des situations structurellement non saines et des privilèges difficilement justifiables.

Il est à souligner que le patron de Deutsche Bank a récemment critiqué les mesures de soutien prises par le gouvernement allemand en réponse à la pandémie, accusées d’aider les entreprises zombies et de nuire ainsi à la productivité de l’économie. À méditer.

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  • AIR FRANCE ? à disperser façon puzzle !

  • En vingt ans, le cours de l’action Ryanair a été multiplié par douze et celui d’Air France divisé par quatre

    Cocorico !

  • Ouais mais en France les gouvernements communistes financent les services publics depuis 1945: SNCF, RATP, etc… Donc Air France sera un boulet de plus pour les contribuables! Pas de réforme à y attendre.

  • De toute façon et sur les petits aérodromes que je connais le boom est sur les jets privés de qqs personnes …Les « grandes lignes » ne sont plus et ne seront plus desservies comme avant le COVID..AIR FRANCE et tous les autres vont manger la grenouille et l’irlandais fera pareil..Seuls ceux qui prendront entre autre ce virage du jet s’en sortiront moins mal..

  • AIR FRANCE aurait du disparaitre en 1998, quand les pilotes on entamé une grève la veille de la coupe du monde, et que le contribuable a payé 18 milliards de Francs pour la sauver, et qu’ils ont continué à faire grève pour n’importe quel prétexte

  • Je ne me fais aucune illusion : le pognon gratuit des contribuables français continuera à couler longtemps (et à gros débit) vers Air France. Cela ne fait absolument aucune doute.

    Dans ces conditions, les salariés d’AF ont entièrement raison de continuer à se gaver.

    • il se peut que les contribuables n’aient plus de pognon (ou que les taux remontent)…

      • La BCE fera marcher la planche à billet (elle le fait déjà) et l’État tondra un peu plus ras. Dans tous les cas, le flux est garantie à dix/quinze ans.

        Les seuls qui pourraient le réduire (éventuellement) sont les pastèques. Mais bon, ils ont beaucoup d’autre monde à abreuver (à commencer par la SNCF) et, donc, le contribuable y serait encore plus perdant.

  • Salut les stars… Je suis pilote de ligne chez Air France et je vous remercie pour vos généreuses contributions financières à nos salaires ainsi que pour nous faire autant rigoler avec vos commentaires convenus mais néanmoins toujours divertissants. Il est toujours agréable de voir pourquoi certains arrivent à devenir pilotes et d’autres se contentent de raser les pâquerettes. Contrairement à ce que prétend l’auteur de cet article, je ne volais pas 650 mais 800 heures par an. Très bien pour garnir le portefeuille mais très fatiguant. Donc avec quelques amis pilotes nous avons ourdi un complot machiavélique pour inciter les états à empêcher nos employeurs de nous faire voler plus de 3-4 jours par mois ce qui est vraiment suffisant. Et nos concurrents avec bien sûr il ne s’agit pas de nous faire perdre notre corne d’abondance. En plus comme leurs contribuables sont moins sympa ça va tuer tous nos concurrents au bout d’un moment et nous pilotes d’Air France serons les rois du monde et pourrons enfin obtenir les conditions que nous méritons. Sur ce je vous salue bien car je dois allumer mon barbecue sur ma plage privée et mes trois copines s’impatientent. N’oubliez pas de bien payer vos impôts car il faut que je fasse réparer mon yacht. Merci et à la prochaine !

    • Le pilote automatique et la couchette pour dormir? D’autre part pourquoi tout le monde affirme 650 si c’est 800?

    • Votre humour vous honore. Mais il vous evite de repondre au probleme. Vous avez peut etre travaill plus de 650 h par an. Je le crois volontiers. Mais cela veut dire que vos collègues ont travaillé beaucoup moins. Une moyenne est une moyenne. D’ailleurs, jamais contestée par vos syndicats. Vous creusez votre tombe. Au rythme actuel, apres la recapitalisation que les francais, non consultés , vont accepter, il n’y aura plus de cash en 2022. Vous ferez quoi? Rappelez vous Panam, Swissair, Eastern Airlines, TWA, Sabena.. etc

    • Et essayez de ne pas terminer votre carrière comme conducteur de locomotive ( métier fort honorable par ailleurs)

  • Au delà des commentaires épidermiques et inconsistants, je constate un biais dans votre analyse. Il vous manque trop d’informations précises et chiffrées pour valider un point de vue.
    Réduire l’économie au marché est illusoire. Analyser sans une maîtrise des perspectives réglementaires et technologiques est inutile. De plus, comparer ce qui ne le sera jamais…fait du buzz, c’est tout.
    L’avenir de cette compagnie ne peut pas se lire aussi simplement. Oui, de nombreuses choses ont été faites en dépit du bon sens. Le politique a empoisonné cette compagnie et paradoxalement va peut être la sauver. aujourd’hui, Il est urgent d’attendre.

    • Effectivement,’ reduire l’economie au marche est illusoire’. Je suis sûr que vous n’allez pas sur les comparateurs de prix avant d’acheter un billet d’avion et que vous n’avez jamais pris de vols sur des compagnies low cost. Seules les couleurs du drapeau français sur la livrée des avions guident votre choix. C’est exemplaire mais malheureusement très rare.

  • Je suis désolé mais cet article est truffé de raccourcis et de simplifications. L’état a imposé des contreparties à Air France (assez symboliques j’avoue) mais le problème c’est que que l’article repose sur une incompréhension totale de la situation. L’aide de l’état actuelle ne vient pas en support d’une défaillance structurelle de la compagnie mais en compensation des conséquences des mesures dont l’état est responsable (confinement, fermeture des frontières de l’Union ). D’autre part contrairement à ce qu’affirme l’auteur, les pilotes ne volent pas 650h en moyenne. L’encadrement pilote et les instructeurs, qui volent beaucoup moins que les pilotes 100% sont intégrés dans les statistiques chez air France contrairement aux autres compagnies. Aucune règle ne nous limite à 650h, ce qui veut dire que si certains volent moins c’est qu’ils sont à temps partiel et donc moins rémunérés, ou que la direction de l’entreprise n’utilise pas le plein potentiel de ses pilotes. Dautre part la paie étant beaucoup plus proportionnelle à l’activité que dans d’autres compagnies (British Airways par ex) les pilotes n’ont aucun intérêt à voler moins et quand l’activité chute leur salaire en est tout de suite et mécaniquement fortement impacté.
    Dans cet article l’auteur rejette la responsabilité de la dernière grève sur les pilotes alors que c’était une grève largement initiée par la CGT du sol et le gros des pilotes a désavoué le jusqu’au boutisme du président de leur syndicat de l’époque.
    Hierarchie des pouvoirs… mmmh ça sent le capitalisme de grand papa … le patron impose, le salarié exécute… et ferme sa gueule.
    Que de 3 milliards d’euros en 94 …. là je metrangle de rire. 3 milliards en 94 ça fait presque 4,5 milliards en 2020. Et la compagnie faisait 9 milliards d’euros de CA elle en fait presque 30 maintenant…sans KLM.
    Une fois de plus les Français seront mis à contribution pour financer …. On en revient toujours à la même chose. Non la situation actuelle n’est pas de la responsabilité d’air France la fermeture des frontières est de la responsabilité de l’état et la compensation des conséquences est normale.

    • Monsieur, le but de cet article n’etait pas de contester le bien fondé de la recapitalisation, effectivement necessitée par la crise pandemique. Il etait de deplorer que cela se fasse sans contreparties. Les compagnies qui n’allaient pas bien avant la crise et qui n’auront pas su saisir cette opportunite pour se réformer se privent d’avenir

      • Mais Monsieur l’auteur qui vous dit qu’Air France ne se réforme pas ? Vous croyez que Ben Smith a toute latitude pour prendre les mesures qui s’imposent ? Vous avez vu la levée de bouclier quand la fermeture de Morlaix a été annoncée ? Vous croyez que si il annonce des milliers de licenciements ça fera plaisir au gouvernement ? Vous voyez d’ici les unes des journaux : aidée par l’état Air France licencie des milliers de salariés ! Haha il n’y a qu’ici que l’on approuvera. Alors si pour vous se reformer c’est rogner les salaires des pilotes … Ah oui un bon bouc émissaire c’est toujours pratique. Mais croyez vous que les pilotes d’air France soient tellement mieux traités que tout le monde ? KLM, Lufthansa, une bonne partie des majors américaines les pilotes sont aussi bien voire mieux traités, ça ne les empêche pas de dégager des profits bien plus élevés qu’Air France. Mais il st vrai que parler de sureffectifs dans les métiers du sol ou de charges sociales ça fait vendre moins de papier ….

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