Le Digital Market Act va couper le marché européen du reste du monde

Détruire ou seulement entraver les grandes entreprises du numérique sera d’autant plus préjudiciable que tout le tissu économique profite de leurs services pour en produire d’autres.

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Le Digital Market Act va couper le marché européen du reste du monde

Publié le 17 décembre 2020
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Par Aymeric Belaud et Jules Devie.
Un article de l’Iref-Europe

Le Digital Market Act (DMA) fait partie du Digital Services Act (DSA), un corpus de régulation pour les entreprises du numérique qui sera présenté le 15 décembre par la Commission européenne. Le Digital Market Act porte sur les activités des entreprises considérées comme portes d’entrée d’internet, c’est-à-dire avec une puissance commerciale telle qu’il serait impossible pour le particulier ou une autre entreprise de se passer de leurs services.

L’UE estime donc que cette puissance commerciale de certaines entreprises du numérique empêche une concurrence juste, ce qui à terme pénaliserait le consommateur. Parmi les régulations envisagées, la Commission européenne souhaite s’attaquer à l’utilisation des données comme avantage concurrentiel, la construction de marchés verticaux ou le fonctionnement de certains algorithmes.

Régulation par la taille : une approche injustifiée

Pour identifier les entreprises considérées comme trop puissantes, la Commission européenne procède à une approche par la taille. Les entreprises ciblées sont les plus grandes, en termes de capitalisation et de parts de marché.

Une telle approche n’est pas justifiée. La taille importante d’une entreprise ne veut pas obligatoirement dire qu’elle jouit d’un monopole ou s’adonne à des pratiques violant le droit de la concurrence.

Le monopole d’une entreprise n’est négatif pour le consommateur que lorsqu’il conduit à l’impossibilité ou à des difficultés majeures pour d’autres entreprises du même secteur d’activité de gagner des parts de marché. Cela signifie dans ce cas que l’entreprise dominante peut profiter de sa situation (augmentation des prix, baisse de la qualité des services proposés) sans craindre de perdre des clients car les consommateurs n’ont d’autre choix que de se tourner vers elle.

Au contraire, un monopole peut être, du moins provisoirement, profitable pour les consommateurs s’il résulte d’un choix délibéré de ces derniers de se tourner vers les services d’une entreprise, les estimant de meilleure qualité ou moins chers.
Le fait que certaines entreprises du numérique aient une place très importante dans le marché peut être l’effet mérité de ses choix stratégiques sur un marché concurrentiel, et non pas un avantage injuste.

Par exemple, le moteur de recherche Google, une des entreprises visées par Bruxelles, comptabilise la quasi-totalité des recherches en ligne en Europe (91 % en France). Pour autant, malgré ce monopole, rien n’empêche le consommateur d’utiliser d’autres moteurs de recherche s’il le souhaite. Il y en a des dizaines (Yahoo, Bing, Qwant, etc.) accessibles en un clic. Le fait que Google domine le marché indique que ses concurrents proposent des services que le consommateur juge inférieurs.

Ainsi, la régulation par la taille dans le cas des entreprises numériques revient à considérer le fonctionnement normal de la concurrence (les entreprises offrant les services les plus satisfaisants aux consommateurs étant récompensées par l’obtention d’une plus grande part de marché) comme quelque chose d’anormal.

Par ailleurs, dans le secteur du numérique, la taille d’une entreprise ne dit parfois pas grand-chose sur le poids qu’elle peut avoir. Le numérique est difficilement réductible à un secteur d’activité bien précis, comme peuvent l’être l’automobile et l’immobilier par exemple.

Il offre des services dans tous les secteurs. Facebook est communément défini comme un réseau social, -c’est son activité principale-, mais il peut aussi être considéré comme une plateforme de vente en ligne. Là, il est en concurrence avec Amazon mais loin de l’égaler. De même, Amazon concurrence Netflix dans le domaine du streaming, et Facebook concurrence Google dans le domaine de la messagerie privée. Il est donc difficile d’estimer qu’une entreprise du numérique est dominante par sa taille car les plus grandes sont implantées dans plusieurs branches à la fois, de très inégales importances en termes de parts de marché.

Digital Market Act : une procédure arbitraire

La régulation par la taille va entraîner des décisions arbitraires difficilement compréhensibles. L’UE aurait préparé une liste noire de 20 entreprises visées par le Digital Market Act, dont on ne connaît pas encore les noms. Les cinq principales firmes américaines (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) y figureront, c’est plus que probable.

Si la justification officielle de la Commission européenne est basée sur des problèmes de concurrence, une part de sa motivation est aussi le développement des entreprises du numérique européennes. L’Europe ne compte que très peu de grandes entreprises dans ce secteur. La régulation est aussi, en ce sens, une forme de protectionnisme économique.

Quelques entreprises européennes n’en seront pas moins également visées. Par exemple Booking.com, société néerlandaise proposant des hébergements (particuliers ou hôtels), qui selon le Financial Times serait sur la liste. Son PDG, Mr Fogel, dénonce une initiative « choquante » qui risque de « paralyser son activité », ce qui à terme bénéficiera au rival américain Expedia ou au chinois Ctrip.

Le Digital Market Act pénalisera les quelques rares firmes européennes du numérique qui avaient réussi à se développer, à l’image de Booking.com, alors que c’est l’effet inverse qui est recherché, notamment par Emmanuel Macron, leader de la régulation en Europe.

La « startup nation » pousse à la régulation européenne

Lors de la campagne présidentielle de 2017, Emmanuel Macron se posait en candidat des start-up, des entreprises innovantes. Une fois élu, et les mois qui suivirent, il est devenu le président du secteur numérique s’attribuant la vocation de transformer la France prétendument en « start-up nation ». Est-ce le meilleur moyen d’y parvenir que de bannir les grandes entreprises numériques ?

Depuis des mois le gouvernement actuel pousse à une plus forte taxation des GAFA, ces méchantes entreprises américaines. Les diverses déclarations du ministre de l’Économie Bruno Le Maire ne laissent pas de place au doute. La taxe YouTube par exemple, disposition du gouvernement précédent, a augmenté, dans son taux comme dans son rendement, depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée, lequel insiste fortement auprès des autres pays pour réguler et taxer les géants du numérique.

La France est d’ailleurs une pionnière en Europe, la seule à prélever une taxe – encore en projet au niveau européen – sur les GAFA. Ce qui l’expose à de possibles sanctions américaines.

Le Digital Service Act et le Digital Market Act, vont aider la « startup nation » à se transformer un peu plus en « réglementation nation ». En début d’année 2020, le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire et le secrétaire d’État chargé du Numérique Cédric O, ont annoncé la mise en place d’une équipe interministérielle chargée de plancher sur le sujet des plateformes numériques. L’objectif ? La régulation des acteurs. Cédric O se vantait de vouloir « bâtir un cadre de régulation à la fois ambitieux et crédible des grandes plateformes du numérique ».

La France, leader de la régulation des entreprises numériques ? Elle n’y gagnera qu’une chose : un impact négatif sur l’innovation, notamment au détriment de toutes les entreprises numériques du territoire, français et européen.

L’impact du Digital Market Act sur l’innovation

L’innovation est le moteur principal de la croissance et de la richesse d’une économie sur le long terme. Il est donc essentiel d’analyser l’impact que le DMA aura sur elle dans le secteur du numérique. Ce DMA est encore trop imprécis pour que l’on puisse produire des estimations chiffrées. Mais l’inquiétude est déjà là.

Qu’est-ce qui motive l’innovation ? Une firme décide d’innover parce qu’elle estime que cela lui vaudra de prendre l’avantage sur ses concurrents, et donc d’augmenter ses profits. L’innovation ne va pas sans une compétition entre les entreprises ni, surtout, l’espoir de dominer un marché.
Il est vrai que lorsqu’une entreprise domine un marché, elle a tendance à préférer bâtir des obstacles à l’entrée sur son marché plutôt qu’à innover. Mais le meilleur moyen d’empêcher que les mauvais monopoles s’établissent et perdurent, c’est de favoriser la naissance de nouvelles entreprises, d’encourager l’innovation et le profit qu’on peut en tirer.

Détruire ou seulement entraver les grandes entreprises du numérique sera d’autant plus préjudiciable que tout le tissu économique profite de leurs services pour en produire d’autres. Les GAFA supportent aussi les activités de nombreux producteurs de biens et services ou commerçants, notamment au travers de leurs plateformes de marché. Tout au plus il peut en effet être utile de veiller à ce que les entreprises dominantes dans ce dernier domaine n’abuse pas de leur puissance de marché.

De plus, l’innovation dans le secteur du numérique nécessite un capital très important. Selon le dernier rapport PWC, Amazon lui a consacré 22,6 milliards en 2018 et Alphabet (regroupant les activités de Google) 16,2 milliards.

C’est plus que n’importe quelle autre entreprise en Europe tous secteurs confondus. Cela indique que les géants du numérique la considèrent comme essentielle pour garder leur position dominante et qu’ils ne sont pas tombés dans le risque sus-évoqué dont se rendent coupables certains monopoles. Ils ne sont donc pas de simples rentiers vivant sur leur monopole.

Et ils doivent amortir ces coûts. La taille du marché a donc son importance dans les projets innovants. Le marché européen est souvent présenté comme un atout (500 millions de consommateurs) mais il est relativement faible par rapport au marché global. Lui imposer, et à lui seul, des normes restrictives, ne fera que l’isoler. Ce qui, évidemment, n’encouragera pas les capacités créatrices qui produisent l’innovation.

Sources :

https://www.ft.com/content/1773edd6 …
https://www.ft.com/content/7738fdd8 …
https://www.ft.com/content/46434ced …
https://asteres.fr/site/wp-content/ …
https://www.strategyand.pwc.com/gx/ …
https://www.oxera.com/publications/ …

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  • Et baser tous ses services administratifs et comptables en Irlande pour facturer moins en France et payer moins d’impôts… vous en pensez quoi ?
    Vous me répondrez à juste titre que si les impôts étaient moins élevés en France les chefs d’entreprise de grosses boites hésiteraient moins à baser leurs sièges sociaux en France…!
    Mais toutes les PME françaises qui n’ont pas d’autre choix que de rester en France et ne peuvent pas pratiquer l’optimisation fiscale ? C’est pas une distorsion de concurrence et une discrimination ça?
    Voilà où on est avec États monstrueusement obèses et bureaucratiques qui ne savent qu’enchainer des réglementations alors que si nos dirigeants politiques savaient /pouvaient rendre attractif le pays en reconnaissant et récompensant les innovateurs porteurs de progrès et de valeur, il y auraient plus d’entreprises en France. Au lieu de ça on multiplie les fonctionnaires coûteux par leur nombre qui se donnent du boulot en faisant croire qu’ils sont là pour nous aider et sauver le pays…..

    • Objectivement, faire payer des impôts aux entreprise est anormal dans la mesure où toute la richesse qu’elles produisent finissent dans la poche de leurs salariés, de leurs clients et de leurs actionnaires, toutes personnes physiques au final qui sont elles-mêmes soumises à l’impôt…

    • Tout ça vient de ce l’on n’apprend pas dans les écoles que ce ne sont pas les entreprises qui paient les impôts, mais toujours leurs clients, au final.

  • UE: tout sauf la libre concurrence.
    Le modèle indépassable de l’UE reste l’Union Soviétique.

  • Quelques pannes bien senties des services des GAFA en Europe services dont tout le monde dépend plus ou moins et la raison reviendra aux bureaucrates étatistes européens. C’est comme l’électricité.

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