Loi sur le séparatisme : encore beaucoup de flou

Des zones d’ombre persistent dans le texte, en particulier dans le domaine de la laïcité, dans le service public comme en entreprise.

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Gérald Darmanin-2 By: Jacques Paquier - CC BY 2.0

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Loi sur le séparatisme : encore beaucoup de flou

Publié le 9 octobre 2020
- A +

Par Géraldine Galindo1 et Hugo Gaillard2.
Un article de The Conversation

Lors de la présentation du projet de loi sur « les séparatismes », le vendredi 2 octobre dernier, le président de la République Emmanuel Macron a dressé les contours d’un texte qui sera présenté le 9 décembre en Conseil des ministres.

Si le mot de « séparatisme » a depuis été abandonné dans l’intitulé, le texte vise notamment à étendre l’obligation de neutralité, qui existe déjà pour les agents publics, aux salariés des entreprises délégataires d’un service public.

Selon la loi, ces entreprises sont tenues par un contrat « par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé ». Des grandes entreprises comme ADP (anciennement Aéroports de Paris) ou la RATP sont ainsi concernées, mais aussi des petites structures comme des gestionnaires de crèches ou de piscines municipales.

Au sujet de cette extension, certains avancent qu’elle est inutile. Effectivement, quelques règles permettent déjà de se repérer en matière d’application de la neutralité pour les structures portant une mission de service public.

Or, plusieurs situations ont fait ressortir l’imprécision de ces critères et leur difficile mobilisation au niveau managérial : l’affaire Baby loup reste à ce jour la plus signifiante. En 2008, l’une des salariés avait été licenciée pour « faute grave » car le port du voile était contraire au règlement intérieur de cette entreprise, une structure privée. Une décision confirmée par la Cour de cassation après plus de cinq ans de feuilleton judiciaire qui estimait que le règlement intérieur était « suffisamment précis au regard du contexte et de l’objectif ».

Zones d’incertitudes

Pourtant, selon la loi, dans les entreprises privées, un principe domine : la liberté de chaque individu de croire, de ne pas croire, mais aussi de manifester sa croyance, y compris dans le contexte de son travail. Ainsi, tout salarié peut en principe se vêtir et agir librement en accord avec ses croyances dans le contexte de son travail, en respectant toutefois les principes d’hygiène et de sécurité, et de bon fonctionnement de l’entreprise.

Dans le service public, le principe de laïcité domine. Depuis 1905, cela signifie une obligation de neutralité des agents à l’égard des usagers d’une part, pour garantir à ces derniers une égalité de traitement, et une obligation de neutralité à l’égard de leur institution d’autre part, pour ne pas perturber le service et sa cohésion. Ce principe de laïcité est donc synonyme de neutralité dans ces services publics (enseignement, justice, police par exemple) mais aussi dans toutes les organisations publiques (transports, énergie par exemple).

Or, dans les deux cas, des zones d’incertitudes persistent, que cherchent à réduire le législateur et/ou les managers.

Dans les organisations publiques, la neutralité pourrait apparaître comme une solution idéale et facile à mettre en œuvre. Pourtant, dans son discours récent, le président a évoqué des dérives.

Certains travaux évoquent en effet l’existence d’une gestion du fait religieux  recouvrant deux réalités bien distinctes : si les cas sont en majorité mieux gérés par les entreprises, certaines demandes se muent aujourd’hui en revendications.

Le cas des autorisations spéciales d’absences pour fêtes religieuses, qui ne sont autre chose que des jours de congés supplémentaires aux fêtes religieuses chômées pour les agents qui n’appartiennent pas au culte catholique, font notamment l’objet d’un débat en ce qu’il peut créer un sentiment au moins de confusion, sinon d’injustice.

Comment en sommes-nous arrivés à cette situation  ? Nous avions déjà mis en évidence dans un précédent article que l’application du principe de laïcité est soumis à trois hypothèses fortes : sa stabilité, son universalité et l’imperméabilité entre les sphères. Or, dans la réalité, les acceptions de ce principe ont évolué et il n’y a pas d’étanchéité totale entre les organisations publiques et privées : certaines appartenant à la deuxième catégorie peuvent exercer une mission de service public.

Cascade d’attentes

L’enjeu du projet de loi est donc de définir à qui s’appliquera(it) le principe de neutralité dans le cadre d’une délégation de service public. Or, cet enjeu amène une cascade d’attentes. Cela nécessitera en effet de définir encore plus précisément ce que l’on entend par délégation de service public, d’en définir les contours, mais aussi de distinguer les personnes concernées par ces missions.

Par exemple, un salarié exerçant une partie de son temps une mission de service public, ne sera-t-il soumis que partiellement à ce principe de neutralité ? Et au-delà, cela impliquera de donner une définition et des limites au principe de neutralité, dont la mise en application est souvent moins aisée que prévu.

Cette perspective d’évolution juridique pourrait se concrétiser par trois scénarios en fonction du contenu du texte, mais aussi de son adoption et de ses mises en actions par les organisations concernées et leurs managers :

  • une loi de recadrage utile pour fixer des limites à certaines pratiques et éviter que certaines entreprises n’appliquent ou n’appliquent pas la neutralité à tort.
  • une loi qui brouille encore les repères déjà flous proposés par la jurisprudence ;
  • une loi inutile et qui ne ferait pas référence, sur laquelle les administrations publiques ne pourrait donc pas s’appuyer lors des processus de délégation.

Des outils d’accompagnements des entreprises concernées pourraient également se révéler nécessaires (formations, conseils juridiques, guides pratiques d’études des situations de délégation), et l’incitation à les organiser pourrait venir de la loi.

Dans tous les cas, les zones de flou restent trop importantes à l’heure actuelle et seule la présentation du texte rédigé, puis amendé, permettra de laisser envisager l’un ou l’autre des scénarios avec plus de certitudes, selon le degré de précision qu’il fera gagner au corpus juridique préexistant.

Sur le web

  1. Professeur, ESCP Business School
  2. Docteur en Sciences de Gestion et enseignant en GRH, Le Mans Université.
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  • Ouais, bonne chance avec ces usines à gaz inefficaces et inutiles. ce qu’on appelle séparatisme est du communautarisme.. On ne change pas les mœurs d’une communauté sans une poigne de fer à la chinoise.

  •  » des zones flous « ….ça s’appelle  » du en même temps »….

  • A force de compliquer l’équation elle devient insoluble. Plus les règles seront simples mieux elles seront comprises et applicables.
    Exemple: Nous sommes un pays chrétien et nos traditions sont inscrites dans notre histoire donc elles ne sont pas discutables.
    Notre langue est le français et ce langage s’applique à l’ensemble du territoire mais tous sommes libres d’apprendre d’autres langues quelque soit le motif.
    Nous sommes tous libres de nos croyances mais nous n’avons pas à les imposer aux autres.
    Si vous souhaitez vivre vos fêtes religieuses en dehors des fêtes légales vous avez la possibilité de déposer des jours de vacances pour répondre à ce souhait.

    • Nous sommes un ex pays chrétien, les ouailles ont déserté l’église depuis longtemps pour l’individualisme laïc et les autres, bah vous savez ce qu’il en est un vide est toujours comblé.

  • En gros, deux lois qui se contredisent… L’une où on doit être neutre et ne pas montrer de signes religieux, et l’autre qui permet de pratiquer sa religion même en entreprise… Ils sont forts ! 🙂

  • Au contraire, c’est très clair !
    Le changement de titre en cours de route signe la malhonnêteté intellectuelle totale du projet.
    Macron veut installer l’Islam en France en lieu et place de la Laïcité en prétendant lutter contre l’Islam radical. Les discours des parents et ami du « mineur isolé » adepte du hachoir démontre que la distinction entre soit disant deux islams est une escroquerie. Et Macron le sait !

    • Macron le sait…. Est ce qu’il s’est posé la question, j’en doute cele ne va pas faire avancer son projet de vie de luxe et peut être de luxure.. Après un certain niveau de fortune….

  • Moi qui croyais naïvement que le séparatisme signifiait que certains quartiers voire villes fortement islamisés risquaient de faire sécession d’avec la France – ainsi que des gens pas spécialement fachos comme François Hollande président de la République, ou G. Collomb ministre de l’intérieur, avertissaient sur le risque de plus en plus grand…
    Quand je lis que cette loi à venir se concentrerait sur des précisions juridiques sur la nécessité pour les gens chargés de mission de service public de respecter une neutralité religieuse, je me dis qu’il y a comme un gap. Comme disait un des prédécesseurs d’E. Macron, encore un projet ambitieux sur le papier qui dans les faits, fait pshiittt…

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