Telecom Italia et la pelote de fibres

Le gouvernement italien soutient le projet de TIM en matière d’internet haut débit, aux dépens des règles les plus élémentaires de libre concurrence.

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Telecom Italia et la pelote de fibres

Publié le 25 novembre 2020
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Par Jean-Jacques Handali1.

Révélateur de bon nombre de nos faiblesses structurelles, le Covid a récemment mis en exergue le retard accumulé par le réseau internet mobile dans la péninsule italienne. Au moment de se mettre en télétravail, une partie de la population s’est retrouvée pénalisée par une couverture insuffisante.

Pour combler ce retard, Telecom Italia (TIM) propose un projet révolutionnaire : créer un réseau unique de fibre optique fusionnant Enel (OpenFiber) et FiberCop (ce dernier regroupant les activités des réseaux TIM et Fastweb, concurrents à ce jour). La Commission européenne semblerait vouloir s’opposer à cette fusion. À raison ?

Faut-il laisser émerger des géants européens ?

Quand on regarde le marché européen, on a tendance à croire que le principal problème n’est pas la concurrence, mais plutôt l’absence de géants susceptibles d’adresser les besoins des Européens en termes de service. Le cas des télécoms italiens est patent. Si un géant comme TIM a l’air de faire sens, c’est parce que l’Italie semble accuser un retard dans le domaine.

Mais ne nous laissons pas abuser : c’est parce qu’ils apportaient un service disruptif, sans véritable concurrence, que les géants américains, que l’on rassemble souvent sous l’acronyme de GAFAM, ont conquis leur « monopole de fait ».

Ils ont mis sur le marché une innovation technologique disruptive, de l’ordre du moteur à explosion, du moteur de recherche, de la librairie mondiale… Ces créations apportent une manière nouvelle de concevoir et de communiquer, de vivre et de commercer.

Il est donc normal, dans un premier temps, qu’elles occupent une part de marché prépondérante, voire exclusive. S’élever contre cette suprématie, c’est contrarier la découverte elle-même et donc manquer l’évolution. Ce que semble vouloir faire TIM qui, toutefois, ne constitue en rien un monopole « de bouleversement », et c’est là que le bât blesse.

Un monopole obtenu grâce à de petits arrangements

Le groupe télécom a sorti ses ciseaux et son tube de colle et s’emploie à redessiner la cartographie des opérateurs péninsulaires, plaçant sa propre console au centre du dispositif. Sa révolution n’est qu’une redistribution de fiefs et de vassalités, lui octroyant la prébende ultime ; véritable rente de situation. Oui à l’introduction accélérée de l’Internet à haut débit, mais à quel prix ?

Dans sa volonté de toute-puissance, TIM peut compter sur l’appui du gouvernement. Décidé à s’épargner de coûteux investissements grâce à un réseau à très haut débit unique, il soutient le projet fédérateur de TIM, aux dépens des règles les plus élémentaires de libre concurrence.

Ce faisant, le M5S, principale force de la coalition gouvernementale, troque une vision lucide et nuancée de la situation contre une résolution partiale et arbitraire. Dans quelles circonstances a-t-il sorti la gomme à effacer pour ne plus voir qu’un aspect du problème ? À quel moment a-t-il échangé son kaléidoscope multicolore contre une lorgnette monochrome ?

Beppe Grillo, le fondateur du mouvement M5S, veut aller plus loin. Il propose de tout faire transiter (autrement dit contrôler), par la Caisse des Dépôts (CDP). La CDP a déjà les doigts dans tous les pots de confiture, puisqu’elle possède 50 % d’Open Fiber et près de 10 % de TIM.

Cet actionnariat la place en deuxième position derrière le Français Vivendi, détenteur du capital à hauteur de 23,94 %. Et pour que le contrôle se fasse plus glorieux, Beppe Grillo suggère une prise de participation dans TIM équivalente à celle de Vivendi – sachant que le seuil de lancement d’une OPA se situe à 25 %…

Giuseppe Conte, président du conseil, est satisfait des idées ingénieuses de M. Grillo, mais rappelle néanmoins que la CDP devra affronter les autres acteurs du marché.

Le bon droit de la concurrence européenne

La Commission européenne suit ce dossier avec une attention toute particulière, sachant qu’elle a déjà dissuadé maints opérateurs télécom de fusionner durant ces deux dernières décennies.

De son côté, le gendarme des télécoms italiens a déclaré son opposition à ce projet de concentration, considérant qu’il s’agirait d’un « pas en arrière ». Pour quelles raisons le projet italien aurait-il le feu vert et comment réagiraient tous les autres acteurs qui furent éconduits à ce jour ?

Au-delà de ces considérations historiques, rappelons une évidence : la Commission européenne fut mise en place pour défendre les intérêts des citoyens. Les projets des multinationales, des consortiums et des pachydermes économiques n’ont pas vocation à primer ce droit.

Ce serait un non-sens de créer une telle administration, puis de favoriser des monopoles qui imposeraient leurs visions et dicteraient leurs prix. La Commission européenne n’a pas droit à l’erreur. La concession a toujours conduit au compromis. De là qu’elle cède à la compromission.

  1. Jean-Jacques Handali est directeur et administrateur de Cosmopolis Conseil, une société basée à Genève.
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  • « Parce qu’ils apportaient un service disruptif, sans véritable concurrence, les géants américains ont conquis leur monopole de fait. »

    Oui et non.

    Oui, internet est disruptif par rapport à l’ancien monde sans internet. Mais pas spécialement les entreprises qui ont pris la tête du peloton face à leurs concurrents potentiels. Au départ, tous étaient également disruptifs. Cela n’explique pas pourquoi certains ont gagné la course.

    Non, il n’y a pas monopole (absence de lois établissant formellement le monopole) mais position dominante. Toutefois, cette position dominante a été acquise grâce à un soutien public sans faille qui a pris la forme de la neutralité du web d’une part et des injections monétaires ciblées d’autre part. Certaines entreprises plutôt que d’autres ont été privilégiées pour des raisons de connivence qui apparaissent désormais évidentes avec l’élection présidentielle américaine de 2020 et la concurrence potentielle sérieuse a été systématiquement absorbée ou mise en faillite. En face, il ne reste que des concurrents marginalisés, sans véritable danger tant que les leaders artificiellement désignés ne tomberont pas en disgrâce politique.

    La neutralité du web a favorisé les fournisseurs de contenu au détriment des fournisseurs de réseaux en concentrant l’essentiel de la marge au bénéfice des premiers et en contraignant les seconds à se soumettre. Les mauvaises langues observeront que les fournisseurs de contenu sont traditionnellement plutôt démocrates, tandis que les fournisseurs de réseaux sont plutôt républicains. La neutralité du web s’est accompagné de la création d’un régime exceptionnel d’irresponsabilité éditoriale très confortable, malicieusement accordé sous condition de connivence politique. La nouvelle censure privée a généré une réalité virtuelle, une jolie histoire bien lisse et bien ordonnée confortant un schéma de pensée politique unique, où les discours contrariants sont systématiquement pourchassés, sanctionnés et finalement effacés, comme les opposants de l’ancienne URSS étaient effacés des photos officielles après avoir été éliminés.

    Les injections monétaires ciblées ont par ailleurs créé un régime de crédit gratuit illimité pour certains acteurs, dès lors en mesure de racheter leurs concurrents à n’importe quel prix. Jouez au Monopoly en accordant un crédit gratuit illimité à l’un des joueurs et observez le résultat. Vous obtenez le même résultat dans la vraie vie. Donnez à n’importe qui un crédit gratuit illimité et il rachètera tous les Google / Twitter / Facebook de la création pour leur faire dire ce qu’il souhaite qu’ils disent. Cachées derrière la fiction d’un discours libéral instrumentalisé pour l’occasion, les injections monétaires falsifient les marchés concurrentiels, les transformant en pseudo-marchés administrés arbitraires déconnectés de toute réalité, les soumettant à la toute puissance de quelques décideurs illégitimes. Dans cette loterie apparente, ceux qui ont remporté le gros lot étaient désignés d’avance en dehors de tout processus concurrentiel de marché libre.

    La loterie était truquée, dès le commencement.

  • Solution : cf. Bell et les BabyBell . . . .

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