Les flics de Darmanin au-dessus des lois

Même si Darmanin affirme qu’elle maintient « l’équilibre entre la liberté d’informer et la protection des forces de l’ordre », la loi de sécurité globale reste attentatoire à la liberté des journalistes de faire leur travail.

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Les flics de Darmanin au-dessus des lois

Publié le 23 novembre 2020
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Par Michel Faure.

Avec l’aide de la majorité présidentielle au Parlement qui a adopté dans la soirée de vendredi l’article 24 de la loi de « sécurité globale », Gérald Darmanin pourra désormais placer policiers et gendarmes au-dessus des lois, et inviter gentiment les journalistes à prendre contact avec les préfectures afin de couvrir les manifestations avec mesure et en sécurité.

 

Un texte désolant

Ce vote est désolant et l’on peut espérer que cette loi finira dans la poubelle du Conseil constitutionnel – ceci pour deux raisons.

Entrave à la justice

La première est d’ignorer l’un des fondements de notre République : nous sommes tous égaux devant la loi, policiers et gendarmes compris. Or, la volonté de Darmanin de flouter les photographies des visages des membres des forces de l’ordre en action lors d’une manifestation, ne cacherait pas seulement les visages, mais effacerait aussi les responsabilités de ces personnes. Il s’agit de les exonérer des lois de la République qu’ils sont censés défendre, mais qu’ils peuvent aussi violer.

Cette mesure transformerait en bandits masqués des hommes et des femmes censés protéger les citoyens de l’insécurité provenant de l’irrespect des lois. En cas d’incidents graves, la justice doit chercher les coupables. Mais comment établir la vérité des faits si les preuves sont maquillées ? Cette loi constitue une incitation d’entrave à la justice.

Notons en passant le contraste de cette loi française totalement baroque et le fonctionnement fluide de la démocratie américaine en cas de crise majeure. Le gouvernement de Donald Trump, dont l’attachement aux valeurs de la justice n’a jamais été exemplaire, n’a pas demandé à la presse de flouter le visage du policier Derek Chauvin, filmé le genou sur le cou de George Floyd jusqu’à la mort de ce dernier, à Minneapolis, dans le Minnesota, le 25 mai 2020. Le policier a été arrêté et déféré à la justice qui l’a inculpé pour meurtre. Le drame a été résolu dans le cadre de l’État de droit.

Entrave à la liberté de la presse

La seconde raison d’une éventuelle censure constitutionnelle concerne la liberté de la presse et sa capacité à informer les citoyens français des éventuelles actions délictueuses d’agents de l’ordre public.

Pour les journalistes, la liberté d’informer est bien entendu fondamentale, mais il existe aussi dans l’éthique journalistique un devoir d’informer, donc de ne pas taire un événement digne d’être rapporté dont on serait le témoin. En invitant les journalistes à se placer sous la tutelle de l’État et sous sa protection, en punissant d’un an de prison et de 45 000 euros d’amende la diffusion « malveillante » de « l’image du visage ou tout autre élément d’identification des forces de l’ordre en intervention », quand elle porte « atteinte à leur intégrité physique ou psychique », on voit bien que cette loi met en danger la liberté de la presse.

 

Une loi dangereusement floue

Même si Darmanin affirme qu’elle maintient « l’équilibre entre la liberté d’informer et la protection des forces de l’ordre », elle reste attentatoire à la liberté des journalistes de faire, sans contrainte, ni menace, ni autocensure, leur devoir d’information. Cette loi est aussi dangereusement floue.

Comment un juge pourrait-il définir la « malveillance manifeste» de la photographie d’un matraquage policier, par exemple, alors que l’on peut estimer légitime, au nom du droit, de révéler une violence policière exagérée ou purement gratuite. Enfin, il semble aussi compliqué d’évaluer si telle ou telle vidéo ou photographie est la preuve irréfutable d’une « atteinte à l’intégrité physique ou psychique » d’agents des forces de l’ordre.

Il ne faut pas nier que l’identification de certains policiers a conduit à des actions dramatiques, allant parfois jusqu’au meurtre. Mais de tels actes sont punis par la loi pénale. Il ne faut pas oublier non plus que les violences policières existent et qu’elles peuvent porter elles aussi atteinte à l’intégrité physique et psychique des manifestants qui en sont victimes.

L’article 24 n’en parle pas, et comme nous l’avons écrit plus haut, demander justice à un policier sans visage peut se révéler impossible. À cet égard, cette loi est totalement déséquilibrée en faveur des forces de l’ordre. Elle était pourtant l’occasion de les responsabiliser afin qu’elles ne sortent pas du cadre des règles de leurs interventions.

Pour porter atteinte à l’égalité devant la loi, aux libertés les plus fondamentales de notre République, et à la manifestation de la vérité par les juges, cette loi est à la fois néfaste et inutile. Des lois existent déjà pour défendre l’intégrité des personnes, les libertés publiques et celle de la presse, et pour garantir l’exercice sans entrave de la justice.

 

Indigne d’une démocratie libérale

Citons l’article 1er de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 qui énonce que « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit », déclaration reprise dans le préambule de la Constitution de 1958 et dont la valeur constitutionnelle est reconnue par le Conseil constitutionnel depuis 1971.

Citons aussi la loi du 29 juillet 1881, votée sous la Troisième République et considérée comme assurant, en France, la liberté de la presse et la liberté d’expression. Enfin, le Code pénal nous dit que tout citoyen, mais aussi tout agent dépositaire de l’autorité publique (article 434-18), peut être incriminé d’entrave à la justice.

Ce texte est indigne d’une démocratie libérale, il relève d’un régime autoritaire et populiste. Et voir qu’une majorité de nos députés l’a adopté devrait susciter une grande tristesse chez ceux qui pensaient être dignement représentés par leurs élus qui ont ici fait preuve d’amateurisme, de légèreté, de désintérêt ou de soumission.

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  • encore une atteinte a la liberté, des libertés que les journalistes n’ont pas défendue depuis le début du covid.

    • Ils ne peuvent pas, trop occupés à cirer les pompes du marquis pour avoir des subventions et inversement.

      • En clair les citoyens n’ont pas le droit de surveiller les faits et gestes de la police (französiche polizei über alles) , en revanche que les pisse-copies ne puissent pas le faire, peu me chaut !

  • Mais nous ne sommes pas une démocratie libérale!
    Cette loi inique est l’aboutissement d’une lente dérive: les instruments de l’Etat régalien ne sont plus au service de la population mais du pouvoir politique. Pire, car il faut ouvrir les yeux, le pouvoir politique étant devenu l’ennemi de sa propre popaltion, les forces de l’ordre sont transformées en milice politique.
    Et ces gens-là nous tétanisent avec le rappel des « heures les plus sombres »…

  • Une question : les vrais journalistes n’ont-ils pas les moyens de flouter les visages de forces de l’ordre? Dans ce cas, la justice restera preneuse des originaux.

    Sinon, ils travailleront masqués, casqués et impossibles à identifier, sauf par un gros chiffre sur le casque. Et alors là on aura gagné…

    Des lois existent déjà pour défendre l’intégrité des personnes, les libertés publiques et celle de la presse, et pour garantir l’exercice sans entrave de la justice.
    Quand on voit l’absence de sanctions envers les agresseurs via le « doxing » dont a été victime cette jeune fille d’origine musulmane, alors que l’on peut faire plier Twitter et Facebook au moins à l’américaine en leur demandant des centaines de millions de dollars d’indemnités, je ne peux que rester sans voix.

    • Je pensais pile-poil la même chose : le floutage est opéré après, l’original demeure mais ne doit pas être diffusé. Quid des prises de vue opérées par des quidams ? Ben ils doivent faire pareil. Ceci dit, je n’applaudis pas cette loi…
      Grâce à vous, j’ai appris le mot « doxing ». (pratique consistant à rechercher et à divulguer sur l’Internet des informations sur l’identité et la vie privée d’un individu dans le dessein de lui nuire).
      Diantre.. je dois vous dire merci. Pfff… Merci MichelC… ça mérite une mandarine.

      • Oui mais alors pourquoi ne demander de fluter QUE les policiers? Si c’est légitime pour eux , pourquoi ne le serait-ce pas pour les autres? Pourquoi ne pas demander à flouter tout le monde? Il y a dans cette loi une claire volonté d’établir un « deux poids deux mesures » en faveur des policiers.

  • C’est le blog du syndicat de la magistrature?Ce n’est pas l’interdiction de filmer c’est l’interdiction de diffuser.
    Quant à la justice elle fait bien ce qu’elle veut quand elle le veut par exemple vérifier les fadettes d’avocats qui se retrouve ministre de la Justice,d’anciens présidents…de journalistes ,tolérer des approximations sinon des mensonges de l’ancienne juge du PNF ,donc pas d’inquiétude.
    Par contre 135E si vous faites votre jogging à 1,01 km de chez vous cela ne vous gêne pas!

    • Interdiction de diffuser, sauf si rien dans les images diffusées ne permet d’identifier les Policiers en cause. Rien n’empêche de conserver une version avec éléments d’identification. Les images floutées suffiront à l’information du public. Il peut savoir que les Policiers se sont comportés comme ils n’auraient pas dû, mais n’a pas besoin de connaître leur identité. Les images non floutées pourront être fournies aux corps d’inspection concernés ou à la Justice. Si, toutefois, les journalistes veulent vraiment lutter contre le violences policières.

  • Les journalistes informent ? C’est nouveau ça. Dans cette période de Covid avec des milliers de « nouveaux » cas (mensonges) chaque jour, où sont-ils ? A part répéter en boucle ce que dit le gouvernement quand ça les arrangent (merci l’augmentation de leurs subventions et l’existence de leur exonération) et à l’inverse, la répétition ad nauseam des « violences policières », des « bavures », le silence sur les agressions gratuites dont ils sont victimes et des risques qu’ils prennent dans les guérillas urbaines où là, en effet, on veut pouvoir les filmer pour mieux les frapper verbalement (images des médias des émeutes à Argenteuil la semaine dernière ?) où les images bien choisies par ces « journalistes » pour montrer que ces méchants policiers jettent à terre une pauvre vieille femme qui ne faisait que manifester pacifiquement (mais qui a refusé de déguerpir quand l’ordre a été donné d’évacuer et se pose donc en victime avec la complicité des journalistes d’impartiaux »).
    Quand les journalistes seront redevenus des journalistes, ils pourront retrouver des droits.
    Pardon, mais prendre pour exemple George Floyd faut oser… ou plutôt ça montre à quel point l’auteur a le cerveau retourné.

    • En fait, les journalistes bisounours pour qui il n’y a qu’un « sentiment » d’insécurité et pour qui les zones de non-droit n’existent pas, voudraient, c’est logique, que les agresseurs soient arrêtés avec un simple « bonjour Monsieur, c’est la police, tendez vos bras qu’on vous passe les bracelets » et refusent donc d’entendre qu’au cours d’une interpellation violente il peut y avoir « dommage » sur l’agresseur et que c’est comme ça. Il ne devrait pas y avoir le moindre petit bobo sur l’agresseur ! Que celui-ci se débatte, et tous ses petits copains vont se dépêcher de dégainer le téléphone portable pour pouvoir filmer et parler ensuite de violences policières, avec l’appui de tous les bisounours à carte de presse.

      • Journalistes bisounours oui ; mais chaîne info en concurrence pour le meilleur direct. Alors obliger le floutage avant diffusion c’est mettre un filtre au direct, pas forcément très bon…

        • Pas grave, faut arrêter de penser que les flics qui procèdent aux interpellations sont des ripoux qu´il faut absolument filmer à la seconde où ils démarrent leur intervention.

  • les policiers et gendarmes au dessus des lois ? Sauf dans les quartiers émotifs en tout cas !

  • Je n’ai lu nulle part que les journalistes non enregistrés n’auraient pas le droit de couvrir les manifestations, ni que les préfets pourraient refuser d’enregistrer certains journalistes, et leur faire prendre des risques,de ce fait.
    Concrètement, comment les journalistes déclarés dans les préfectures seraient-ils signalés aux FDO ? Mystère.

    • Lors de la crise des gilets jaunes, certains journalistes avaient été pris pour cible par la police, de manière volontaire. Le risque est là, pouvoir identifier et cibler, mais aussi encadrer pour ne montrer que ce que l’on souhaite montrer (village Potemkin?), et c’est une menace à peine voilée en direction des journalistes qui voudraient malgré tout immortaliser et reporter des scènes indésirables pour l’Etat.

  • Bizarre, mais aucun journaliste pour dénoncer la décision de remplacer la signature des fonctionnaires par un numéro.

  • Ben ma foi, ce cortège de lois liberticides bien épaisses incite donc tout un chacun à se comporter comme les laskars de banlieues. Trop de règles, trop de contraintes aboutit toujours à son effet inverse. Et une fois que la bascule est faite, bien malin celui qui ramènera le génie dans sa bouteille.

  • « La première est d’ignorer l’un des fondements de notre République : nous sommes tous égaux devant la loi, policiers et gendarmes compris. »
    Tient c’est marrant j’ai pas le droit au port d’arme pourtant.

    • Tiens les personnes de moins de 18 ans ne peuvent pas voter ni participer à des films X. Tiens, il faut les professions de médecins, avocats, infirmiers, notaires, vétérinaires, policiers, juges, soldats,.. ne sont autorisées qu’aux personnes disposant de la qualification nécessaire…..

  • « Il ne faut pas nier que l’identification de certains policiers a conduit à des actions dramatiques, allant parfois jusqu’au meurtre. Mais de tels actes sont punis par la loi pénale. »
    Sans soutenir le loi en question je tiens à faire remarquer qu’en l’occurence la loi pénale intervient après d’éventuels meurtres. Après : c’est toujours trop tard…

    • Oui, je me suis fait la même remarque. De tels actes sont punis par la loi, mdr, le mort il est content de le savoir ! et l’auteur de l’acte s’en fout, de la loi et des conséquences pour lui-même, il a tué il est content.

  • Un gros bémol quant à cet article: techniquement, le floutage des visages des policiers concerne la diffusion des images. Dans le cadre d’une procédure en justice, cela n’empêche pas d’obtenir les clichés originaux non floutés donc. L’argument ne me parait donc pas valable.

    Ce qui est beaucoup plus inquiétant en revanche, c’est le discours de Darmanin indiquant qu’un témoin de violences policières pourra quand même filmer l’acte délictueux, mais devra (interdiction de diffuser oblige) envoyer les images à la préfecture…. qui pourra donc décider en toute discrétion de ne pas donner suite. Quand on connaît l’implication des préfets dans les violences policières lors des gilets jaunes, notamment le ciblage délibéré des manifestants les plus « fragiles » afin d’effrayer les autres, cela revient à dire qu’ils seront juges et parties a la fois.

  • Bon, résumons…
    Balance ton porc… on peut !
    Balance ton flic… on peut plus !

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