N’abandonnons pas la question de la religion aux identitaires !

Nos sociétés libérales ne doivent pas avoir une vision naïve des religions. Car du point de vue des religions, ce n’est pas la société qui leur fait une place, mais bien elles qui accordent une place à la société.

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N’abandonnons pas la question de la religion aux identitaires !

Publié le 14 novembre 2020
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Par Thomas Comines.

Une figure médiatique du Rassemblement national, Jean Messiha, a expliqué récemment sur Sud Radio que l’islam n’était pas compatible avec les valeurs de la République. La déclaration a choqué car elle semble condamner tout musulman à n’être à jamais qu’un citoyen de seconde zone.

Elle revêt une connotation particulière, alors que le ministre de la Défense affirme le 8 novembre au Caire que la France possède un « profond respect de l’islam ».

 

Séparer le croyant de sa croyance

L’ex-cadre du RN a tenu à clarifier ses propos : il ne faudrait pas confondre l’islam et les musulmans. L’islam comme idéologie et les citoyens musulmans, qui ne se réduisent pas à leur religion. Ce sont des parents, ils aiment l’art, ils exercent une profession etc., et ce serait les essentialiser que de les cantonner à l’islam auquel ils adhèrent.

Idée authentiquement libérale, selon laquelle la dignité d’un individu commande précisément de ne pas le réduire aux idéologies qui le traversent.

Cette distinction pourrait même passer pour une marque de respect à l’égard des croyants, en tant qu’ils restent avant tout des individus uniques, dissociables d’un groupe et pouvant se défaire de leurs croyances ; elle est toutefois piquante venant du membre d’un parti faisant l’apologie de l’identité et de l’enracinement, et pas précisément de l’individu libre de ses attaches !

 

Les religions revendiquent leur transcendance

Notre libéralisme s’honore de cette distinction, mais il faut affiner l’analyse : séparer le croyant de sa croyance serait très aisé si les croyances religieuses étaient semblables aux autres croyances.

Or, l’idée de transcendance se niche au cœur de la conviction religieuse, impliquant une sorte de supériorité de nature sur les autres types de croyances.

La sécularisation de nos sociétés nous a fait perdre de vue cette réalité et nous considérons trop souvent les religions comme des idéologies relevant de l’ordre social (entraide, solidarité) ou de l’ordre du développement personnel (la prière comme genre de méditation).

Le philosophe Willard Van Orman Quine utilise une image éloquente pour décrire la structure de nos croyances : un champ de forces concentriques, à la périphérie duquel se trouveraient les croyances les moins structurantes et en son centre, les plus fondamentales.

Lorsqu’une nouvelle croyance arrive de l’extérieur, elle modifie ce champ pour s’y faire une place. Nos sociétés sécularisées ont tendance à voir les convictions religieuses comme s’ajoutant à la seule périphérie de notre représentation du monde, sans venir modifier le champ de forces en son milieu. Il y a trois raisons principales à cela.

Tout d’abord, la conviction diffuse qu’une croyance religieuse étant nécessairement irrationnelle (on est loin de l’époque des preuves de l’existence de Dieu valant jusqu’à Kant), elle ne peut que rester à la périphérie, les croyances rationnelles au centre pouvant difficilement lui faire une place, sauf dans le cas du fanatisme.

Par ailleurs, la foi ne se démontrant pas, elle ne permet pas de partager des vérités intersubjectives et ne peut donc pas investir le champ du débat démocratique. On en déduit que les croyances religieuses sont tout au plus une sorte d’éthique réservée à la vie privée.

Enfin, enracinée dans nos consciences modernes, se loge une compréhension mal digérée de la fameuse pyramide de Maslow. On imagine spontanément nos désirs s’organisant sagement en partant du biologique : d’abord les besoins essentiels (se nourrir), ensuite seulement les désirs spirituels.

 

Dieu avant la République

On occulte ainsi l’aspect radical des convictions religieuses et on arrive à certaines impasses. On met ainsi en demeure des citoyens musulmans de reconnaître que les lois de Dieu sont supérieures aux lois de la République.

Suite à l’émoi suscité par un sondage Ifop suggérant que 74 % des jeunes musulmans de moins de 25 ans considèrent leurs convictions religieuses comme supérieures aux valeurs de la République, Nadir Kahia, Président de Banlieues-plus, explique à très juste titre que cette attitude est en réalité propre à la grande majorité des croyants.

La question piège pour obtenir son brevet de laïcité devient alors : vous considérez-vous d’abord comme citoyen ou comme croyant (la vieille rengaine : musulman français ou français musulman) ?

Mais comment penser sérieusement un seul instant qu’un individu, toutes religions confondues, qui croit à l’existence d’un être infini, éternel et tout-puissant placera la France en premier, qui ne représente qu’une création parfaitement éphémère, contingente et secondaire du Dieu auquel il croit ?

Pour sortir de ce dilemme de la supériorité de la vie publique sur la vie privée, on pense organiser la société de telle sorte que chacun puisse vivre les vérités lui semblant les plus importantes. La société reste neutre sur le plan des valeurs (axiologiquement), pour permettre à chacun de vivre au mieux ses propres vérités fondamentales.

Cela correspond à la position d’Abdallah Zekri, délégué général du CFCM, affirmant que la loi de la République est plus importante que la loi religieuse, car celle-ci n’est qu’une loi personnelle. La loi de la République étant la condition de possibilité de la loi religieuse, elle la précède donc logiquement.

Mais ce raisonnement a certaines limites mises en lumière par Jean-Claude Michéa : rien ne nous garantit que les conceptions individuelles du bien ne finiront pas par s’affronter, et il faudra alors quelque chose de plus important qu’elles, dans les consciences mêmes des individus, pour s’opposer à une guerre des Dieux.

Or, ce n’est plus l’organisation de la société en tant que telle qui est le bien commun le plus important : elle n’est qu’un simple moyen pour les citoyens de vivre ce qui leur semble le plus important.

Nous espérons l’équilibre pérenne, avec Maslow. Cette conception ne pose aucune difficulté lorsqu’il s’agit d’apprécier l’art, de voyager ou de cultiver l’amitié. Mais dans le cas d’une religion, elle devient problématique, puisque bon nombre de religions ont leur propre idée de ce que devrait être une société bien organisée, et ne comptent pas rester en haut de la pyramide de Maslow.

La solution libérale au problème de la laïcité dans l’espace public ne peut donc pas s’imposer de l’extérieur, au nom d’une loi républicaine qui a beaucoup moins de force que la loi religieuse.

C’est au sein même des convictions religieuses qu’il faut chercher un espace pour les lois de la cité ; comme chez Augustin, par exemple, où la cité terrestre ne se confond pas avec la cité céleste, et où vouloir que la cité terrestre devienne la cité céleste crée plus de mal que de bien.

La religion doit trouver ses propres raisons d’être pratiquée dans une société qui ne croit pas et ainsi renoncer à être totalement ce qu’elle voudrait être.

Un libéral convaincu doit travailler sans relâche à ce projet, par une controverse décomplexée incitant les croyants à expliquer pourquoi leur Dieu devrait être limité.

 

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  • Article très intéressant.
    Comme vous l’expliquez, opposer les lois religieuses et les lois de la République n’est pas un bon point de départ.
    Cela ne peut aboutir qu’à un conflit plus ou moins violent.
    La loi de 1905 détermine des règles de coexistence. Elles s’appliquent à toutes les religions.
    Il n’y en a qu’une qui pose un problème. Par la faute d’extrémistes.
    Malheureusement ils sont nombreux.

  •  » l’individu libre de ses attaches « , ne s’agit-il pas d’une idéologie? Quel individu n’a pas d’attaches, d’appartenances auxquelles il sacrifie – volontairement – une partie de sa liberté?
    On retrouve là l’idéal des mondialistes qui consiste en une humanité désaffiliée et malléable à souhait puisque privée de ses solidarités naturelles et/ou choisies… Ces solidarités (rien à voir avec la solidarité étatique évidemment) sont la seule défense face à un pouvoir quel qu’il soit.

    • Il me semble que tous les individus ont des attaches, c’est la nature de ces attaches qui diffèrent, par exemple traditionnelles ou non. Vous défendez vos solidarités contre d’autres solidarités en les hiérarchisant à votre convenance. Mais tout le monde n’est pas vous. Du moment que ses solidarités ne sont pas imposées aux autres, je ne vois pas le problème.

  • « On met ainsi en demeure des citoyens musulmans de reconnaître que les lois de Dieu sont supérieures aux lois de la République. »

    N’est-ce pas l’inverse que l’auteur a voulu dire?

  • Les lois républicaines, je sais ce que c’est, une collection de codes Dalloz sur des étagères. Mais les lois religieuses ? J’ai beau être croyant, je ne suis pas naïf et je sais très bien que sous cette étiquette se cachent bien des choses d’origine tout à fait humaine. Les Catholiques, dont je suis, peuvent en parler longuement. Ce serait bien que les Musulmans se penchent sur la question avec honnêteté.
    Rassurez vous, amis libéraux ! Un libéral ayant passé à vie à se garder d’exercer aucune contrainte sur ses contemporains peut espérer la mansuétude du Tout Puissant au jour du Jugement Dernier.
    Bref dites moi quelle loi religieuse est incompatible avec les loi de la République et nous vérifierons. Fort heureusement, les Evangiles prennent beaucoup moins de place sur mes étagères que les codes Dalloz.

  • Excellent article !
    Mais en parlant « valeurs de la République », terme aussi vague que l’idée de Nation, leur place dans la hiérarchie des normes individuelles n’est pas seulement à considérer vis-à-vis de la religion mais aussi de la philosophie. Les critiques de certains commentateurs ici contre l’état français sont à ce point importantes qu’elles font passer leurs convictions personnelles au-dessus des valeurs de la république. Certains brandissent la DDHC (en oubliant quelques articles, soit..) comme intangible et disent que la France doit s’y conformer. D’autres mettent en avant la « civilisation judéo-chrétienne » (pas forcément religieuse) et ses valeurs comme premières par rapport à celles de la république car celle-ci en découle (mais la république doit-elle être copié-collé de ses valeurs ou doit-elle/peut-elle se réinventer en continue en tenant compte des composants de son corps social ?)
    Il y a dans cette article quelques phrases très claires sur le libéralisme et j’y souscris volontiers ! Celle-ci notamment « Idée authentiquement libérale, selon laquelle la dignité d’un individu commande précisément de ne pas le réduire aux idéologies qui le traversent. » devrait être lue et expliquée à quelques personnes ici qui prônent la discrimination et la condamnation a priori.

  • Les lois de la république sont innombrables et écrites en jargon, inconnaissables du peuple.
    Les lois de la république changent et se multiplient au fil d’une véritable diarrhée réglementaire.
    Les lois de la république sont votées selon les besoins des lobbies et des gouvernants et bafouent sans complexe les principes fondateurs.
    Les lois de la république sont appliquées avec des doubles ou triples standards, et généralement selon le principe « fort avec les faibles, faible avec les forts. »

    A titre personnel je considère l’islam comme une idéologie totalitaire et dangereuse, mais ce n’est pas pour autant que je vais m’égosiller à défendre cette république zombie.

  • tous ce salmigondis pour éviter de dire deux choses:

    – que la religion « a autant à voir avec l’état que les mathématiques » (JB Nothomb, homme politique belge du XIXe) et que l’église et l’état doivent être séparées -et non pas adversaires.

    – que tous ceci n’est valable que pour deux religions, la juive et la catholiques, qui ne présentent aucun « danger » pour une société libérale, l’une étant une religion au prosélytisme pacifique, et l’autre, une théocratie sans prosélytisme.

    La troisème est hélas une théocratie rigide au prosélytisme guerrier.
    Elle mélange intimement la politique et la métaphysique et confie à la violence de l’état le soin de « convertir » les habitants.

    Comment faire un « reset » de ceci, c’est toute la question.

    • Catholique = prosélytisme pacifique ? Faut le dire vite… très vite… et passer encore plus vite sur l’histoire des 20 siècles précédents.
      Le judaïsme, dans sa forme stricte (comme toutes les religions et idéologies) n’est pas libérale.
      Par contre, l’islam est en effet un corpus complet politico-religieux. Là où les deux premières (spécialement la catholique) ont été des outils, des justifications, des prétextes au politique, l’islam est un tout. Cependant, les musulmans font aussi leur auto-critique, c’est pas facile, la foi ne se commande pas, elle ne devrait même pas se questionner ou être discutable, mais condamner quelques milliards de personne par a priori, en niant leur capacité individuelle, humaine, rationnelle de prise de conscience, c’est nier l’humain dans sa globalité et nier le principe même de « responsabilité et liberté ».

  • « …la révélation chrétienne se démontre, et est appuyée sur de nombreuses manifestations et faits , devant lesquels la science actuelle ne peut que s’incliner. »

    L’ignorance des hommes n’a jamais été une preuve de l’existence de Dieu.
    Autant je peux vous suivre sur le début de votre commentaire (je suis athé pourtant), autant votre dernière phrase tient de la foi et non d’une démarche ou analyse scientifique.
    Régulièrement certains croyants cherchent à se placer sur un terrain scientifique pour asseoir leurs croyances. C’est inapproprié. Mieux vaut se placer sur le terrain de la Foi qui est plus difficilement attaquable. Essayer d’utiliser les limites de la connaissance scientifique pour asseoir ses croyances, c’est prendre un gros risque: celui de voir l’avancée des connaissances les entamer un peu plus…

    • Un miracle ne sait pas être scientifiquement prouvé, mais la science peut avouer son incapacité à identifier la cause de ces faits SELON les moyens disponibles actuellement et selon les hypothèses testées. Ce n’est pas pareil.
      Bainville, je vous sais croyant et rejetant la théorie de l’évolution; je respecte votre foi, mais l’existence de Dieu ne peut pas être prouvée (ni infirmée) par ces phénomènes inexpliqués.

    • Même avis que Lépine.
      L’absence d’explication d’un « miracle » par la science actuelle càd selon les connaissances scientifiques actuelles ne peut être une preuve de l’existence de Dieu. C’est au mieux un bel exemple de l’ignorance de l’homme.

      Quand on fait la liste de tous les phénomènes et évènements divers et variés attribués autrefois à l’intervention divine et qui se sont vus expliqués simplement par des phénomènes naturels répondant à des lois physiques…

      La Foi est qqchose difficilement attaquable par la science. Ce devrait être l’argument principal de celui qui croit.
      Il est évident que ces phénomènes dit « divins » peuvent jouer un grand rôle pour rassurer certains esprits ou en convertir d’autres qui ont peu d’éléments de comparaison. Néanmoins dans nos pays, outre les évolutions sociétales, l’explication de grands mythes/mystères religieux par la science depuis 150 ans a joué un rôle non négligeable dans la désaffection d’une partie des croyants. La religion chrétienne et son clergé ayant été trop souvent à la traine avant de faire évoluer son discours et ses axes prioritaires…
      Donc mettre en avant comme argument fort les miracles et autres exemples « indiscutables » d’intervention divine, est risqué à moyen terme.

  • « considèrent leurs convictions religieuses comme supérieures aux valeurs de la République, Nadir Kahia, Président de Banlieues-plus, explique à très juste titre que cette attitude est en réalité propre à la grande majorité des croyants. »

    Non.
    Laissons le relativisme à la gauche et faisons des distinguos éclairés entre les dizaines de religions majoritaires qui professent des chose différentes et qui agissent aussi de manières très différentes dans l’espace politique.
    .
    La démonstration par l’absurde serait de mettre aussi toutes les opinions politiques dans le même sac pour les juger sous la même étiquette.
    Après tout, la plupart des militants pensent aussi que leur doctrine est largement supérieure aux systèmes actuel, un certain nombre pense même qu’elle est assez vertueuse pour mériter d’être imposée par la force à des gens qui n’en comprennent pas tous les « avantages ».
    .
    Dans les deux cas religieux et politique il y a des gens respectueux des droits et libertés des autres et d’autres non. Il y a des opinions et des religions plutôt libérale, et d’autre non.
    À des degrés très variés, là est la vraie ligne de démarcation.

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